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« Vous lui demandez d'aller au coin car elle n'a pas été sage »

À propos d’un énième cas de sexisme dans le milieu médical

Il faut croire que ça a fait beaucoup rire les médecins qui ont préparé le dernier concours blanc pour l'Examen Classant National des facs de médecine parisiennes. Au QCM n°37, qui présentait aux étudiants la situation suivante : « Une patiente de 35 ans reçoit une fessée sur son lieu de travail par son supérieur hiérarchique devant ses collègues. Elle consulte aux urgences. », ils ont proposé pour dernière réponse : « Vous lui demandez d'aller au coin car elle n'a pas été sage ». Reflet d'un « sexisme gras et décomplexé, encore profondément ancré dans certains milieux médicaux » pour Pauline, étudiante à Paris 7, qui a aussitôt dénoncé avec justesse l'affaire sur Twitter et dans Le Plus de L'OBS, pour beaucoup, cette phrase ne serait qu'une simple blague liée à la tradition étudiante médicale. Mais si le sexisme est si prégnant dans l'humour acéré des médecins, c'est qu'il est structurellement lié à l'organisation du travail, et par-là même aux conditions de travail des femmes à l'hôpital. Camilla Ernst

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Réponse E : « Vous lui demandez d’aller au coin car elle n’a pas été sage »


Ce genre de phrase à vomir, c’est typiquement le genre de « blague » que l’on peut entendre dans un bureau médical. Non seulement extrêmement infantilisante pour les femmes, elle renvoie au stéréotype de la femme douce, gentille, « sage » (comprendre soumise). Une phrase qui n’avait absolument rien à faire dans un sujet d’examen, sinon rappeler aux étudiant.e.s leurs rôles respectifs : l’homme dominant, la femme qui, si on lui reconnaît aujourd’hui le droit de s’exprimer, ne le fera jamais en toute impunité. Une phrase qui, dans la réalité, aurait sûrement été prononcée, sous couvert d’humour, dans le poste de soin des urgences, exerçant alors le même rôle sur le personnel féminin.

Ces quelques mots sont encore plus graves dans le contexte d’une situation qui expose un cas d’agression sexuelle caractérisée envers une patiente. Peut-on rire de tout ? La limite se situe là où l’humour vient ajouter de l’humiliation à cette situation où une femme s’est vue rappeler que hiérarchie et domination sexuelle vont de pair ou se justifient l’une l’autre dans notre société patriarcale. On est loin, bien loin hélas, du cadre de sécurité et d’empathie que les médecins, sont censés créer dans pareil cas.


Mais pourquoi tant de sexisme ?!

L’organisation du travail à l’hôpital, c’est avant tout une hiérarchie omniprésente dans un système verticale. Cela se traduit par une pressurisation des salariés, et surtout des salariées, car la domination hiérarchique est permise et entretenue par la domination patriarcale dans la mesure où, même si les femmes sont plus nombreuses dans la fonction hospitalière (77% des agents sont des femmes), plus on monte en grade, et plus la profession se masculinise.

Les exemples de harcèlement, d’agressions sexuelles caractérisées ou de menaces de viol sont légion, toujours sous couvert d’humour. C’est vrai dans de nombreux services, mais l’apogée, c’est le bloc opératoire, cet espace confiné où la pression échauffe les esprits et délient les langues, comme si plus les risques professionnels étaient grands, plus les femmes devaient jouer les souffre-douleurs. Pour ne donner qu’un exemple, déjà cité : ce que m’a gentiment adressé un chirurgien en pleine opération : « J’suis un peu tendu, tu me ferais pas une pipe ? ». Choc, humiliation, paralysie face au chef qui vient de te rappeler que tu n’es qu’un corps, un objet sexuel, et qu’il vaut mieux que tu fermes ta gueule.

Le sexisme est banalisé, intégré, légitimé par la tradition de « l’esprit carabin » des étudiants en médecine qui se transpose largement à l’hôpital. Cet humour leur serait indispensable pour se distancier par rapport aux situations souvent dures qu’ils rencontrent, un humour qui à trait à l’hypersexualisation des corps et qui dégrade et humilie celui des femmes, comme si ça pouvait leur permettre de désacraliser l’image de ces corps qu’ils ont chaque jours entre les mains.

Mais on ne peut pas se contenter de dire que le sexisme à l’hôpital serait le fait d’une tradition ou d’individus isolés qui auraient besoin de décompresser. Car il sert avant tout un système, le patriarcat, pour le maintien en silence des infirmières, des aides-soignantes, des ASH... pour le bon fonctionnement de l’hôpital quand les instances capitalistes qui nous gouvernent ne cherchent qu’à y appliquer les mêmes méthodes que dans les entreprises privées pour toujours plus de rentabilité.

L’égalité hommes-femmes à l’hôpital, ça n’existe pas


Ainsi, cette pression qui s’exerce sur les hospitalières, sous couvert d’humour, permet le maintien des conditions de travail exécrables pour les femmes à l’hôpital en les dissuadant de trop se révolter.

Et si, en 2013, l’accord sur l’égalité professionnelle dans la fonction publique a été signé à l’unanimité des organisations syndicales, il n’a jusqu’ici trouvé que bien peu d’application. Une preuve supplémentaire qu’il n’y a rien à attendre d’un pseudo-féminisme bourgeois et institutionnel, d’autant plus quand le gouvernement crée un ministère du Droit des Femmes, de la Famille et de l’Enfance, un gouvernement qui ne peut se donner de vernis féministe quand il ne fait que casser les droits des femmes.

À l’hôpital, l’écart salarial entre hommes et femmes est de 21%, le plus élevé de la fonction publique, quand les salaires y sont les plus bas. Ce n’est pas un hasard, plutôt la même situation que dans tous les métiers liés aux soins, au ménage, à l’enseignement, la vente ou l’administratif... où les femmes auraient des compétences innées que des stéréotypes continuent de véhiculer pour le plus grand bonheur du patriarcat et du capitalisme auxquels cette ségrégation professionnelle profite.

Comme partout, la majorité des temps partiels est occupée par des femmes, pour leur permettre de concilier vie professionnelle et vie personnelle... ou plutôt pour pouvoir assumer la double-journée de travail ! Quand on sait que pour une évolution de carrière, la formation est une condition indispensable et que l’on constate que le Droit à la formation individuelle est proratisé en fonction du temps partiel, c’est une mesure discriminatoire et un frein à l’évolution de la carrière des femmes.

Autre exemple : 19% des femmes retraitées de la fonction publique hospitalière reprennent une activité professionnelle pour compenser la faiblesse d’une retraite amputée par des interruptions liées à la maternité, au temps partiel, aux congés parentaux...

On pourrait encore traiter de l’organisation du temps de travail, décidée au loisir de chaque service. En grande équipe, soit une fois du matin une fois du soir, sans aucune harmonie, obligeant les salariés à la flexibilité selon les besoins de leur service. Soit en 12 heures d’affilées, trois jours de suite avec autant de repos derrière, soit disant pour plus de temps laissé aux travailleurs pour se consacrer à leur vie privée, mais en fait pour permettre de moins embaucher. Des organisations impossibles pour les femmes à combiner avec la double-journée de travail.

Précarisées, flexibilisées, maintenues dans le silence et d’autant plus menacées par la loi El Khomri qui ne peut que faire empirer les choses, nous n’avons certainement pas envie d’être sages ! Messieurs, tenez-vous le pour dit.


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