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CRITIQUE CINEMA : Je ne suis pas un salaud d’E. Finkiel : le démon de l’échec

Gloria Grahame, tribune libre parue sur le site de Médiapart Le titre sonne comme la défense morale du héros et l'on s'attend alors en rentrant dans la salle à devoir à son tour le juger au terme du film. Or il n'en est rien, Je ne suis pas un Salaud nous confronte moins à un dilemme moral qu'il ne met en scène sous forme dramatique une puissante réflexion sociale et politique sur la France d'aujourd'hui. Un film qui marque.

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Avec sa formation en vente, Eddy Moreau (Nicolas Duvauchelle) galère à trouver du boulot, et ce, malgré les formations de pointe, avec manager pro et utilisation de l’outil vidéo, dispensées par des associations sous-traitantes de Pôle Emploi. Manque de motivation ? Penchant pour l’alcool ? Conjuguées, ces deux tares dans un monde du travail compétitif révèlent autant qu’elles accentuent le manque d’ « estime de soi », LA qualité précisément que recherchent et veulent sentir les recruteurs. Quand le film débute, Eddy a également perdu l’estime de sa femme Karine (Mélanie Thierry) qui, elle aussi, à sa manière, l’a licencié : en maman responsable, la femme d’aujourd’hui revendique son indépendance en exigeant du père de son fils qu’il ait les qualités requises pour le poste. Sinon tant pis pour lui ; même son couple est pensé comme une petite entreprise dont il faut toujours surveiller la bonne santé : ce qui n’exclue pas une certaine mansuétude (il faut savoir donner une deuxième chance) mais qui relève d’une logique particulièrement cruelle pour celui qui ne se plie pas parfaitement aux exigences et aux devoirs du job. De ce point de vue le rôle le Karine, pleine d’ambiguïté inconsciente est très bien vu et on regrette pour sa comédienne et pour le film aussi qu’il n’ait pas été plus développé.

Dès le départ, Eddy Moreau est donc un parfait loser, mais c’est un loser héroïque. S’il n’a pas la fureur de vaincre, il a la rage de perdre pour reprendre Orelsan. Sa conduite de héros d’un soir –et encore s’est-il vraiment conduit en héros, n’est-ce pas plutôt un penchant hardcore pour l’autodestruction, aiguisé par l’alcool- semble même avoir un peu redoré son blason auprès de ses proches. Comme s’il avait soulagé son entourage de leur lâcheté ordinaire, celle qui est largement majoritaire dans la population.
Je ne suis pas un salaud d’Emmanuel Finkiel rappelle d’entrée le cinéma des frères Dardennes. Et pas seulement, parce que le cinéaste adore suivre son héros de dos, en cadrant son cou, sa tête, qui se découpe sur le monde qui l’entoure. Dans son arrière-plan social très présent, le film parle du chômage, de la galère de l’intérim et de la précarité mentale. Mais là où les héros des Dardennes combattent, Eddy Moreau dérive, déjà trop perdu pour avancer clairement dans une direction. Je ne suis pas un Salaud, ce serait plutôt du Dardennes déglingué et donc glamourisé, avec tatouages (ceux bien connus de Duvauchelle), violence et électro hypnotique. (Big Up pour la bande son de DJ Chloé -qu’on a toujours aimée depuis ses débuts hard house au Dépôt et au Pulp en 2000- qui englue le spectateur dans le ressassement psychotique). De la trajectoire du héros, on en dira le moins possible pour ne pas déflorer le suspens à tous ceux qui ont le tort de ne pas encore avoir vu ce film, sans doute l’une des meilleures productions françaises depuis Marguerite de Xavier Gianolli (qui n’a rien à voir hormis que les deux films parlent, chacun à leur manière, de la société comme d’une gigantesque comédie où tout parfois semble factice, autant nos penchants matérialistes que le comportement de ceux qui nous entoure.

Ce n’est pas tant la mise en scène qui est particulièrement originale - beaucoup de longues focales (des gros plans zoomés), qui floutent le monde autour du héros, normal, puisque le film s’attache à suivre sur une heure quarante sa dérive mentale- mais le scénario, bien ficelé, évoluant comme une marche d’autant plus implacable qu’elle se cristallise autour d’un pur hasard : ce mauvais hasard qui veut qu’Eddy a croisé dans une formation à l’emploi un jeune homme habitant la cité où quelques jours plus tard, il se fait tabasser par toute une bande. En tout cas, c’est le seul de ses « agresseurs » qu’il reconnaît derrière une vitre chez les flics, un mois après cette bagarre où il avait été laissé pour mort…

Pour finir sur ce film qui m’a tenu en haleine de bout en bout, le dernier mot est pour Duvauchelle, vraiment génial dans le rôle, qui donne à son désespoir et à sa frustration une aura explosive qui rappelle parfois De Niro dans Taxi Driver. Bref n’en jetons plus. A voir absolument. 


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