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Chronique d'un affrontement annoncé

1er mai, que s’est-il vraiment passé ? Le témoignage d’un manifestant

crédit photo Jean Segura et Alhil Villalba Pour ce 1er mai je voulais faire la même chose que le 28 avril. D'abord manifester avec l'EHESS et le cortège interfacs, comme je l'ai fait dès le début de la mobilisation contre la Loi El Khomri. Puis aller prendre des photos pour Revolutionpermanente.fr. C'était d'utiliser ma double casquette de militant et photographe. Une fois arrivé au rendez-vous interfacs j'apprends que la situation était déjà tendue à Bastille. Je pars donc, vers la place. Dès mon arrivée j'ai pu sentir la tension. Des rangées de CRS, certes sans casques, mais matraques et lacrymos à la main, bloquaient le devant du cortège. Du jamais vu pour une manifestation du 1er mai. Une stratégie de la montée de la violence, clairement établie par la préfecture de Paris. Martin Noda

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Une stratégie de la tension

Tous-tes les manifestant-e-s le vivaient comme quelque chose d’hallucinant, comme une claire provocation. Parce que en plus de leur présence, les CRS filmaient tout le monde. Les gens leur demandaient de partir, de dégager. Un jeune homme, appareil photos à la main, voulait s’interposer entre la caméra policier et les manifestants. On pouvait entendre des gens dire « si ça commence comme ça, ça va sûrement péter ». Même les journalistes accrédités – et ne parlons pas des galères pour ceux qui n’ont pas une accréditation officielle, comme les dizaines des pigistes - avaient du mal à passer le rang de CRS.

Et on a pu voir quelques bousculades –des flics bousculant des manifestants précisons-le. Les gens ne comprenaient pas pourquoi on leur demandaient de faire le tour, aller jusqu’à Bastille et revenir, pour rejoindre un-e copain-e qui se trouvait à moins d’un mètre de distance. Il n’y avait d’ailleurs pas de risque en cette journée traditionnelle de manifestation. Seulement une stratégie politique apparente destinée à faire monter la tension.

Le cordon de CRS commence à reculer sous la pression des manifestant-e-s : « on veut avancer » « Mais qu’est-ce que vous faites là ? Laissez nous manifester en paix », crient les manifestant-e-s. Les lignes bougent mais des renforts viennent à leur secours. Augmenter la tension, chercher à déclencher l’affrontement. Les CRS avancent lentement, s’arrêtent. Puis on entend un gradé donner des ordres « En rang de deux, face à la menace ». Heureusement la « menace », de quarante ans en moyenne, a pris ces propos à la rigolade par des manifestants. Tous les 100 mètres, les cordons de CRS avancent et s’arrêtent. A chaque pause, la tension se fait plus palpable.

Les CRS cherchent l’affrontement

Plus loin, des rangées de CRS casqués occupent le trottoir. Vingt CRS casqués et avec leur boucliers à droite. Autant à gauche. Autant un peu plus loin. Ils ne surveillent rien. Ils ne sont pas devant des banques ou d’autres magasins. Ils sont devant des murs sans fenêtres. Leur but est de provoquer davantage. Leur seule présence est une provocation. Gazeuses et matraques prêtes à être utilisées d’un instant à l’autre face à la « menace » : des manifestants pacifiques – au moins jusque là. On crient encore « dégagez », « arrêtez de provoquer » ; d’autres expriment leur surprise et assurent n’avoir « jamais vu un 1er mai comme ça ! ». On est donc face à des CRS devant et encadrés par des CRS sur le trottoir. Et on sait qu’il y en a davantage, même si on ne les voit pas. Un nouveau slogan nait « les trottoirs sont à nous ». Les CRS sur les côtés sont de plus en plus nombreux. Ils accompagnent la manifestation et se montrent agressifs. Un petit pétard vole en direction des CRS, les lacrymos ne tardent pas. Voilà la provocation policière en marche. S’ils se montrent prêts a réprimer, ce n’est par pour dissuader, mais pour le faire : ils n’attendent qu’un chose, qu’on leur en donne l’occasion, provoquant de fait les « violences » qu’ils souhaitent voir advenir. C’est une prophétie auto-réalisatrice. L’escalade est donc rapide après le premier jet de lacrymo : deux petites pierres, une « bombe » de peinture auxquels répondent des nuées de lacrymos. Les CRS avancent jusqu’au carrefour, se mettent un peu à l’écart. Enfin, la tension retombe. C’est tout ce que les manifestants demandaient. « pas de police dans notre manifestation ».

Les plus gros affrontements éclatent plus loin, devant la caserne boulevard Diderot. Les CRS refusent de partir, déversent leurs flots de gaz asphyxiant, et les manifestant répondent. Après deux gros pétards, les CRS, au lieu de reculer – ils avaient la place pour le faire – les CRS lancent trois grenades de dés-encerclement. Ils les lancent à l’endroit même où se trouvait le groupe le plus nourri... de journalistes. Dont au moins deux, à côté de moi, ont été blessées. Moi j’ai les oreilles qui sifflent. J’ai eu de la chance. A côté de moi un jeune homme est à terre, touché à la jambe. Nous sommes alors coincés et perdus dans un énorme nuage de gaz. J’essaye de l’aider, mais je dois partir, m’éloigner de gazes, je n’arrive plus à respirer. J’ai seulement un foulard avec du vinaigre. Pas de masque. Dès que l’air devient respirable, on accompagne les blessés jusqu’à un coin à l’abri – une entrée de voitures désaffectées – où se situe la « street-medic » : là où des militants qui ne font pas autres chose que d’aider d’autres militants. Sous les gazes, ils soignent. Sans eux, la quantité des blessés graves serait encore plus grande. Leur nécessité auprès des manifestants les rend d’autant plus méprisable aux yeux des CRS, dont l’attitude envers eux est systématiquement hostile et violente.

La police s’en prend à l’équipe de street-medic

Après avoir vu que les blessés étaient pris en charge, et m’être soulagé des lacrymos, j’essaye de refaire des photos. Ce à quoi je ne suis pas parvenu. A la faveur des événements, je suis obligé de participer à une chaîne constituée dans le but de protéger l’abri improvisé du street-medic. Les CRS chargent. La « street-medic » est bien identifiable - croix rouge sur les casques et brassards. Mais les CRS veulent nous obliger à « dégager ». On crie « il y a des blessés ». Ce à quoi on nous répond par un premier coup de matraque. Après une longue minute de tension, un CRS s’insère dans l’abri en poussant les gens pour « vérifier » la présence de blessés. Il n’a pas eu le choix que de partir et nous laisser tranquilles.

Des cortèges bloqués par la police

La manifestation est stoppée. Les CRS la bloquent. Le cortège divisé en trois, pour ce que je suis parvenu à compter. Cela dure près d’une heure. La tension ne tombe pas, ponctuée par des chants et des slogans destinés à remonter le moral des troupes : « Mais qu’est-ce qu’on est serrés, derrière les boucliers, chantent les CRS, chantent les CRS » ou « Si t’es fier d’être CRS tape ton copain » etc.

Puis, les CRS permettent, enfin aux manifestants de se regrouper. Mais ils restent sur le côté, sans rien lâcher de leurs matraques ou leurs lacrymos. Un manifestant ose poser un petit muguet dans l’insigne au dos d’un policier gradé. Il manque de se prendre un coup de tonfa.

Puis ces gendarmes décident de nous faire avancer. Ils nous poussent. On ne peut presque pas avancer mais ils continuent. Ceux collés devant leurs boucliers sont pour la plupart des journalistes, des photographes. Sinon, ils auraient eu certainement droit à des coups de matraque.

A l’angle de la rue, les gendarmes se mettent un peu en retrait, mais des affrontement éclatent pour les obliger à partir. Quand ils le font, ça se calme. Je me suis dit « tiens, la scène se répète, sans flics, pas d’affrontements ». Et des gens, qui ne s’affrontent pas, assurent « s’il faut faire ça pour qu’ils partent, alors c’est bien de le faire ».

Ces scènes se sont répétées aussi sur le trottoir d’en face, et aussi à la place de la Nation. Les mêmes violences, les mêmes provocations, les mêmes lacrymos. Ces scènes, sont celles que j’ai pu voir, étant dans le devant du cortège pour photographier. Il y en a eu sûrement d’autres. C’est pour cette raison que les jeunes qui s’affrontaient aux policiers n’étaient pas seuls.

C’est la première fois que j’entends une foule chanter « nous sommes tous des casseurs ». Même si en réalité, les vrais casseurs étaient ceux habillés d’un uniforme bleu.


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