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Etats-Unis

Biden contre Trump : une élection pleine d’incertitudes pour l’impérialisme américain

Les élections présidentielles américaines auront lieu cette nuit, dans un contexte de déclin de l'impérialisme américain, avec une crise sanitaire et économique mondiale. Quiconque sera élu se trouvera face à une situation sans précédent, et à un mécontentement croissant au sein de la population.

3 novembre 2020

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Article initialement publié en espagnol sur La Izquierda Diario

La pandémie de coronavirus, son déni par Trump, la récession économique américaine et mondiale, et la résurgence de la lutte des classes, avec d’immenses mobilisations contre le racisme et la répression policière, les plus importantes de l’histoire du pays : autant de facteurs qui conditionnent les élections présidentielles de ce 4 novembre.

Le régime américain a traditionnellement été traversé par de fortes divisions entre les deux grands partis sur les questions nationales, tant au sein même du Congrès qu’entre le gouvernement national et les différents États. Tout cela reste d’actualité. Mais au-delà des affaires intérieures, il y a un état d’alerte dans la bourgeoisie. Les enjeux internationaux ont, historiquement, fait l’objet d’un plus grand consensus. Or, ce consensus se heurte aujourd’hui à plusieurs obstacles, compte tenu du déclin de l’hégémonie américaine et de l’émergence de la Chine en tant que puissance économique et technologique.

Le renforcement des suprémacistes blancs et des manifestations d’extrême droite, ainsi que l’émergence de la Chine en tant que puissance capitaliste capable de défier l’hégémonie impérialiste américaine, sont autant de facteurs qui ne se résoudront pas à la faveur d’un simple nouveau mandat.

Une hégémonie en déclin dans un monde en déclin

Les États-Unis perdent de plus en plus de terrain dans leurs relations commerciales et sur des questions telles que la technologie, ce qui, avec la pandémie, a accéléré le conflit avec la Chine. Le discours sur le "virus chinois" exprime non seulement la xénophobie, mais aussi l’inquiétude face à la réduction des exportations chinoises de produits de santé, le désir de battre la Chine dans la course au vaccin et l’inquiétude de la dépasser dans sa reprise économique. La Chine, qui a maîtrisé la pandémie sur son territoire, a fait état d’une croissance annuelle de près de 5 % de juin à septembre 2020. Cette croissance porte cependant le poids de la profonde contraction économique et des fermetures d’entreprises que le géant asiatique a subies après l’explosion mondiale de Covid-19. Depuis 30 ans, la Chine connaît une croissance économique soutenue, principalement grâce au faible coût de la main-d’œuvre de travailleurs surexploités grâce auxquels elle s’est réinsérée dans le capitalisme mondial, devenant un pôle d’attraction pour le capital international. Au début de l’année 2020, ce schéma s’est brisé.

Le commerce extérieur est le principal facteur de la reprise économique actuelle de la Chine. Les exportations et les importations ont augmenté respectivement de 10 % et 13 % depuis le début de la pandémie. Il est peu probable que la guerre commerciale avec les États-Unis soit résolue ; au contraire, elle va s’aggraver. Les niveaux élevés de relance budgétaire ont également contribué à la croissance, mais peuvent entraîner des déficits. L’aide fiscale, le tourisme et la réouverture des services et des commerces s’inscrivent tous dans une tentative de relance du marché intérieur chinois, alors que les autorités s’efforcent de regagner le terrain économique perdu, même si le coronavirus réapparaît dans de nombreuses régions du monde.

Les conflits commerciaaux, technologiques et géopolitiques entre les États-Unis et la Chine s’intensifieront quel que soit le résultat des élections. Si la guerre commerciale de Trump avec Xi Jinping a aiguisé la bataille stratégique, l’impérialisme était déjà préoccupé par la menace d’une influence chinoise croissante sous l’administration Obama. C’est pourquoi Obama a promu le fameux pivot vers l’Asie pour renforcer la présence militaire américaine et consolider les liens diplomatiques dans la région. Aujourd’hui, dans les débats et les discours, Trump et Biden s’accusent mutuellement de ne pas mener des politiques suffisamment sévères envers le géant asiatique.

Les conseillers de Biden eux-mêmes affirment que son administration poursuivra des politiques agressives, telles que l’augmentation des droits de douane et poursuivre la course à l’innovation technologique, tout en cherchant, par ailleurs, une plus grande collaboration en matière de production et de commerce que Trump. Pour autant, la question fondamentale - la domination impérialiste du monde - ne peut être résolue seulement par le retour à un gouvernement plus modéré. Cette bataille stratégique va au-delà de la question de savoir qui est président, il ne peut y avoir de perspective pacifique pour le conflit autour de l’hégémonie mondiale.

L’influence des États-Unis dans d’autres régions est également en déclin. L’Amérique latine, « arrière-cour » historique de l’impérialisme américain, en est un exemple assez éloquent. En dehors de l’accord commercial signé avec le Mexique, l’administration Trump n’a pas retrouvé son hégémonie régionale, mais a perdu du terrain économique au profit de la Chine, qui est devenue un partenaire commercial important pour plusieurs pays d’Amérique latine. Elle a également été battue lors de la tentative de coup d’État de Juan Guaidó au Venezuela, et a subi un échec retentissant en Bolivie lorsque les putschistes – arrivés au pouvoir après le coup d’État orchestré par la CIA - ont été défaits aux élections par le MAS. Trump s’est consacré sur des accords au Moyen-Orient pour tenter d’afficher des succès en matière de politique étrangère.

Les gagnants et les perdants de la politique économique de Trump

L’économie, principal argument de la réélection de Trump, s’effondre non seulement à cause du coronavirus, mais aussi à cause de contradictions structurelles et de la faiblesse de l’économie internationale, aujourd’hui en fort déclin. À l’exception de la Chine, aucune des grandes économies mondiales ne devrait voir son PIB augmenter. Trump prétend avoir amené l’économie américaine à son plus haut niveau jamais atteint, mais la croissance annuelle avant 2020 était en fait similaire à celle de la plupart des années Obama - 2,5 % en moyenne - et bien plus faible qu’en Chine. Les chiffres ne sont même pas proches des niveaux de croissance les plus élevés des États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, et ne dépassent même pas ceux des années 1990 et 2000.

Mettant l’accent sur la croissance, Trump souligne la bonne performance du marché boursier, qui a largement bénéficié sous son administration de la déréglementation, des taux d’intérêt, des réductions d’impôts pour les secteurs les plus riches et des énormes plans de relance adoptés par le Congrès avant et après la pandémie. Le président se vante que l’indice Dow Jones a atteint des niveaux historiques sous son administration, ce qui est vrai, mais il a également subi sa plus forte baisse cette année, en raison de l’incertitude économique mondiale et de la gestion erratique de la pandémie. La priorisation des profits réalisés sur les marchés financiers a affecté les secteurs industriel, commercial et agricole.

La promesse de Trump était que les Américains « oubliés » de la mondialisation ne le seraient plus. Ce discours s’adressait (et continue de s’adresser) aux travailleurs de la Rust Belt (le secteur industriel du centre nord-est du pays), aux agriculteurs et aux propriétaires de petites entreprises. L’augmentation des droits de douane sur les biens importés pour favoriser l’industrie n’a permis la reprise que de secteurs très spécifiques, comme l’acier, tout en nuisant aux consommateurs ainsi qu’à d’autres secteurs industriels en raison des taxes que d’autres pays ont établis en représailles. C’est notamment le cas de l’industrie automobile, de l’électroménager, de l’informatique et du bois, ainsi que de la production d’engrais et de produits agrochimiques, de pesticides et de cuir, avec les conséquences qui en découlent pour l’agriculture et l’élevage. Pendant ce temps, la pandémie a accéléré le déclin industriel américain, et les électeurs ouvriers de Trump 2016 ont vu le chômage augmenter et des usines fermer. En août, le chômage a dépassé les 10 % dans les zones industrielles de l’Ohio et de la Pennsylvanie, en plein cœur de la "Rust Belt". De nombreuses familles de la classe ouvrière de ces régions ont perdu des êtres chers à cause du virus.

Ces derniers jours, des statistiques ont été publiées qui parlaient d’une grande reprise économique et, bien sûr, Trump s’y est accroché comme à une bouée de sauvetage. Mais à quelques jours du 3 novembre et avec plus de 90 millions de votes déjà exprimés par le biais d’une forme de vote anticipé, l’effet qu’elles pourraient avoir est probablement très faible.

Le vote de la Rust Belt variera en fonction des régions. Certaines continueront à soutenir Trump, d’autres reviendront au vote Démocrate, qui a historiquement caractérisé ces régions. Dans la Slate Belt de Pennsylvanie, par exemple, Trump est en tête des sondages, tandis que Biden l’est dans les centres sidérurgiques urbains comme Easton et Bethléem. Hillary Clinton avait perdu ces secteurs de 15 points en 2016, et Biden a considérablement réduit cet écart. En raison de son importance au sein du Collège électoral, si Biden gagne des États clés comme la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin, il a de fortes chances d’être élu.

Trump a gagné ces Etats en 2016 à cause de l’économie ; cette fois, il pourrait les perdre pour la même raison, combinée au mécontentement suscité par le racisme systémique. Ces dernières années, des changements démographiques importants expliquent les tensions raciales et les débats sur l’immigration que M. Trump a encouragés avec son programme de droite. De 2000 à 2015, la population non-américaine du Midwest a augmenté de plus de 35 %, ce qui a modifié la démographie historiquement blanche de la région. En outre, l’afflux d’étudiants universitaires qui se rendaient traditionnellement dans d’autres États a été plus important. Tout cela a transformé la composition et stimulé l’économie de la région des Grands Lacs.

Les régions dont l’économie est la plus ruinée sont aussi, dans certains cas, la base de Trump. Il est considéré comme celui qui peut faire face aux effets économiques de la pandémie. C’est dans ces zones industrielles que la présence de bandes de suprémacistes blancs est la plus forte, précisément parce que c’est là que la ségrégation raciale est la plus forte et que la polarisation politique et raciale est la plus profonde.

Trump dit qu’il est « le président qui a fait le plus pour les Afro-Américains, à l’exception peut-être d’Abraham Lincoln ». Cette déclaration est basée sur le taux de chômage de la communauté noire sous son administration : il était de 3,5 % en 2019, le plus bas depuis 50 ans. Mais les emplois offerts aux Noirs sont généralement peu rémunérés et précaires, comme on l’a vu clairement pendant la pandémie. Il a fallu quelques mois pour que ce faible taux de chômage augmente de plus de 10 points chez les travailleurs noirs et latinos, employés principalement dans les hôtels, les restaurants, le tourisme, les services de livraison, les supermarchés, ou encore comme aides à domicile. En clair, les emplois les plus exposés au virus. Tout indique qu’ils seront les grands perdants de la pandémie et que la reprise que prévoit Trump, loin de la « forme en V » (forte chute, mais avec une reprise rapide) va creuser les inégalités. Certains économistes parlent d’une reprise en « K » (reprise inégale selon les secteurs de l’économie), dans laquelle les secteurs les plus riches verront leurs profits augmenter (comme ils l’ont fait tout au long de la pandémie) et les plus faibles verront leurs revenus diminuer encore. Les travailleurs dont le pouvoir d’achat est le plus faible ont déjà subi une baisse de 47 %, alors que la baisse pour les travailleurs ayant un pouvoir d’achat plus élevé n’a été que de 13 % en moyenne.

Les plans de relance, l’assurance chômage et les aides fédérales ont contribué à atténuer les conséquences économiques, mais une grande partie de la classe ouvrière a peu à perdre. Les sociétés capitalistes ne sont pas prêtes à renoncer aux avantages des bas salaires et de la flexibilité accrue du travail imposés pendant la pandémie. Même dans le cadre d’un mandat de Biden, qui prétend donner la priorité aux travailleurs et surtout aux Noirs et aux Latinos, la classe ouvrière devra se battre pour ne pas payer les conséquences de la crise. C’est d’ailleurs cette classe ouvrière précaire, de couleur, qui a notamment pris part aux manifestations de Black Lives Matter (BLM) et qui a mené de nombreuses luttes dans le monde du travail en 2020.

Parmi les agriculteurs, le soutien à Trump persiste, même s’ils ont été les plus durement touchés par la guerre commerciale avec la Chine, celle-ci étant le plus gros acheteur de produits agricoles du pays. Les agriculteurs ont même organisé des manifestations, déversant leurs produits dans leurs champs pour dénoncer les bas prix dus à la pandémie. Mais ils ont également bénéficié du plan de relance de 28 milliards de dollars, qui a acheté leur soutien à Trump. Ce secteur considère la Chine comme un concurrent déloyal et spéculateur si bien que la plupart soutiennent les droits de douane, malgré leurs effets négatifs à court terme.

Les zones rurales représentent également une part importante du vote évangélique. D’après les sondages, ces communautés continuent de soutenir Trump avec une écrasante majorité de 80 %, ce qui coïncide avec le fait que Trump fait de la lutte contre les droits reproductifs l’un de ses principaux étendards, signant même des déclarations internationales et, surtout, en ce sens, et nommant Amy Coney Barret à la Cour suprême. L’alignement avec Israël suscite également une grande sympathie parmi les évangélistes.

Le Parti républicain dans une impasse

Les changements dans l’électorat du Parti républicain expriment la tension historique entre le soutien traditionnel de ce parti à un commerce plus ouvert et la position défendue par les secteurs de la bourgeoisie plus concentrés sur le marché intérieur, qui promeuvent le protectionnisme et se positionnent de manière plus agressive sur la scène internationale. Le gouvernement Trump n’a pas tenu ses promesses de restaurer la position des entreprises américaines, d’augmenter l’emploi ou de réduire le déficit commercial. Un bilan qui révèle les limites du protectionnisme, tant le capital américain préfère la main-d’œuvre bon marché aux principes nationalistes et la spéculation financière à la production, et tant il ne peut échapper à l’internationalisation d’une économie mondiale dont il est le plus grand débiteur.

La crise du parti Républicain va beaucoup plus loin. Les « Never-Trumpers » du parti travaillent dur pour faire élire Biden. Certains ont même reçu l’assentiment du candidat démocrate pour faire partie de son cabinet. Beaucoup ont mis en cause l’absence d’un nouveau programme et le culte qui entoure la figure présidentielle, qui ne fait qu’exploiter son profil de personnalité « extérieure » à la politique de l’establishment américain. Ils considèrent que Trump altère les valeurs républicaines traditionnelles et craignent qu’il ne détruise le parti à jamais. Pendant ce temps, les démocrates exploitent les discussions ouvertes sur la race, les questions de genre ou la liberté d’expression tandis que le parti Républicain a développé ses liens avec l’alt-right (extrême-droite) même au niveau international, ce qui crée une grande instabilité au sein du régime du parti. Trump soutient agressivement ce secteur avec l’intention de créer une forte polarisation des élections, en les mobilisant en faveur de ses propres intérêts. Le Parti fait savoir de plus en plus clairement qu’il en a assez de cette situation, ainsi que des tensions sociales croissantes.

Le Parti démocrate pris entre ses engagements auprès du grand capital et sa base sociale

Le Parti démocrate a connu des primaires présidentielles mouvementées. Début février 2020, il semblait que le sénateur du Vermont Bernie Sanders avait suffisamment de marge de manœuvre pour vaincre l’establishment démocrate. Mais il n’a pas réussi. Les dirigeants démocrates ont pris une décision risquée : le parti reste fidèle au grand capital en disciplinant son aile insurgée, trahissant ainsi les attentes de centaines de milliers de partisans de Sanders.

En 2016, Barack Obama et Hillary Clinton avaient investi d’énormes ressources pour empêcher Sanders de devenir candidat. Rétrospectivement, ils l’ont fait sans grand coût politique. Cette fois-ci, Sanders a joué un rôle central, soutenant avec enthousiasme Biden - assurant à ses jeunes partisans multiethniques et précaires que l’unité du parti est primordiale. Il n’a même pas exigé que le programme de Biden n’inclue une partie de ses promesses électorales. Le soutien de Sanders a ainsi donné à l’establishment l’espace nécessaire pour pousser le programme du parti vers la droite, avec Biden comme candidat de la stabilité capitaliste.

Alors que Biden est en tête des sondages, beaucoup considèrent l’élection présidentielle comme un référendum sur le gouvernement Trump. Le coup violent constitué par la pandémie a rendu explique cette situation. La mauvaise gestion de Trump et la crise économique qui promet de se transformer en une longue récession ont effet apporté un coup de pouce supplémentaire au Parti démocrate. En mai, après trois mois de quarantaine et alors que le chômage augmentait fortement, les masses sont entrées en scène. Les meurtres racistes de George Floyd et de Breonna Taylor ont choqué le pays et ouvert un deuxième chapitre du mouvement de masse BLM.

Pour les démocrates, le soulèvement du BLM génère une grande contradiction. D’une part, celui-ci a participé à attiser la haine de Trump. Comme les sondages semblent l’indiquer, de nouvelles sections d’électeurs se sont mobilisées pour se débarrasser de lui. Mais d’un autre côté, le mouvement BLM a confronté le Parti démocrate à un problème : il a poussé la situation à gauche, a mis le racisme systémique à l’ordre du jour national et a porté un coup sévère à la légitimité de l’un des piliers de l’État : la police. Le mouvement a ainsi laissé une base d’électeurs, lassés des deux grands partis du capital et du racisme structurel. Une avant-garde de jeunes et de travailleurs qui a rompu avec les illusions selon lesquelles il existe une différence significative entre les programmes des Démocrates et des Républicains et l’idée que des réformes peuvent être obteues en votant pour des candidats progressistes - illusions que l’aile gauche du parti démocrate continue de promouvoir. Cette radicalisation croissante n’affectera pas nécessairement cette élection - beaucoup voteront Biden, comme un « moindre mal », en se pinçant le nez - mais l’émergence de cette avant-garde pourrait être le prologue d’un profond processus de rupture avec les Démocrates, dans un contexte de crise déjà historique concernant la relation du parti avec le mouvement de masse.

Les Démocrates sont déjà confrontés à de profondes contradictions. Ils ont réussi à détourner le mouvement BLM vers les urnes - aidés en cela par la faible convergence des travailleurs avec le mouvement, le refus de la bureaucratie syndicale d’expulser les syndicats de police des rangs du mouvement ouvrier, et l’absence de stratégie claire pour que BLM se développe sur une voie révolutionnaire - mais le mouvement BLM n’a pas été vaincu. La force que le Parti démocrate a réussi à rassembler ne peut d’ailleurs s’expliquer sans prendre en compte le rôle de son aile gauche, qui a promu des candidats « progressistes » - en particulier des Afro-Américains et des Latinos comme la candidate au Congrès Cori Bush dans l’État du Missouri, dans le Sud du pays - dans la lutte de rue contre la violence raciste. Lorsque ces candidats gagnent, leur victoire reflète le glissement vers la gauche au sein de la base du Parti démocratique, qui à son tour contribue au renforcement de ce parti capitaliste traditionnel. C’est donc le mouvement de rue - même s’il est coopté - qui offre des perspectives favorables aux Démocrates. L’élection éventuelle de Biden impliquera pour lui de naviguer entre la crise économique, la délégitimation politique, ses engagements envers le capital et la nécessité de garder le mouvement de masse sous contrôle - avec la crise sanitaire qui continue et une longue récession à venir.

La bourgeoisie, pour sa part, est divisée. La crainte que les résultats ne délégitiment les institutions électorales et ne produisent un gouvernement faible a poussé le grand capital à s’aligner derrière Biden. Malgré les turbulences du gouvernement Trump, les présidents sont généralement réélus. C’est pourquoi, jusqu’à récemment, Trump continuait à bénéficier du soutien de Wall Street. Alors que Biden montait dans les sondages, les représentants de Wall Street ont commencé à craindre l’éventualité d’une défaite de Trump, et la perspective que les impôts augmentent à nouveau. Ce n’est pas un secret qu’ils étaient heureux avec Trump. Selon l’analyste Steven Pearlstein, en juillet, le lobby financier « se sentait protégé ».

Jusqu’à présent, les contributions de Biden à la campagne sont quatre fois supérieures à celles de Trump. Les investisseurs craignaient initialement une « vague bleue » (pour la couleur des démocrates, NduT), mais un report ou une contestation des élections est encore plus inquiétant », ont récemment déclaré les analystes de l’UBS. Une enquête de la Bank of America auprès des gestionnaires de fonds montre que 61 % des investisseurs interrogés pensent que les résultats seront contestés devant la Cour suprême - et donc déstabiliseront les marchés. Les secteurs du pétrole et de la construction restent largement opposés à Biden. Ce que Pearlstein omet de dire, c’est que pendant ces décennies de néolibéralisme sauvage, les administrations tant démocrates que républicaines ont utilisé tous les outils possibles pour assurer "une redistribution annuelle d’un trillion de dollars des travailleurs aux investisseurs". Les démocrates et les républicains sont les architectes d’une économie basée sur le capital financier, dans laquelle chaque crise écrase les petits épargnants. Sous l’administration Obama, d’importants plans de sauvetage sont allés directement à Wall Street après l’effondrement de la bourse en 2008. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de tensions entre Wall Street et le Parti démocrate. Il existe des tensions vivantes dans la manière de faire face à la crise économique. Ce qui préoccupe le plus Wall Street aujourd’hui, c’est le renforcement de la réglementation financière, suivi par le programme pro-travail de Biden - des préoccupations partagées par plusieurs secteurs de la bourgeoisie.

Les dirigeants syndicaux à la rescousse, encore une fois

Biden met en avant la loi PRO (Protect the Right to Organize Act), la plus importante réforme du travail dans l’histoire récente du pays. Elle donne à la loi fédérale un plus grand pouvoir pour offrir aux travailleurs du secteur privé une plus grande protection et une meilleure capacité d’organisation. Elle augmente les sanctions pour les employeurs qui violent les droits du travail, interdit aux employeurs d’interférer dans les élections syndicales et exige un nouveau protocole pour résoudre les conflits dans les négociations contractuelles. Biden soutient également l’application à l’échelle nationale de la réglementation "ABC" qui empêche les travailleurs d’être classés comme entrepreneurs indépendants et donc de se voir refuser la protection du travail et des avantages tels que les soins de santé. Il a également promis aux syndicats qu’il augmenterait le salaire global des employés du gouvernement fédéral. La droite anti-ouvrière riposte déjà, avec le mensonge éhonté selon lequel la loi PRO donnerait aux syndicats du secteur public le droit de s’organiser dans des États qui l’interdisent désormais (ce qui n’est pas le cas).

Les principaux dirigeants syndicaux font de leurs côtés campagne pour Biden en le présentant comme un candidat pro-syndical et pro-ouvrier. Sa rhétorique pro-syndicale était d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles Obama l’avait choisi comme colistier. Mais les Démocrates ont toujours tenu des discours démagogiques comme celui-ci. Ces mesures ne deviendront réalité que dans le cadre d’une lutte des classes remettant en question le profit capitaliste. Les démocrates avaient une majorité dans les deux chambres du Congrès sous l’administration Obama et n’ont jamais adopté le PRO Act. Ce n’est pas pour rien que des cabinets d’avocats profondément anti-syndicalistes comme Jackson Lewis sponsorisent avec enthousiasme la campagne de Biden.

Il n’y a rien de pro-travailleur dans le CV de Biden. En 1977-78, au cours d’une grande campagne syndicale en faveur d’une nouvelle réforme du travail, il a tergiversé pendant des mois et a saboté la proposition avec des critiques publiques constantes. Il a rédigé le projet de loi sur les faillites de 2005 qui récompensait les créanciers et punissait les débiteurs. Pire encore, il a été l’un des principaux auteurs législatifs du Crime Bill responsable d’un emprisonnement massif qui a dévasté toute une partie de la classe ouvrière américaine.

Biden propose de limiter l’avancée de l’offensive néolibérale contre le secteur des travailleurs afin de « revenir au point où nous en étions ». Mais une administration démocratique devra gérer la crise et la récession prévue si elle veut sauver le capitalisme, et le capital attend de son candidat qu’il impose les plans d’austérité nécessaires. En période de boom, les Démocrates ne font rien et peu pour la classe ouvrière ; en période de crise, ils se préparent à en faire payer le prix aux travailleurs. Les gestes de Biden visent d’abord à restaurer les relations entre le Parti démocrate et les travailleurs syndiqués, après la scission avec le mouvement syndical opérée en 2016 avec l’émergence de Trump.

Polarisation, lutte des classes et rapports de force

L’une des caractéristiques les plus dynamiques de la crise organique qui se développe aux États-Unis peut être observée au sein des deux partis traditionnels du capital impérialiste et dans leurs propres crises. Comme l’a écrit Stephen Metcalf, ancien rédacteur du discours d’Hillary Clinton, dans le New Yorker, en s’adressant à Ezra Klein, fondateur de Vox, dans son livre Why We’re Polarized :

Les partis démocrates et républicains ont autrefois fait le travail du libéralisme sur le plan interne. Ils tempèrent les passions, obligent des personnes dissemblables à coexister et règlent les différends par des compromis. Comme l’explique Ezra Klein, ils ont également formé un duopole attaché au respect de la morale, notamment sur la question de la race. Puis, dans les années 1960, les démocrates ont adopté d’importantes lois sur les droits civils et l’électorat américain a entamé une restructuration majeure. Alors que les électeurs noirs gravitaient autour des Démocrates, les électeurs blancs fuyaient vers les Républicains. Au fil du temps, les effets se sont répandus. Les habitudes de vote sont désormais fortement corrélées avec la religion, la race, l’ethnie, le genre et le lieu de résidence. À l’ère de Trump, chaque parti a une vision du monde qui est cohérente sur le plan interne, et ces visions du monde sont mutuellement exclusives et hostiles les unes aux autres. Nos moi sociaux et partisans ont presque fusionné.

La crise du Parti républicain est existentielle. Sa « vision du monde », selon Klein, est incompatible avec les changements démographiques et idéologiques des deux dernières décennies. Les deux grandes crises capitalistes du XXIe siècle, en 2008 et maintenant en 2020, ont façonné de nouvelles générations multi-ethniques. Les jeunes de la classe ouvrière et de la classe moyenne éduquée n’attendent plus que le système les fasse bien vivre. Ces jeunes s’informent par les réseaux sociaux et, dans leurs familles, ils font le lien entre plusieurs générations : que ce soit au travail ou à l’école, ils peuvent jouer un rôle en contribuant au financement et au changement de culture. Nous pouvons ainsi observer des changements idéologiques dans la communauté latino :

On pourrait facilement supposer que les électeurs latinos sont occupés par une seule question, axée sur l’immigration, mais le groupe de Kumar a trouvé autre chose. "Tout est question de soins de santé dans la communauté latino", a-t-il déclaré. Les Latinos font souvent partie de la "génération sandwich" à un âge beaucoup plus précoce que l’Américain moyen, chargé de s’occuper des parents plus âgés et des enfants plus jeunes. Et comme le COVID frappe durement les Latinos, les soins de santé sont particulièrement importants en 2020.

Les jeunes Latinos font ainsi pression pour adopter un programme qui se heurte au conservatisme du Parti républicain. On peut dire la même chose des jeunes blancs de la classe moyenne qui, grâce à de nombreux sacrifices familiaux, parviennent à aller à l’université au prix d’une vie de dettes. Aux conditions matérielles des soi-disant "Millennials" et de la "Génération Z", il faut ajouter qu’ils sont antiracistes, anti-oppression, et pleinement conscients de la menace du changement climatique. Ce n’est pas un hasard si ces jeunes ont émergé comme un secteur de plus en plus conscient que le capitalisme n’a rien à offrir.

Mais comme pour toute polarisation, la radicalisation n’est pas seulement à gauche. Beaucoup de personnes appauvries et défavorisées par le néolibéralisme dans les banlieues et les petites villes des États-Unis, ainsi que les membres de la classe ouvrière qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer à l’époque d’Obama, ont cessé de croire en l’establishment et ont adopté la variante Trump du populisme de droite. Aujourd’hui, le parti traditionnel du conservatisme américain manque de leadership et de vision stratégique. Il se trouve à la croisée des chemins : se soumettre à son aile intensément réactionnaire ou se "réinventer". C’est un problème souligné par les analystes bourgeois à l’intérieur et à l’extérieur du parti :

Le Parti républicain a utilisé une stratégie d’arrière-garde, en se servant de la question des salaires pour résister au tic-tac de l’horloge dans un pays en mutation. Cette stratégie a aidé les républicains à gagner les élections, mais elle a été remarquablement myope. Le temps rattrape le GOP (Grand Old Party, surnom du parti républicain, NduT). Ses fidèles électeurs sont de moins en moins nombreux et freinent toujours la transformation du parti. Il ne peut pas se réinventer sans risquer de perdre son soutien et, en tout cas, ne pourrait pas se réinventer de manière suffisamment convaincante pour un changement de cap rapide.

Dans le monde d’Occupy Wall Street, de la Marche des femmes, de #MeToo et de BLM, il y a peu de place pour le programme réactionnaire des Républicains. En même temps, abandonner le programme raciste, anti-avortement et anti-immigrants pourrait aliéner les électeurs républicains intransigeants. Le programme conservateur a un poids important dans le pays, comme le montrent les manifestations contre le confinement qui ont eu lieu au niveau national et qui ont donné à Trump le soutien social nécessaire pour rouvrir l’économie prématurément. Ce qui inquiète, ce n’est pas l’ampleur de ces manifestations, qui représentent généralement une petite minorité, mais le soutien enthousiaste que leur apporte Wall Street. Les principales sections de l’establishment hégémonique se sont détournées de Trump pour se tourner vers Biden, mais seulement parce qu’elles voient en lui un moyen nécessaire pour pacifier le mouvement de masse et faire avancer le programme impérialiste.

Le cours que prendra le GOP après les élections dépendra de la profondeur de la crise économique, de l’ampleur de la crise sanitaire et de la lutte des classes. Trump n’est pas un fou isolé à la Maison Blanche, mais représente une véritable aile de la bourgeoisie américaine et une partie des masses désenchantées qu’elle utilise comme base de son programme ultra-réactionnaire. Quoi qu’il arrive en novembre, le trumpisme en tant que phénomène politique créé par la crise organique est là pour rester.

Le Parti démocrate espère à son tour récupérer la Maison Blanche et peut-être le Sénat. Elle devra répondre aux aspirations de sa base sociale (fortement ancrée dans le mouvement ouvrier traditionnel, les classes moyennes des grandes et moyennes villes, ainsi que les communautés noires) et aux besoins du grand capital, générés par la crise actuelle. Ceux qui parient que le gouvernement Biden tiendra ses promesses de campagne et mettra en œuvre des réformes radicales (comme une grande partie de la gauche, y compris DSA) font l’autruche. L’impérialisme américain n’est pas en mesure de faire des concessions au mouvement de masse, soit à cause de la crise intérieure, soit à cause de sa faible hégémonie mondiale, et les Démocrates devront mettre en œuvre le programme impérialiste dicté par les commanditaires de Biden. La stratégie de Biden consiste à créer un nouveau centre politique, un nouveau consensus bourgeois qui permettra aux États-Unis de surmonter leur crise externe et interne, mais il semble très peu probable qu’il réussisse, compte tenu des conditions actuelles.

Même si tout semble favoriser Biden le 3 novembre, il n’est par ailleurs pas exclu que Trump gagne. La Floride et la Pennsylvanie, qui peuvent déterminer l’issue, sont en dispute. Une marge étroite dans l’un ou l’autre État permettrait à Trump de contester l’élection. Si cela aboutit devant les tribunaux, les éléments de la crise organique auront tendance à s’exprimer pleinement. La gauche socialiste doit se préparer pour la période à venir.

Perspectives socialistes

Face à une élection dont l’issue est imprévisible, la plus grande organisation socialiste du pays, DSA, a franchi des pas supplémentaires vers la droite. Après l’échec retentissant de Sanders aux élections internes, et après avoir apporté leur soutien à Biden, la plupart des dirigeants de DSA, proches du magazine Jacobin, ont également commencé à soutenir Biden en se basant sur le fait que Trump représenterait le fascisme dans le pays. De l’appel à voter pour le "moindre mal", Jacobin est passé directement à exhorter Biden à tenir ses promesses de campagne. Si le front uni bourgeois fonctionne et que Biden gagne les élections, la DSA aura avancé un peu plus encore dans son intégration au régime capitaliste par le biais du Parti démocrate

Il s’agit maintenant de se préparer à l’éventualité d’un gouvernement Démocrate qui, en pleine pandémie, s’attaquera inévitablement aux travailleurs et aux masses parce qu’il aura également reçu la tâche stratégique de regagner le terrain perdu dans l’ordre mondial avec un programme impérialiste agressif. Pour les socialistes, cela signifie que nous devons nous délimiter des Démocrates maintenant. Nous devons affirmer clairement que Biden trahira toutes les attentes de la classe ouvrière et des opprimés, en particulier de la communauté noire. Bien que nous n’ayons pas vu de rupture significative avec le Parti démocrate, une présidence Biden pourrait accélérer l’expérience de l’avant-garde. Elle ouvre la possibilité de l’émergence d’une nouvelle organisation socialiste révolutionnaire aux États-Unis, construite avec l’avant-garde antiraciste, l’avant-garde des travailleurs qui ont fait face à la pandémie, et de nouveaux secteurs qui se radicalisent dans le feu de la crise. S’il y a une lutte de classe sous forme de résistance contre les plans d’austérité ou un nouveau réveil du mouvement antiraciste, nous, socialistes, avons la responsabilité de déployer un programme révolutionnaire et de proposer une alternative politique.

Si Trump conteste le résultat de l’élection, il remettra en question tous les droits démocratiques fondamentaux. Nous ne pouvons pas laisser la défense du vote et des droits démocratiques aux démocrates, ces mêmes personnes qui ont utilisé toutes sortes de manœuvres contre leur propre aile interne en désaccord. Ce scénario nous oblige, en tant que socialistes, à nous préparer à intervenir de manière indépendante pour défendre inconditionnellement les droits démocratiques de la classe ouvrière et des opprimés aux États-Unis. Notre perspective doit être celle d’un front uni de travailleurs syndiqués, de travailleurs non organisés et du mouvement BLM pour unifier la lutte pour la défense des droits démocratiques, contre le racisme et contre les plans d’austérité que les capitalistes veulent mettre en œuvre.

Cela a également une composante internationale. Les deux partis traditionnels se préparent à des tensions plus importantes avec la Chine et à tenter de rétablir l’hégémonie américaine dans le monde. Qu’elles soient dirigées par Biden ou Trump, les sanctions se poursuivront contre des pays comme le Venezuela, l’Iran et Cuba qui refusent de se soumettre aux plans élaborés par l’impérialisme américain. L’alliance stratégique avec Israël se poursuivra. Les troupes américaines resteront au Moyen-Orient. Le Mexique et le reste de l’Amérique latine subiront la même oppression extrême. Que ce soit par un retour au multilatéralisme néolibéral ou par l’approche « America First » de Trump, le déclin de l’empire fera souffrir les masses des pays opprimés. La gauche socialiste américaine a donc une tâche urgente : construire une forte opposition aux plans impérialistes du régime bipartite.

Traduction : Julian Vadis et Pablo Morao


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