Tout juste une semaine après son investiture, le président américain a annoncé ce vendredi 27 janvier la signature d’un décret intitulé « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis », interdisant l’entrée sur le territoire de ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Cette mesure qui est une atteinte scandaleuse aux droits les plus élémentaires a été appuyée par la direction d’Air France, qui s’est empressée de l’appliquer, comme d’autres compagnies, en interdisant aux passagers concernés de monter à bord des avions. Ce week-end, une quinzaine de personnes ont ainsi été contraintes à regagner leur destination d’origine, dans l’incompréhension la plus totale des voyageurs comme des agents Air France. Pour Miguel Fortea, secrétaire général de la CGT Air France que nous avons interviewé, la compagnie participe ainsi à une « campagne de stigmatisation » qui pourrait bien s’élargir et présente un grave danger antidémocratique.

Propos recueillis par Flora Carpentier

Ce qui est hallucinant c’est qu’on est censé être au pays des droits de l’homme et qu’on assiste à une campagne de stigmatisation en fonction de la nationalité. Et la liste va s’élargir. Pour l’instant elle se base sur les origines mais elle peut s’élargir aux façons de penser, aux orientations sexuelles, s’appliquer aux communistes, aux syndicalistes. C’est très dangereux de rentrer dans ce genre de jeu. Air France doit transporter les passagers, en aucun cas elle ne doit faire la police. Là on parle de passagers en règle, qui ont des passeports, c’est scandaleux.

On est dans des enjeux sociétaux. Si demain Trump dit qu’il ne veut plus de juifs, plus de musulmans, on va appliquer bêtement ? La compagnie dit que s’ils les laissent embarquer ils vont être refoulés là-bas. Mais si c’est la politique scandaleuse des Etats-Unis, on ne peut pas accompagner ce genre de raisonnement. On a déjà eu ce souci avec Netanyahou par rapport aux palestiniens. A l’époque déjà il y a eu des embargos, et ça a été plus loin puisque des collègues syndicalistes, à partir du moment où ils soutenaient l’état palestinien, ont été considérés indésirables. Air France et toutes les compagnies s’étaient déjà pliées à ces règles mais c’est scandaleux. On ne peut pas interdire aux gens de voyager. On peut les prévenir en leur disant qu’ils risquent d’être refoulés mais on ne peut pas les renvoyer chez eux. Le geste commercial d’Air France c’est de leur payer le retour, c’est honteux.

J’ai vu que les britanniques et le Canada ont obtenu des dérogations pour les binationaux. On est déjà en train de segmenter les gens par compartiments. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que face à la puissance britannique ou au Canada on s’arrange, mais que pour les autres c’est différent ? Trump demain est-ce qu’il va nous dire qu’il n’arrive pas à construire un mur avec les mexicains, qu’il a un problème de taxe, donc qu’il va interdire tous les mexicains de rentrer aux Etats-Unis ? Et nous derrière à Air France on va appliquer ça ? Ça peut aller très loin ce genre de raisonnement là…

Qui dit Air France dit qu’il y a le gouvernement derrière. Le ministère de l’intérieur a forcément donné des consignes. Et ce qui m’a encore plus scandalisé, c’est le communiqué de presse d’Air France où la compagnie dit qu’elle n’a « pas d’autre préoccupation que de protéger ses clients ». Pour moi ça sous-entend que potentiellement pour les 7 nationalités désignées, ce sont tous des terroristes. En France, avec les attentats on assiste à la stigmatisation d’une population qui ne se reconnait pas du tout dans ces actes de barbarie. C’est encore de ça dont il s’agit.

Les agents sont choqués, parce qu’ils sont mis dans la boucle. A l’écran, ils ont une alerte, ils doivent dire à la personne d’aller voir la police, les passagers autour ne comprennent pas ce qu’il se passe, et puis ils peuvent se dire ‘à bah tiens, oui il est basané’. En plus avec les élections et la montée de l’extrême droite, c’est le genre d’attitudes qui ne font qu’alimenter la haine d’autrui, la différence, le mépris. Pour moi une compagnie nationale n’a pas à agir de la sorte et les politiques devraient avoir leur mot à dire là-dessus parce que c’est gravissime, on est au pays des droits de l’homme et on a tendance à l’oublier. Au niveau de la CGT Air France en tout cas, on s’apprête à communiquer là-dessus, on ne peut pas laisser passer ça.