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Brexit : un air de Lehman Brothers ?

Traduction d'un article de Paula Bach du 29/06/2016

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Bien que finalement le Brexit ait obtenu le vote majoritaire au Royaume-Uni, beaucoup d’eau va encore passer sous les ponts. Les résultats immédiats sont connus : la livre sterling s’effondre, atteignant son minimum depuis 1985 – bien que le pari de G.Soros en 1992 la fit chuter de façon plus prononcée –, les bourses du monde entier ont enregistré un vendredi noir et sur certains marchés – comme les monétaires ou ceux des actions bancaires européennes – les prix ont bougé plus dramatiquement que pendant le « krach sauvage » de 2008, selon le Financial Times.

Les mouvements descendants se sont poursuivis lundi, et hier (le 28/06) les bourses ont vécu une prise des profits. On peut imaginer aussi que dans les prochains jours, semaines, et peut-être mois, les « marchés » continuent de connaître une vaste agitation. Et le problème est que, quand on parle de mois, la conjoncture commence à se confondre avec le moyen et long terme. Quand ce qui est simple et évident commence à donner lieu à plus profond et difficile à prévoir : quel scénario inaugure le Brexit ? Dans quelle mesure pourrait-il donner lieu à une situation similaire à la chute de Lehman Brothers ? La réponse - peut-être plus que d’habitude – est loin d’être simple.

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Les rêves et la réalité

En premier lieu, il est nécessaire de recontextualiser. Le scénario dans lequel a lieu l’entame de processus de sortie de l’UE par le Royaume-Uni est nettement plus dramatique que celui dans lequel se produisit la crise de 2007 aux Etats-Unis et la chute de Lehman fin 2008.

La « stagnation séculaire » - comme l’appelle les néokeynésiens – ou dit autrement, une croissance faible sous perfusion de stimulus monétaires et taux d’intérêts historiquement bas, tendances à la déflation, des niveaux d’investissement très bas et une productivité en stagnation – malgré les grandes avancées technologiques – combinée à des tensions financières constantes, c’est le format qu’a pris la faible récupération post-crise 2008/9 dans les pays centraux. La Chine – la principale contre-tendance d’alors et pivot « réel » des stimulus financiers dans le centre – a déjà développé trop de contradictions internes et externes pour continuer à jouer aujourd’hui un rôle similaire. Le spectre d’une « seconde mi-temps » récessive hante l’économie mondiale.

Et l’inclinaison pour le Brexit avec sa charge xénophobe fait partie du même film. En lien avec d’autres scénarios de polarisation et crises des régimes politiques comme le phénomène Trump et sa contrepartie - Sanders – aux Etats-Unis, Marine Le Pen et la vague de grèves et mobilisations en France ou la croissance du mouvement des Cinq Etoiles italien entre beaucoup d’autres, qui sont la conséquence de huit années pendant lesquelles la Grande Récession fut suivie par une longue période de stagnation. Ce qui a empiré substantiellement les conditions d’existence déjà détériorées -dans les « bonnes » années néolibérales – de larges franges ouvrières dans les pays centraux.

Délocalisation productive, désindustrialisation, croissance accélérée des inégalités, utilisation perverse de l’immigration comme main d’œuvre bon marché, sont tous des phénomènes qui avançaient depuis les décennies précédentes. Ils se sont sans aucun doute amplifiés et leurs effets se sont retrouvés au premier plan étant donné la combinaison de la croissance basse avec les grandes limites d’accès à la consommation via le crédit, qui avait prévalu comme facteur limitant dans les décennies précédentes. Dit autrement, toutes ces conditions ont mis à terre le « rêve américain » - entendu génériquement – dans les pays centraux.

Brexit, et après ?

Pour que commencent les deux ans – au minimum – que nécessite la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne et que se négocient les conditions, le gouvernement britannique doit invoquer l’article 50 du traité de Lisbonne, c’est-à-dire déclarer son intention d’abandonner l’Union. Malgré la pression de l’UE, le moment où se formalisera cette déclaration n’est pas clair et Cameron, premier ministre sortant, aurait exprimé son intention de laisser la tâche dans les mains du prochain gouvernement qui devrait se former avant octobre.

Pour l’instant, il n’est pas clair non plus si le Royaume-Uni fera partie du marché unique européen ou s’il tentera d’obtenir un accord de libre commerce. Se maintenir dans le marché unique – option défendue par les partisans internes et externes du Remain – permettrait aux banques ayant leur siège à Londres – à la City en particulier – de maintenir le « passeport de l’Union Européenne », c’est-à-dire continuer à opérer dans tout le marché européen sans restriction. Un grand nombre d’entités du monde entier comme Morgan Stanley, Bank of America, Nomura, Lloyds, Barclays, Citigroup entre autres, sont installées à la City – ou travaillent 300.000 personnes – pour ce motif.

La grande contradiction est que maintenir le « passeport » impliquerait d’accepter les règles de l’UE, et donc la « libre circulation de personnes », quand l’opposition à cet aspect a été un argument central de la victoire du Leave. En se référant aux effets du Brexit sur l’économie mondiale, un article de The Economist explique que beaucoup de choses dépendent du type de traité commercial que la Grande-Bretagne pourra négocier avec l’UE. Si elle obtient un accord rapide sans trop de limites dans l’accès au marché commun, les pires dérives pour l’économie mondiale pourraient ne pas se réaliser. En principe, ce scénario n’est pas le plus probable dans l’opinion des « marchés », selon l’hebdomadaire.

On ne peut pas écarter une sortie plus compliquée. L’éditorialiste du Financial Times Gideon Rachman, rappelle que Boris Johnson - un des principaux instigateurs de la campagne pour le Leave – n’a jamais été un « Leaver » acharné et fait l’hypothèse que son objectif principal est surtout de devenir Premier Ministre. Rachman cite les mots de l’ultraconservateur Johnson quand il déclarait il y a quelques mois qu’il « y a seulement un moyen d’obtenir le changement dont nous avons besoin et c’est de voter pour la sortie, car toute l’histoire de l’UE montre qu’ils n’écoutent un peuple que lorsqu’il dit non ». C’est-à-dire, un espèce de « frapper pour négocier », « à la grecque », ou plus exactement « à la Tsipras », mais avec une puissance de feu bien supérieure. Selon Rachman, on ne peut pas écarter une négociation dans laquelle l’UE concède au Royaume-Uni un « freinage d’urgence » en matière de libre circulation de personnes, à la suite duquel se convoquerait un nouveau référendum pour le Remain.

On doit prendre en compte que le Financial Times est un fervent défenseur du maintien dans l’UE, en tant que fidèle représentant du capital financier, mais cela n’empêche pas que cela soit une variante possible. Au-delà de ce que sera finalement la négociation, la « pression » de l’UE pour gêner la sortie a tous les aspects d’une contre-offensive sur le point faible des contreparties. Nous verrons.

Pour revenir au territoire

Bien entendu, les conséquences sur l’économie mondiale seront très différentes selon le type de proportions que l’affaire atteint. Mais la roue a déjà commencé à tourner et – comme cela a été exposé plus haut – sur un terrain difficile. C’est certain que la Grande Bretagne malgré qu’elle soit la cinquième économie mondiale et la seconde de l’Union Européenne représente, comme le souligne un article de The Economist, 3,9% de la production internationale. On ne peut pas comparer les effets du Brexit avec les éventuelles dérivations d’une commotion similaire aux États Unis ou en Chine. Toutefois, comme le souligne également l’hebdomadaire, l’affaire a lieu dans un contexte de croissance lente aux États Unis et dans le cadre de grandes préoccupations sur la capacité de la Chine à réchapper à une montagne de dettes. De plus et comme l’explique aussi The Economist, l’économie britanique occupe une place prépondérante en Europe, c’est un « client de confiance » et un grand centre « d’épargne » du continent. Tout cela est toutefois assez gros pour qu’une très probable récession ait des effets significatifs sur la faiblesse économique européenne.

Mais il faut également tenir compte que la Grande Bretagne représente la seconde place financière mondiale – après les États Unis – et ses banques sont des plus affectées par ce processus. L’affaire devient particulièrement préoccupante pas seulement parce que parler de la question bancaire en Grande Bretagne c’est parler d’une banque internationale sinon parce que – c’est nécessaire de le rappeler – les banques incarnent dans l’actualité un maillon particulièrement faible de l’économie mondiale comme nous l’avons abordé il y a plusieurs mois dans Choc Bancaire et effondrement pétrolier : Qu’y a-t-il derrière ?. Il est certain que les « policy makers » et leurs banques centrales ont beaucoup appris de 2008, comme l’assure Gillian Tett depuis le Financial Times, se voulant rassurant. Il s’agit d’un bagage – nous ajoutons – qui s’est additionné aux « leçons » reçues en 1929 dans une « école » qui aura duré jusqu’en 1945... Mais il est aussi certain qu’à côté des « finances » et des mesures monétaires, se déroule l’économie réelle. Et cette économie réelle – ou pour être plus clair : certaines sources extraordinaires de profits auxquelles peuvent migrer d’énormes masses de capitaux fabriquées de manière fictive dans les bourses et les institutions financières- est une condition nécessaire pour l’efficacité relative des politiques monétaires.

Celles-ci – comme nous l’avons exprimé à de multiples reprises – ont commencé à échouer pour des raisons qui relèvent de l’état de « l’économie réelle ». La chose se traduit dans le fait que si les mesures monétaires expansives deviennent impossibles à retirer, elles se transforment en sources d’une instabilité toujours plus grande. D’où les intentions ratées de la Réserve Fédérale (Fed) de retourner à une « normalité » impossible. D’où aussi le territoire totalement inconnu pour les théories économiques officielles des « taux d’intérêts négatifs » qu’ont commencé à explorer le Japon, l’Eurozone et – un peu schizophréniquement – Janet Yellen.

Dans ce contexte les « leçons tirées », bien que non-négligeables, ont peu à nous apprendre sur le futur et le Brexit – qui sont bien entendu fonctions de l’évolution des événements – et deviennent une nouvelle source de haut risque.


La prophétie


La dévaluation de la livre sterling a un double effet. D’un côté elle créée, naturellement, des pressions récessives internes et peut provoquer le refinancement des grands déficits britanniques. Mais d’un autre côté elle implique la potentialité de provoquer les effets non-désirés d’une éventuelle montée des taux d’intérêts aux États Unis.


La dévaluation de la livre génère la sortie de capitaux du Royaume Uni et une incertitude croissante qui stimule l’affluence des capitaux internationaux à une place relativement plus sûre : les États Unis. Ce mécanisme réévalue de dollar, et par deux moyens – monétaire et d’aversion au risque - entraîne la baisse du prix des matières premières. Les deux aspects se répercutent négativement sur les deux piliers les plus solides de l’économie « réelle » nord-américaine : les exportations et le pétrole. Comme le signale Jeff Madrick, dans The Nation, la valorisation du dollar face à la livre et à l’euro, supprime des exportations américaines provoquant une récession aux États Unis. De son côté le secteur de l’huile et du gaz de Schiste, constitue une source clé d’attraction de l’investissement nord-américain affaiblit, et la chute des prix – logiquement – réduit les profits et l’investissement, comme ça c’est observé pendant les mois durant lesquels le pétrole a connu sa pire chute. La réévaluation du dollar associée à la dévaluation prolongée de la livre pourrait également avoir des conséquences en Chine encourageant la sortie de capitaux qui provoqueraient également une dévaluation du yuan et plus de pression sur le dollar, empirant en même temps la situation des exportations du reste des concurrents.


Concernant la dévaluation de la livre, les effets que la Réserve Fédérale (Fed) cherche à éviter en maintenant les taux d’intérêts bas, pourraient avoir lieu de toute façon. Un scénario extrême qui pourrait être le pire de tous : le risque financier de taux zéro combiné à toutes les pressions d’une montée des taux.


Bien sûr que comme une hausse des taux dans ce contexte est impensable et que même une insinuation pourrait avoir des effets très indésirés, Janet Yellen se gardera de son double jeu au moins jusqu’à ce que se tranquillisent les eaux de la Manche.


L’incertitude sur le futur du Brexit empêche pour le moment un pronostic plus ou moins fini sur la manière selon laquelle se répercuteront effectivement ces mouvements. Quoi qu’il en soit, l’éloignement du « Remain » va affecter les relations entre UE et Royaume Uni, et la dévaluation de la livre va impulser avec violence les tendances mentionnées précédemment. Sinon au contraire, une solution plus rapide et « conservatrice » – de ne pas prendre de risques – pourrait limiter les dégâts. Les prix du pétrole et du soja ainsi que le trajet du flux de capitaux – facteurs clés qui influent sur l’économie Argentine – rejaillirons surement sur une grande partie de la dynamique de ces forces en conflit.


Traduction : G.Gorritxo et Léo Valadim


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