×

De la théorie à la pratique

Bac philo 2015. Le bon plan (non officiel) de la copie réussie

Emmanuel Barot et Nathan Bolet Le bac représente l'aboutissement de milliers d'heures d'une scolarité à travers laquelle on fait apprendre et retenir tout un tas de procédés, de méthodes, d'informations, qu'il faut ressortir intactes le jour J. Interrogeons-nous ici un tout petit peu sur les sacro-saints « programmes » qui les organisent discipline par discipline… et voyons comment il aurait fallu que les candidats du bac scientifique traitent le sujet de philosophie qui leur a été donné mercredi dernier pour s’assurer la bonne note. Ou pas...

15 juin 2015

Facebook Twitter

Le cas le plus flagrant est sûrement l’histoire. Cette discipline, qui a pour vocation de donner une certaine vision du passé et des événements qui l’ont marqué, est l’occasion idéale pour ne pas parler de ce qui fâche, et arranger la vérité quand il le faut. Au programme des collèges on apprendra aux enfants ce qu’est la décolonisation, sans jamais avoir parlé de la colonisation ! En première, on comparera la dictature de Staline au régime nazi de Hitler, sans rien expliquer sur le fait que ces deux régimes n’ont rien avoir ni dans leur histoire ni dans leur nature, et que la seule comparaison possible concerne est celle des formes d’expression d’un pouvoir aux bases sociales radicalement distinctes.

« Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante » disait Marx, parce que ceux qui possèdent les moyens de production matériels possèdent aussi, que ce soit directement ou indirectement, le contrôle sur les moyens de la production intellectuelle, et en l’occurrence, sur les canaux de la reproduction de leur propre idéologie, dont l’éducation est le principal. Quoi d’étonnant en ce sens que ces programmes d’histoire célèbrent ce qui arrange la « République », ou que les programmes d’économie ne soient une ode permanente à l’économie de marché ?

« La politique échappe-t-elle à toute exigence de vérité ? »

Voilà une question bien actuelle, sujet de dissertation donné hier aux élèves des terminales scientifiques pour l’épreuve de philosophie. Au moins ce sujet semble donner prise à une certaine liberté de penser. Mais jusqu’où ? Aucune illusion à avoir...

Une bonne copie standard aura su expliquer dans une première étape que la philosophie grecque, qui a consacré la suprématie de la « raison » sur l’opinion, faisait de la politique une science tournée vers le Vrai et le Bien, raison pour laquelle Platon défendait l’idée du « roi-philosophe ». Puis, prenant le contre-pied, l’élève maîtrisant les codes de la « bonne copie » aura proposé la vision alternative, appuyée sur une version simpliste de la formule « la fin justifie des moyens » de Machiavel, selon laquelle la politique est simplement une affaire de pragmatisme, de realpolitik, la « vérité » étant laissée aux théoriciens de salon au profit d’un relativisme total sur ce qui est bien, juste ou ne l’est pas...

Enfin, l’art de la « troisième » partie aura consisté à nuancer les deux et à conclure sur la pertinence d’une démocratie intégratrice, défendant les droits de l’homme et du citoyen tout en faisant sa place aux particularités des lieux et des temps, par exemple en mobilisant un Tocqueville ou une Arendt, ou encore un Alain (pour ceux qui s’en souviennent) mais compatible avec la rayonnante Raison de la République. Quitte à citer Marx, qui est au programme, mais en ayant surtout soin de ne pas en faire trop, en disant que « c’était intéressant au XIXe siècle mais évidemment dépassé aujourd’hui », pour éviter de se faire éventuellement sanctionner pour délit d’opinion subversive ou antirépublicaine – sans que cela ne soit jamais dit ou assumé nulle part, puisque tout le système éducatif a préalablement fait en sorte que chacun, côté lycéen comme côté prof, ait parfaitement intériorisé cette mécanique.

XIème thèse

Aura-t-on ce faisant réellement réfléchi à l’actualité brûlante de la question et à la façon la plus juste d’y répondre ? Une véritable réponse consisterait bien à dire que la politique, faire de la politique, ne saurait effectivement échapper à toute exigence de vérité, bien au contraire : parce que, comme disait Lénine, seule la vérité est révolutionnaire. Une vérité qu’on ne trouve pas dans le ciel des Idées, mais qui est celle de de l’exploitation, de l’oppression, de la domination de classes en lutte, des guerres de conquête, depuis le début de l’histoire, qui aujourd’hui se poursuivent, de plus, dans un monde potentiellement tourné vers son autodestruction en raison de la dynamique propre du profit qui est absolument incapable d’autre chose que du « toujours plus ».

La vérité est que seule une société délivrée des classes et de leurs machines d’Etat serait conforme aux potentialités de l’espèce humaine. Voilà pourquoi la véritable réponse à la question posée, c’est-à-dire la conformation à l’exigence de vérité, ne sera évidemment pas une dissertation : ce sera une réponse pratique, instruite certes de l’histoire et des idées, mais tout autant des expériences passées de notre classe. Et quitte à en faire une copie, et bien rarement une conclusion avec la XIe thèse de Feuerbach de Marx aurait-elle eu autant de justesse : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer. »

17/06/15


Facebook Twitter
Macron à la Sorbonne : la police interpelle deux personnes et réprime les étudiant·e·s mobilisé·e·s

Macron à la Sorbonne : la police interpelle deux personnes et réprime les étudiant·e·s mobilisé·e·s

Etats-Unis : après Columbia, la colère étudiante contre le génocide s'étend

Etats-Unis : après Columbia, la colère étudiante contre le génocide s’étend

Sciences Po : les CRS expulsent le campement des étudiants pro-Palestine, solidarité !

Sciences Po : les CRS expulsent le campement des étudiants pro-Palestine, solidarité !

Censure : L'université Paul Valéry interdit une conférence de Joseph Daher sur la Palestine

Censure : L’université Paul Valéry interdit une conférence de Joseph Daher sur la Palestine

Université du Mirail. La présidence veut faire taire les critiques sur sa gestion des VSS

Université du Mirail. La présidence veut faire taire les critiques sur sa gestion des VSS

Bordeaux Montaigne : la mobilisation obtient une cellule de gestion des VSS indépendante de la présidence

Bordeaux Montaigne : la mobilisation obtient une cellule de gestion des VSS indépendante de la présidence

Les Beaux-Arts de Strasbourg occupés et en grève contre le renforcement de la sélection

Les Beaux-Arts de Strasbourg occupés et en grève contre le renforcement de la sélection

Etats-Unis. Solidarité avec les étudiants de l'université de Columbia réprimés !

Etats-Unis. Solidarité avec les étudiants de l’université de Columbia réprimés !