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Que faut-il attendre de la victoire d’Alberto Fernández ?

Argentine. La droite battue dès le premier tour

La raclée n’est pas aussi importante que prévue, mais c’est quand même une déculottée. Avec 40,4% des voix, ce dimanche, pour Mauricio Macri, contre 48,1% pour Alberto Fernández, la droite est sortie dès le premier tour. A l’extrême gauche, dans le cadre d’une ultra-polarisation de la campagne, Nicolás Del Caño obtient tout de même un peu plus de 560.000 voix, soit 2,16%. Un recul par rapport aux élections précédentes, mais l’extrême gauche trotskyste restera présente au parlement.

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Une victoire dès le premier tour, puisque selon la loi électorale argentine, il suffit au premier candidat de dépasser les 45% pour se passer de second tour. Est-ce pour autant un chèque en blanc qui a été signé par les électeurs et les électrices argentins à l’égard d’Alberto Fernández, le candidat du péronisme, et de future sa vice-présidente, Cristina Fernández de Kirchner, déjà présidente entre 2008 et 2015 ? Loin de là. Le vote anti-Macri a joué à fond pour déterminer ce retour du péronisme au pouvoir, ce dimanche.

Ce qui est sûr, en revanche, c’est que c’est bien la crise économique, le taux d’inflation à 57%, la dévaluation du peso, qui a encore perdu de sa valeur à l’approche des élections, ainsi qu’une croissance considérable du taux de pauvreté, qui dépasse les 35% de la population, qui expliquent la défaite sans appel de Macri. Incapable de maintenir ses promesses, il a rapidement carbonisé tout le capital politique qu’il avait pu engranger, lors de son élection, en 2015, fruit également d’une usure très importante du kirchnérisme au pouvoir sans interruption depuis 2003. Cependant, si les électeurs et les électrices ont massivement voté Fernández pour sortir la droite, identifiée à la crise, le panorama s’annonce compliqué pour Fernández, à plus d’un titre.

Politiquement, tout d’abord, Fernández a promis ce dimanche, depuis son QG électoral, de « tourner la page » et de « construire une Argentine égalitaire et solidaire ». La rhétorique péroniste va rapidement devoir s’affronter à une situation économique contrainte, que Fernández refuse de remettre en cause : la dette sera bien remboursée, a-t-il assuré au cours de la campagne. Parmi ses principaux soutiens, aucun ne souhaite réellement dévier des grands axes de la politique austéritaire mise en œuvre sous Macri, ces dernières années. Fernández, néanmoins, pourra compter sur un allié de taille, à savoir la bureaucratie syndicale péroniste, qui corsette le mouvement ouvrier et qui l’a assuré de son appui. Un soutien non négligeable, lorsqu’il s’agira d’administrer la rigueur. Le futur ministre du Travail semblerait d’ailleurs être Claudio Moroni, un ancien haut-fonctionnaire de l’époque ultralibérale du président péroniste Carlos Menem et qui a la confiance de la CGT.

Au niveau du Parlement, partiellement renouvelé, Fernández manque de peu la majorité absolue, à la différence du Sénat, ce qui compliquera un peu plus sa tâche, l’obligeant à manœuvrer et à composer avec des alliés parfois instables. Par ailleurs, si les péronistes ont réussi à reconquérir la province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays, que la droite leur avait ravi pour la première fois depuis 1983, la droite continue à conserver la capitale du pays, Buenos Aires.

Macri a certes perdu, mais il a réussi à récupérer partiellement sur son retard des élections primaires du mois d’août, sorte de sondage grandeur nature au cours desquelles Fernández le distanciait de 17 points. Ce faisant, la droite et le péronisme ont réussi à (re)polariser à l’extrême le champ politique argentin, concentrant sur leurs deux listes près de 90% des électeurs, rognant considérablement sur les scores des candidats arrivés en troisième et quatrième position en août, à savoir le péroniste modéré Roberto Lavagna (6,17% contre 8,23 en août) et Nicolás Del Caño, candidat à la présidence pour l’extrême gauche (2,16% contre 2,86 il y a quelques semaines). Cette tendance s’est répercutée à tous les niveaux, notamment au niveau des circonscriptions où se tenaient des élections partielles au niveau législatif (un peu plus de la moitié du Parlement se renouvelait), sénatorial (un tiers du Sénat) ou au niveau provincial. Le FIT, qui se présentait, pour cette élection, en tant que FIT-Unidad, ayant incorporé en son sein le MST, ne gagne aucun siège de député, malgré les près de 800.000 voix remportées au niveau national, ne conservant que les deux sièges conquis en 2017 et occupés, actuellement, par Nicolás Del Caño et Romina Del Plá.

En termes de voix, donc, le FIT-U recule, dans le cadre d’une très grande polarisation politique et électorale. Celles et ceux qui ont porté leur voix sur l’extrême gauche, qui de l’avis de tous, y compris des analystes les plus conservateurs, a réalisé l’une de ses meilleures campagnes, représentent néanmoins, par conséquent, un socle potentiellement plus dur et radical. Si l’on tient compte des premiers gestes du futur président Alberto Fernández, c’est bien sur ces deux vertus que le monde du travail devra compter pour résister et (pourquoi pas ?) renverser la vapeur, à l’avenir. A peine élu, alors qu’il n’a pas été encore intronisé (ce qui adviendra début décembre), Fernández a remercié Sebastián Piñera, le boucher de Santiago, pour ses félicitations, se promettant de travailler avec lui, alors que les manifestantes et les manifestantes au Chili veulent sa chute depuis dix jours. Côté FMI et Washington, même son de cloche, ce qui n’est guère rassurant lorsque l’on connaît la politique étrangère étatsunienne vis-à-vis de son arrière-cour latino-américaine ainsi que la voracité du Fonds. Pendant ce temps, Fernández s’est empressé de rencontrer Macri, dès lundi matin, de façon à régler les détails de la transition. D’un côté, Fernández a tout intérêt à ce que Macri fasse le sale boulot avant de prendre sa place à la Casa Rosada et, de l’autre, il sait qu’il ne peut pas trop charger la barque, par peur de la faire sombrer et sachant que lui-même devra poursuivre dans ses grandes lignes la politique austéritaire de son prédécesseur. Reste à savoir, maintenant, comment réagiront le mouvement ouvrier, la jeunesse ou le mouvement des femmes en Argentine.

Pour le FIT-U, comme l’a souligné Del Caño, cette élection n’était qu’une préparation, à grande échelle, pour faire de la propagande pour les combats à venir, et ce davantage encore si l’agenda argentin commence à coïncider avec les rythmes intenses de la lutte de classe qui se dessinent plus particulièrement, aujourd’hui, en Amérique latine. Ce n’est pas un hasard, de ce point de vue, si le meeting de fin de campagne du FIT-U a été organisé, pour Buenos Aires, devant le Consulat général du Chili, en solidarité avec une mobilisation qui montre le chemin à suivre.


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