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Seconde Guerre mondiale

14 Juin 40. La Débâcle. Une date oubliée par Hollande ?

Paula Schaller Si Hollande a su s’illustrer dans quelque chose, c’est dans l’art des commémorations en grandes pompes. En revanche, il est un de ces anniversaires aux leçons importantes pour les travailleuses et travailleurs qu’il a singulièrement oublié : les 75 ans de la débâcle française au début de la seconde guerre mondiale.

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Le 14 juin 1940, presque un an après le début de la Seconde Guerre Mondiale, les troupes hitlériennes entraient à Paris. Quelques jours seulement après le début de la « bataille de France », sous l’empire de la Blitzkrieg allemande (guerre éclair), la France était tombée, dans les pas du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Belgique. La botte nazie s’installait dans toute l’Europe occidentale, après son occupation rapide de la Tchécoslovaquie et de la Pologne en Europe orientale en 1938 et 1939 respectivement. A la différence de la Première Guerre Mondiale, où Paris avait failli tomber face à l’Armée allemande qui s’était arrêtée à moins de 40 km de Paris après la bataille de la Marne, cette fois la capitale faisait partie de l’Europe occupée. Elle le restera pendant quatre ans jusqu’à la libération en 1944.

Débâcle militaire française et « leçons » de (l’anti)patriotisme bourgeois

Face à la progression allemande, l’armée française a démontré une incompétence militaire remarquable. Sa stratégie de guerre était encore marquée par les tactiques de la Première Guerre qui avait été une guerre de tranchées avec de grands fronts de bataille statiques. La dynamique de la guerre éclair nazie a ainsi conduit à une défaite rapide de la France : le 3 juin l’aviation allemande bombardait Paris et onze jours après les troupes allemandes marchaient sur la capitale française.

Le gouvernement français s’était déjà réfugié à Bordeaux, et deux jours après, le premier ministre Paul Reynaud démissionnait et était remplacé par le maréchal Philippe Pétain. Celui-ci jouissait du prestige d’avoir été le responsable de la défense de Verdun pendant la Première Guerre Mondiale. Il était également apprécié par la bourgeoisie et l’aristocratie française pour avoir « sauvé le pays du bolchévisme » en réprimant par le feu et le sang les mutineries de l’armée française suite à la désastreuse offensive de l’Aisne (bataille livrée en avril 1917, au cours de laquelle l’armée française a perdu plus de 187.000 soldats en très peu de temps), alors qu’en Russie la révolution de février gagnait du terrain.

Cette fois-ci Pétain redevenait le « héros » de la bourgeoisie française. Pas pour un quelconque « No pasaran », mais pour orchestrer la politique d’armistice avec les allemands. Autrement dit, pour mener à bien la reddition face aux nazis. L’incompétence militaire était la continuation de la claudication politique des capitalistes français.

Dans leur livre Paris libéré, Paris retrouvé, Antony Beevor et Artemis Cooper affirment que dans les laborieuses réunions ministérielles des jours précédant la capitulation, Pétain faisait pression pour un armistice rapide et un collaborationnisme avec les allemands pour éviter le déclenchement d’une guerre de guérilla dans le pays, par quoi il exprimait le point de vue de la bourgeoisie. Pendant ce temps Charles de Gaulle, secrétaire du Conseil de Défense Nationale et opposé à la capitulation, s’exilait à Londres et fondait le mouvement « France Libre » contre le nouveau régime collaborationniste.

Le 22 juin la capitulation sera entérinée par la signature de l’armistice dans un wagon en gare de Compiègne. Moment hautement symbolique, car il s’agissait du même wagon où en 1918 l’Allemagne avait officiellement capitulé face aux alliés. L’accord de paix stipulait que le nord et l’ouest de la France seraient occupés par l’armée allemande, pendant que le reste du pays était sous contrôle du gouvernement français basé à Vichy, l’Alsace et la Lorraine étant, elles, annexées par l’Allemagne comme entre 1871 et 1918.

La bourgeoisie entamait ainsi le chemin du collaborationnisme avec le IIIe Reich. Autrement dit, elle préférait se laisser dominer par les nazis plutôt que de voir se développer la résistance par les masses. Face à cela le manifeste de la IVe Internationale en mai 1940 déclarait : « la bourgeoisie ne défend jamais la patrie pour la patrie elle-même. Elle défend sa propriété, les privilèges, les profits. Quand ces valeurs sacrées sont en danger, la bourgeoisie emprunte entièrement la voie du défaitisme ».

«  La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens  »

Cette affirmation de Clausewitz, théoricien de la stratégie de guerre, s’applique complètement à la Seconde Guerre Mondiale, où les bourgeoisies impérialistes se sont jetées dans la guerre pour imposer un nouveau partage du monde. Dans le cas de la France particulièrement, les tendances à la capitulation de la part de l’Etat major de l’armée face au nazisme traduisait la droitisation que vivait le régime politique avant le début de la guerre.

En effet, depuis le milieu des années 1930 la situation française était devenue convulsive suite à l’impact de la crise économique et à la radicalisation des masses qu’avait provoquée l’arrivée de Hitler au pouvoir. Les ligues fascistes comme l’Action Française et les Croix de Feu progressaient, mais le pôle de travailleurs prêts à les combattre se renforçait aussi. Le Front Populaire en 1936, formé par des partis ouvriers et bourgeois comme le Parti Radical qui défendait les possessions coloniales de la France, avait été défini par Trotsky comme une tentative bourgeoise de contrôler les organisations ouvrières, préserver l’Etat capitaliste et éviter une perspective ouvertement révolutionnaire.

La bourgeoisie a donc compté avec l’aide de la SFIO (le PS) et du PCF : « "Le Front populaire" est une alliance du prolétariat avec la bourgeoisie impérialiste représentée par le parti radical et d’autres débris (…) le parti radical qui conserve, lui, sa liberté d’action, limite brutalement celle du prolétariat (…) La tendance générale des masses travailleuses, y compris des masses petite-bourgeoises, est évidente : elles vont à gauche. L’orientation des chefs des partis ouvriers n’est pas moins évidente : Ils vont à droite. Tandis que les masses montrent aussi bien par leurs votes que par leur lutte qu’elles veulent renverser le parti radical, les chefs du Front unique aspirent au contraire à le sauver » écrivait Trotsky dans Où va la France ?

Seule la révolution peut mettre un coup d’arrêt au fascisme

La montée révolutionnaire qui a suivi l’arrivée du Front Populaire au gouvernement a été comprise par Trotsky comme la dernière possibilité pour freiner la marche vers la guerre imprimée par la bourgeoisie. En effet, les milliers d’usines occupées, avec plus de deux millions de travailleurs en grève en juin de cette année là, avec des comités d’usine dans le secteur de la métallurgie qui demandaient la nationalisation des entreprises et leur production sous contrôle des travailleurs, ont fait trembler la bourgeoisie française. Mais le Front Populaire a réussi à freiner cette énorme montée ouvrière en échange de quelques concessions qui ont en plus été rapidement liquidées par la suite par la bourgeoisie. Le PC et la SFIO avaient bloqué la dernière possibilité d’éviter la guerre. Face à la nécessité de réprimer les masses ouvertement, le Front Populaire est tombé quelque temps après, chute ouvrant la voie à une succession de gouvernements de droite qui se sont attaqués aux droits démocratiques, au mouvement ouvrier et ont également militarisé le pays. En 1938, la loi sur « L’organisation de la Nation en temps de guerre » est votée, incluant la possibilité de réquisitionner tout travailleur et l’empêcher, sous peine de prison, d’être en retard ou absent du travail, en plus de l’interdiction d’avoir un discours contraire à la guerre et de revendiquer n’importe quel type d’augmentation salariale. C’est ainsi qu’a été « défendue » la démocratie bourgeoise française en décadence face aux fascistes. C’est, en réalité, ce qui a préparé l’arrivée de ces derniers au pouvoir.

L’occupation et la politique des révolutionnaires

Face à l’occupation et au phénomène général de l’avancée fasciste en Europe (qui a tout de même marqué une spécificité de la Deuxième Guerre Mondiale), les révolutionnaires de la IVe Internationale ont débattu sur le caractère d’une France sous occupation : cessait-elle d’être un pays impérialiste et devenait-elle ainsi une semi-colonie allemande ? Loin d’être un sujet d’intérêt théorique, cette question avait une importance cruciale par rapport à la politique concrète envers la bourgeoisie française, au sens où cela conditionnait la réponse à la question de savoir si les révolutionnaires devaient soutenir le défaitisme révolutionnaire ou pas [1]. Si la France était opprimée en tant que nation, elle n’avait pas perdu son caractère impérialiste car une partie seulement de l’industrie lourde avait été transférée en Allemagne, sa bourgeoisie avait continué à gérer la partie la plus importante de l’appareil industriel et des affaires. Aussi bien en Algérie qu’en Indochine, elle avait continué à gérer ses colonies avec des méthodes brutales et en alliance avec l’impérialisme allemand ou japonais. Et même si l’Allemagne dirigeait à l’époque une partie de l’armée française, plus de 100 000 hommes ont continué à obéir aux ordres de Pétain.

La lutte contre l’occupation nazie allait de pair avec celle contre la bourgeoisie française. Depuis le début, les militants de la IVe Internationale ont promu la nécessité d’organiser la résistance ouvrière et populaire à l’intérieur du pays. Ils ont impulsé le front unique le plus large dans l’action, mais en totale indépendance politique par rapport au gaullisme qui avançait dans ses tentatives d’hégémoniser politiquement les différents groupes qui existaient au sein du mouvement de la Résistance. Cette dernière devenait de plus en plus forte face à la brutalité du régime collaborationniste, à l’image du Service du Travail Obligatoire (STO) imposé par l’Allemagne qui exigeait de la main d’œuvre gratuite afin de soutenir l’élan belliciste, en raison duquel ont été déportés en Allemagne autour de 700000 français entre 1942 et 1944.

Dans ce contexte, il était fondamental de doter la Résistance d’une orientation indépendante des intérêts bourgeois : « Le gaullisme ne poursuit pas l’objectif d’un régime libre de toute oppression d’un peuple sur un autre peuple, mais il prétend reconstruire l’impérialisme français, dans le cadre de l’hégémonie anglaise (...). L’avant-garde prolétarienne doit éviter que les tâches nationales soient opposées à la lutte des travailleurs pour l’émancipation, et doit savoir discerner le patriotisme des opprimés du nationalisme bourgeois (...). Tout le problème de l’action commune entre les travailleurs et la petite-bourgeoisie est posé par l’existence du gaullisme. Nous avons participé à chaque action des masses qui luttent contre l’oppression nationale, mais pour essayer de l’éloigner des voies chauvines » (« La France sous Hitler et Pétain », comité exécutif de la IVe Internationale, novembre 1940).

Contre les méthodes du gaullisme qui consistaient à organiser des cellules de saboteurs professionnels agissant comme appendices de l’appareil militaire anglais, les militants de la IVe Internationale défendaient des méthodes et un programme visant à consolider la résistance des masses sous l’hégémonie des travailleurs : grèves, lutte pour la légalisation des syndicats qui avaient été interdits par Pétain, pour le contrôle ouvrier des usines, pour des comités de contrôle du ravitaillement et de contrôle des prix et de la distribution pour empêcher la pénurie et la spéculation, etc.

Conséquence des avancées de la résistance organisée, à laquelle participaient des organisations d’extrême-gauche et des secteurs indépendants qui faisaient trembler non seulement les nazis mais aussi la bourgeoisie alliée, les Etats-Unis ont débarqué en France et l’ont libérée en août 1944. Cela allait rouvrir une situation révolutionnaire. C’est à nouveau le PC qui a fait le sale travail, œuvrant à la reconstruction d’une France bourgeoise qui a fini par recomposer sa domination après le tragique "minuit dans le siècle".

16/06/15.


[1Contre « l’union nationale sacrée » proposée par la bourgeoisie, la politique proposée par les révolutionnaires à l’époque impérialiste affirme que le principal ennemi se trouve « à la maison », et qu’une défaite de la bourgeoisie de son propre pays et de son appareil d’Etat est préférable si cela favorise une avancée révolutionnaire. Au contraire, dans le cas d’une semi-colonie ou d’un Etat ouvrier, la victoire militaire de ces derniers serait progressiste face à un pays impérialiste.



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