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441 abstents. Derrière l’hémicycle désert, un système anti-démocratique

Sarah Macna L'absence de 441 députés lors du vote de constitutionalisation de l'état d'urgence a suscité le scandale. Mais derrière cet exemple se cache le vrai visage de ce système politique, qui repose sur une caste politique privilégiée, au service des intérêts de la classe dominante, et sur l'exclusion des larges masses travailleuses de la prise de décision.

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A l’Assemblée, c’est les vacances

Lundi dernier, au petit jeu de celui qui sèchera le mieux, toutes les sensibilités politiques de l’Assemblée étaient représentées : 45% d’abstention chez les écologistes, 63% chez les socialistes, 80% dans le groupe du Front de Gauche, 84% chez les radicaux, 93% dans le groupe de l’UDI, 95 chez les Républicains...et jusqu’à 100% d’abstention pour le Front National ! Pour des députés, toutes tendances confondues, qui se plaignent des taux d’abstention aux élections, voilà une belle preuve « d’exemplarité républicaine » ! Et pour les députés de la gauche du PS, notamment du Front de Gauche, qui prétendent vouloir réformer la Vème République, ils devront repasser pour nous convaincre qu’ils sont les représentants des travailleurs et des classes populaires, et non de simples alibis « de gauche » du régime...

Pourtant, à chacun son excuse. Face aux critiques ayant émergé quand à leur absence lors du vote qui est au cœur des débats politiques du pays, les 441 députés ont fait preuve d’inventivité. Certains étaient « à la buvette », juste à côté, d’autres étaient simplement « en retard ». Pour d’autre encore, la faute au calendrier : les votes « importants » n’ont d’habitude pas lieu le lundi, ce qui fait que « traditionnellement, les députés n’arrivent que le mardi matin », déclare Alexis Bachelay, élu PS, explication qui est reprise par de nombreux abstents. Faut-il comprendre que les députés sèchent « traditionnellement » le lundi ? Alexis Bachelay poursuit, lui qui explique son absence pour cause d’« enfant malade », que « les députés travaillent dans de mauvaises conditions ». Un boulot où il est possible de faire une pause « buvette », d’être en retard, de prendre soin de son enfant lorsqu’il est malade et de sécher un jour par semaine sans que cela n’ait aucune conséquence : il y a beaucoup de travailleurs qui aimeraient avoir d’aussi « mauvaises conditions » de travail !

Dans le règlement de l’Assemblée pourtant, l’absentéisme peut entraîner des retenues sur salaire. Ainsi, « au-delà de deux absences mensuelles (...) lors de la matinée réservée aux travaux des commissions« une retenue de 25% est appliquée sur le montant mensuel de l’indemnité de fonction. En ce qui concerne la présence dans l’hémicycle, il est indiqué que si un député assiste « à moins des deux tiers des scrutins publics », il perd un tiers de son indemnité de fonction. S’il assiste à moins de la moitié des scrutins, « cette retenue est doublée ». En juillet 2013, le site Slate.fr estimait que plus de 20% des députés de l’Assemblée Nationale devraient être touchés par cette sanction. Mais en réalité, l’Assemblée Nationale refuse de donner le moindre chiffre, le moindre nom ou la moindre statistique sur les députés qui seraient concernés. Une fois payée l’amende, le député peut donc peut s’en sortir « gratuitement » auprès des électeurs, sans aucune remise en cause de son statut sur le terrain politique.

Rémunération, privilèges et réserve parlementaire : la belle vie des députés

Une amende qui en réalité, lorsque l’on connaît le traitement royal réservé à nos « représentants de la Nation », ne doit pas faire bien peur aux adeptes de l’Assemblée buissonnière. Si l’on additionne ses diverses indemnités (indemnité parlementaire de base, indemnité de fonction, et indemnité de résidence), un député gagne en effet 7100 euros par mois brut. Le calcul de la retenue qui peut être faite sur son salaire en cas d’absentéisme est fait sur son indemnité de fonction, qui est de l’ordre de 1400 euros. Le reste est donc préservé...

Par ailleurs, ces 7100 euros sont cumulables avec un une autre indemnité s’il bénéficie d’un mandat local, jusqu’au cumul de 9730 euro. S’ajoute à cette somme 5570 euros qui sont à sa disposition pour régler divers frais (transports, petits fours, etc). Il dispose ensuite de 9604 euros pour rémunérer ses collaborateurs. Cerises sur ce gâteau déjà bien crémeux, les parlementaires bénéficient de la gratuité des transports en train en première classe, des forfaits pour les voyages aériens, le remboursement des forfaits mobiles et Internet ou encore un bureau à Paris à leur disposition. Après tous ces cadeaux « au frais de la princesse », on se demande bien ce qu’il leur reste à payer avec leurs indemnités !

Dans la mythologie républicaine – celle qu’on nous enseigne à l’école – l’indemnité des députés a été mise en place au XIXème siècle pour éviter toute forme de clientélisme : désormais, les députés ne seraient plus sensibles aux dessous de table et à la corruption, puisqu’ils auraient de quoi vivre. Ce mythe s’effondre néanmoins bien vite lorsqu’on approfondit l’étude des financements de l’Assemblée et que l’on découvre une nouvelle enveloppe bien garnie pour le député : la « réserve parlementaire ». Cette enveloppe, répartie entre tous les députés, leur permet de verser des sommes aux « bonnes causes » de leur choix (des travaux dans les communes, ou bien des associations). En 2014, cette enveloppe a été constituée de 80,2 millions d’euros. Et c’est la Cour des Comptes elle-même – pourtant peu soupçonnable de gauchisme – qui s’interroge sur le caractère « d’intérêt général » d’au moins 40% de ces investissements. En d’autres termes, ces subventions un peu « spéciales » sont le moyen pour tous ces députés peu scrupuleux de gérer leur circonscription : une petite enveloppe avant les élections, une autre pour faire passer la pilule d’une réforme anti-sociale, et le tour est joué.

C’est pour toutes ces raisons que l’absence des députés lundi soir dernier est bel et bien un scandale. Alors que pouvoir exécutif, législatif et judiciaire sont main dans la main pour nous imposer une nouvelle offensive sécuritaire et xénophobe, la poignée d’hommes et de femmes qui jouit de privilèges pour nous gouverner ne prennent même pas la peine de se déplacer ! Cela démontre une fois de plus, après les Cahuzac et autre Balkany, que ces soit-disant « représentants » sont bien plus préoccupés par leurs indemnités parlementaires et par les moyens grâce auxquels ils vont pouvoir garder leur statut que par « l’intérêt général » qu’ils prétendent défendre.

Un système anti-démocratique au service des classes dominantes

La question de l’absentéisme des députés et des privilèges dont ils jouissent n’est malheureusement qu’une des facettes de ce système prétendument « démocratique ». En tout premier lieu, il est évident que tous ces privilèges doivent être abolis. Ces députés abstentionnistes doivent rendre des comptes. Leurs absences, leurs dépenses doivent être publiées de manière transparente. Plus généralement, les députés doivent être responsables de leurs actes et révocables lorsque ceux qu’ils prétendent représenter ne leur accordent plus leur confiance.

Par ailleurs, pourquoi les députés, qui si on les écoute semblent vouloir se « sacrifier pour la Nation », ne seraient pas rémunérés d’un salaire équivalent à celui de n’importe quel travailleur ? S’ils sont comme ils le prétendent les représentants de la population, alors ils doivent vivre dans les même conditions qu’elle. Cette idée était déjà présente en 1871 lors de la Commune de Paris, dont les revendications sonnent toujours aussi juste, plus de 140 ans après : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisissez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux. Défiez-vous autant des ambitieux que des parvenus ; les uns comme les autres ne consultent que leur propre intérêt et finissent toujours par se considérer comme « indispensables » ». Une exigence qui est aujourd’hui mise en pratique par les députés révolutionnaires du Frente de Izquierda y de los Trabajadores (Front de Gauche et des Travailleurs) en Argentine qui reversent la part de leur indemnité qui dépasse le salaire d’un enseignant à des caisses de grève et de solidarité aux luttes. Une mesure qui n’a donc rien d’impossible... mais qui entre en contradiction avec l’une des logiques de ce système : celle selon laquelle faire de la politique serait réservé à une élite privilégiée chargée de décider pour nous.

En effet, il n’y a aucun hasard dans le fait que l’Assemblée soit composée quasi essentiellement par des députés représentatifs des secteurs les plus privilégiés de cette société : des hommes, à la peau blanche, issus des professions libérales – quand ils ne sortent pas directement des grandes écoles d’élite destinées aux enfants des classes dominantes. Si l’Assemblée a ce visage, c’est qu’elle est le reflet d’une société où faire de la politique n’est réservé qu’à quelques uns. La caricature de cette situation se trouve certainement dans l’absence de droit de vote pour les étrangers vivant en France ou pour les personnes entre 16 ans et 18 ans : ils ont le droit de se faire exploiter, de subir la casse du droit du travail et les politiques d’austérité, mais pas de s’exprimer dessus ! Plus largement, de la difficulté de se réunir à l’impossibilité de s’exprimer dans les médias dominants acquis (au sens propre du terme) aux discours des patrons, en passant par l’absence totale de transparence sur les décisions prises par nos gouvernants, il est en réalité impossible de considérer que les « citoyens » jouissent concrètement de leurs libertés politiques... sans compter que celles-ci s’arrêtent dans les faits à la porte de l’entreprise, où c’est le patron qui décide de tout.

Le tournant sécuritaire et xénophobe que vient d’opérer le gouvernement avec l’aide des députés partis « à la buvette » risque bien de ne faire qu’accentuer les traits anti-démocratiques de ce système. Les assignés à résidence, les victimes de perquisitions et des violences policières ou encore les travailleurs de Goodyear ont déjà commencé à en payer le prix. Résister contre ces attaques de manière conséquente, c’est comprendre les logiques structurelles de ce système, incapable de mettre en place les libertés démocratiques qu’il prétend respecter.


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