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Chronique de l'état d'urgence

À Troyes, les supporters de foot ’persona non grata’ dans le centre-ville

Karel Venuvitch Samedi soir dernier avait lieu le match de football Troyes-Rennes. Alors qu'aucune rivalité n'existe entre les supporters des deux clubs, et que ces derniers sont pas connus pour des actes de violence, la préfecture a décidé d'interdire aux supporters rennais l'accès au centre-ville. Motif : la période des soldes dans la cité de l'Aube rendait impossible le déploiement des dispositifs policiers nécessaires pour couvrir ces deux situations jugées « à risque ».

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« Les forces de l’ordre sont particulièrement mobilisées (…), elles ne sauraient, par conséquent, être détournées de leur mission prioritaire pour répondre à des débordements liés au comportement de supporteurs dans le cadre de rencontres sportives ». Cet arrêté préfectoral, paru jeudi dernier 14 janvier, répondait à la volonté des supporters rennais d’investir les cafés et bars du centre-ville troyen le samedi après-midi dans l’attente du match opposant leur équipe fétiche à l’ESTAC local. Les supporters bretons avaient également l’intention de rejoindre le stade en cortège, une pratique courante chez les supporters de football.

Des mesures « disproportionnées »

Aucun antécédent, aucune velléité et aucune rivalité entre supporters rennais et troyens ne justifiaient une telle mesure liberticide. Juridiquement, le ministre de l’Intérieur a bien le droit d’interdire des déplacements de supporters, mais les autorités ont alors l’obligation d’apporter des preuves justifiant l’application de ces mesures. Néanmoins, avec l’instauration de l’état d’urgence, il suffit d’appliquer le label « risque de terrorisme » pour que l’État puisse passer outre ces procédures et appliquer ces mesures.

« Dans les premières semaines après les attentats, on trouvait ces mesures justifiées, même si elles nous semblaient déjà légèrement disproportionnées. Désormais, il faut pouvoir dialoguer pour trouver une solution aux déplacements pour les matchs », explique Me Barthélemy, avocat de l’association nationale des supporters. À cinq mois de l’organisation de l’Euro 2016 en France, où des milliers de supporters des quatre coins du Vieux Continent se déplaceront à travers l’Hexagone, les autorités entendent se montrer inflexibles en matière de gestion des supporters. Interdiction de stade et de déplacement, militarisation des stades, tout est bon pour « nettoyer » les tribunes françaises, pour en exclure les hooligans, les ultras… et les masses populaires en général.

Samedi, les supporters rennais ont finalement pu accéder à des bars aux alentours du centre-ville. Mais ils n’ont pas eu l’occasion de défiler en cortège, la police ayant finalement trouvé les forces nécessaires… pour escorter cinq par cinq l’ensemble des supporters rennais ! « Après les attentats, François Hollande souhaitait qu’on puisse de nouveau écouter du rock, aller dans les bars et se rendre à des matchs de foot. On ne demande rien d’autre », explique l’un d’entre eux. Après le match, les ultras des deux clubs se sont retrouvés, immortalisant le moment et portant cette photo de groupe comme un pied de nez à la préfecture. Mais l’État est bel et bien, depuis une décennie, en train de mener une guerre aux tribunes populaires, sautant sur chaque incident pour justifier et renforcer la répression sur les stades – quitte à jouer sur les amalgames entre « ultras » et « hooligans ».

La procédure de l’état d’urgence, si elle n’a bien sûr pas été appliquée pour réprimer spécifiquement les supporters de football, permet de passer outre les procédures de droit et d’intensifier la guerre contre les tribunes populaires. Un acte de « trouble à l’ordre public » dans un stade peut alors conduire à être fiché, au même titre que les terroristes. On voit bien là les dérives qui permettent de poursuivre l’embourgeoisement des publics français, dans la pure lignée de l’idéologie véhiculée par le système de foot-business.


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