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Justice de classe

Affaire Karachi. Jugé pour abus de biens sociaux, Balladur est relaxé par ses pairs

Dans cette affaire vieille de 25 ans, Balladur a été relaxé par la cour de Justice de la République tandis que Léotard a écopé de 2 ans de sursis et 100 000 euros d’amende. Une décision complaisante d’un organe juridique composé en majorité de parlementaires et de sénateurs.

Sadek Basnacki

4 mars 2021

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Edouard Balladur, ancien premier ministre de 1993 à 1995 a donc été relaxé. Il était poursuivi pour « complicité » et « recel » d’abus de biens sociaux. Balladur s’est félicité de la sentence : « Je prends acte avec satisfaction de la décision de la Cour de justice de la République qui reconnaît enfin mon innocence ».

François Léotard, son ancien ministre de la Défense a, quant à lui, écopé de 2 ans de sursis et 100 000 euros d’amende. Il a annoncé se pourvoir en cassation et dénoncé cette condamnation et a expliqué avoir « honte pour la justice française et ses dérives dangereuses ».

Retour sur une veille affaire

En 1994, la France signe un contrat de vente d’arme avec le Pakistan et l’Arabie Saoudite. Balladur, premier ministre, met en place un système de commission pour faciliter les négociations. Là on parle gros chiffres. Il est question de vendre 3 sous marins de classe Agosta au Pakistan pour la somme rondelette de 5,4 milliards de francs, c’est à dire 823 millions d’euros. Ainsi que des frégates de classe La Fayette à l’Arabie saoudite pour une somme de 19 milliards de francs soit 2,9 milliards d’euros. C’est l’entreprise publique de la direction des constructions navales (DCN) qui est chargée d’honorer les contrats. Une entreprise qui sera également impliquée dans l’affaire des frégates de Taiwan.

Deux intermédiaires sont imposés et payés pour faire du lobbying sans pour autant que cela se justifie puisque l’affaire était déjà sur le point d’être conclue. L’un d’eux est le Libanais Ziad Takieddin, mis en cause dans l’affaire libyenne de Sarkozy. Dans cette affaire ils sont surnommés le « réseau K ».

D’après Libération les deux intermédiaires auraient « reçu 54 millions de francs, le 2 juin 1995, dans le cadre d’un accord prévoyant le versement global de 216 millions de francs sur douze mois. » Or habituellement le versement des commissions se fait sur plusieurs années. Ici, il est convenu qu’un premier versement de 130 millions se fasse à la signature, puis deux autres avant le 31 décembre 1995, et une dernière en fonction de l’avancement du chantier.

Pour la justice, cette rapidité de versement s’expliquerait par la volonté de remplir les caisses de campagne de Balladur. En effet, ses comptes de campagnes sont alimentés de 10,25 millions de francs en espèce le 26 avril 1995. Comme le rappelle Franceinfo, « trois jours après le premier tour, 10,25 millions de francs sont versés en une fois au Crédit du Nord, "en quatre sacs de billets de 500 francs" ». Or trois semaines avant, Takieddine retirait 10 millions de francs en espèce d’un compte en Suisse, compte où a été versé l’argent des commissions.

L’équipe de campagne de Balladur dira que cet argent est issu des collectes lors de meeting et de la vente de t-shirt et autres goodies.

Mais cette affaire ne s’arrête pas là car Balladur n’a pas gagné la presidentielle de 1995 mais c’est son grand rival Jacques Chirac qui l’emporte. Ce dernier voulant priver les balladuriens de la source de revenu des commissions décident tout simplement d’y mettre fin. Le 8 mai 2002, trois jours eulement après la réélection de Chirac, un attentat fait 14 morts à Karachi dont 11 salariés de la DCN. Il rejoignait le site d’assemblage des sous-marins acheté à la France. Al-Qaida faisait un coupable tout fait mais il semblerait que ça soit des membres de l’armée pakistanaise qui auraient organisé cet attentat pour se venger contre l’arrêt du versement des commissions par Chirac. C’est du moins la version envisagée par Léotard lui même et c’est aussi ce que révèle un rapport confidentiel rendu public en 2008.

En octobre 2012, les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire sont certains qu’Édouard Balladur et son ex-directeur de cabinet Nicolas Bazire étaient derrière un vaste réseau de financement politique occulte via des contrats d’armement. Une certitude notamment basée sur le témoignage de l’ex-femme de Thierry Gaubert qui avait accompagné Takieddine en Suisse. Il « avait gardé de l’argent en Suisse sur ce compte et ce coffre pour Nicolas Bazire et aussi pour Edouard Balladur. C’est ce que Thierry m’avait dit à l’époque, qu’il allait chercher en Suisse de l’argent de Bazire et de Balladur ».

En 2014, six personnes sont envoyés en correctionnel. Les deux intermédiaires Ziad Takieddine et Abdul Rahman El-Assir, Thierry Gaubert, Nicolas Bazire, Renaud Donnedieu de Vabres ex-conseiller de François Léotard à la défense et Dominique Castellan, ancien PDG de DCNI. Ils sont condamnés le 15 juin 2020 pour abus de biens sociaux, recel ou complicité à des peines allant de 2 à 5 ans de prison ferme. Ils ont fait appel de cette décision. François Léotard et Balladur quant à eux sont envoyés devant la Cour de justice de la République, seul organisme habilitée à juger des ministres pour des actes commis lorsqu’ils étaient en fonction.

La Cour de justice de la République ou comment soustraire les ministres à la justice

Elle a été créée en 1993 alors que la scène politique est secouée par l’affaire du sang contaminé et différentes affaires politco-financières. Elle est composée de 15 juges, 3 magistrats du siège à la Cour de cassation, 6 parlementaires et 6 sénateurs élus par leur propre chambre. Actuellement, pour les parlementaires, il y a LR, Les Centristes, MDDA et LREM qui sont représentés. Pour les sénateurs, LR, SER, UC et LREM sont représentés. Autant dire que cette cour de justice est particulièrement marquée à droite.

Balladur a donc été jugé par son propre camp social mais surtout politique. Il ne faut donc pas s’étonner de sa relaxe. Pourtant, le procureur général, François Molins, avait assuré que Balladur et Léotard connaissaient « l’origine frauduleuse » d’une partie des comptes de campagne. Mais il avait demandé de prendre en compte le temps écoulé et l’âge avancé des deux hommes. Un réquisitoire très complaisant pour les anciens ministres et qui ne s’applique que pour eux. Seulement un an de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende était requis contre Balladur, et 2 ans de sursis et 100 000 euros d’amende pour Léotard.

Il est donc inconcevable que Balladur puisse passer à travers et pourtant ça a été le cas. Rien. Tout le monde a été reconnu coupable dans cette affaire et a été condamné à des peines de prison ferme ou avec sursis, même si les peines sont légères. On peut légitimement se demander comment il est possible que Balladur puisse ne pas être condamné alors même qu’il ne pouvait pas ignorer d’où venait l’argent de sa campagne. Les anciens ministres ne sont pas égaux devant la loi ne serait ce parce qu’ils comparaissent devant une Cour composée de leurs pairs. En 28 ans, la Cour de justice de la République a jugé 10 personnes. 3 ont été déclarées non coupable. Charles Pasqua jugé pour trois affaires a aussi été déclaré non coupable pour deux d’entre elles. 1 relaxe. 2 ont été reconnu coupables mais dispensé de peine. Et 3 ont été déclaré coupables mais seulement condamné à du sursis. Jamais cette instance anti démocratique et qui va à l’encontre de toute indépendance de la justice n’a condamné un ancien ministre à de la prison ferme.

A quelques jours de la condamnation de Sarkozy, autre délinquant en col blanc défendu par toute la caste politique et accueilli en grandes pompes cette semaine sur le plateau de TF1, l’absence de condamnation de Balladur ne fait que confirmer le fonctionnement d’une justice qui a pour principal objectif de protéger les intérêts et l’image de la classe dominante.


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