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Rien ne va plus dans l’État Espagnol

CUP. Les anticapitalistes catalans servent de chausse-pied à la droite

A la suite des élections pour le Parlement catalan de septembre 2015, la coalition « Junts pel Si » (Ensemble pour le Oui, qui regroupe la plupart des partis et mouvements de droite et de centre-gauche indépendantistes) est arrivée en tête avec presque 40% des voix. Un beau score, mais insuffisant pour que la coalition dirigée par la droite catalaniste d’Artur Mas (qui présidait le gouvernement Catalan depuis 2010) puisse gouverner sans le soutien d’une partie de l’extrême gauche… L’accord a été scellé samedi dernier. Claude Scorza

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La droite catalane et la Gauche républicaine catalane (ERC) se sont tournées vers la CUP (Candidature d’unité populaire, extrême gauche indépendantiste), dont les voix devenaient indispensables pour l’investiture d’un nouveau gouvernement en Catalogne. Pour élire le nouveau président de la Generalitat, gouvernement Catalan, le Parlement doit l’élire avec la majorité absolue.

Pourtant, lors du vote de novembre 2015, Artur Mas n’avait obtenu que les 62 voix de sa coalition, contre 72 qui s’opposaient à son investiture. C’est-à-dire que les dix députés de la CUP avaient tenu bon face aux pressions de Mas pour élire un gouvernement qui « lutterait pour l’indépendance de la Catalogne ». La CUP avait alors justifié son rejet de Mas comme président de la Generalitat à partir des critiques de sa gestion désastreuse pour les classes populaires dans la région (austérité et privatisations), des scandales de corruption qui ont affecté son parti (la CDC) et de la « personnalisation » du processus d’indépendance. Le positionnement de la CUP dans l’investiture du président de la Generalitat devenait central à la fois pour les partis de la bourgeoisie catalane et pour le processus de constitution d’un Etat catalan « indépendant et républicain ». D’un côté, l’opposition accrue de Madrid et des partis qui s’opposent à l’indépendance au sein du Parlement catalan (opposition qui inclut un spectre large qui va des socialistes à la droite du PP, Podemos se positionnant uniquement en faveur d’un référendum tout en étant opposé à cette indépendance) pourrait mettre un coup d’arrêt à toute démarche légale d’autonomisation de la Catalogne. De l’autre, la question qui se pose est celle de la direction du processus d’indépendance : se placer à la remorque des représentants politiques de la bourgeoisie catalane dans une logique d’ « unité nationale » ou la poser à partir d’un mouvement social s’opposant à la collaboration de classes ?

Dans la situation où la CUP n’acceptait pas de voter pour l’investiture d’Artur Mas, il y aurait des nouvelles élections en mars 2016 pour débloquer la situation politique de la Catalogne. Pour décider de cette orientation, la CUP a choisi d’appeler, fin décembre 2015, à une Assemblée nationale extraordinaire à laquelle ont participé de 3030 personnes, c’est-à-dire le double de participants à l’Assemblée tenue un mois plus tôt.

Lors d’un vote historique, les voix pour et contre l’investiture de Mas sont arrivées à égalité, avec 1515 voix chacune, après qu’à deux reprises une courte majorité de délégués ait voté « non » au soutien à « Junts pel si ». La partie de la CUP qui a voté contre l’investiture de Mas n’était pas prête à reconduire un gouvernement qui, depuis 2010, a dirigé la Catalogne comme l’aurait fait n’importe quel parti de la « caste », qui impose austérité, privatise les services publics, réprime les mouvements sociaux (comme à Can Vies) et est entaché par des affaires de corruption. L’autre partie de la CUP voyait dans l’investiture de Mas un moyen de débloquer le processus d’indépendance, oubliant que Mas se situera toujours dans le cadre de la légalité.

Après ce match nul, c’était au Conseil politique de la CUP de trancher sur son positionnement vis-à-vis de Mas. La réunion du 4 janvier 2016 a voté majoritairement contre le soutien à Mas, tout en affirmant potentiellement soutenir un autre candidat, ouvrant ainsi une crise politique sans précédents dans le bloc souverainiste du CDC. Les deux secteurs campant sur leurs positions, tout semblait indiquer qu’il y aurait des nouvelles élections en mars.

Pourtant, le 9 janvier, un accord a finalement été trouvé entre les deux parties autour d’un candidat alternatif, Carles Puigdemont, maire de Gérone et enfant spirituel de Mas. La CUP a alors cédé deux de ses députés à la coalition JxSi et s’engage à « garantir la stabilité parlementaire » du prochain gouvernement… Le « Non » de la CUP avait suscité un grand espoir dans la jeunesse et les classes populaires qui soutenaient la formation d’extrême gauche, qui voyaient un changement d’orientation des trois dernières années de soutien à Mas. Pourtant, les demandes de la CUP d’un candidat « consensuel » ont finalement été entendues par JxSi. Il s’agit effectivement d’une défaite personnelle de Mas, mais d’une victoire stratégique pour la bourgeoisie catalaniste. La CUP perd sa marge de manœuvre en soutenant un candidat de la « continuité », affirmant également, contre toute sa tradition, qu’elle n’agira pas comme parti d’opposition.

La confiance donnée aux promesses de JxSi et à l’alliance de classes comme moyen de continuer le processus d’indépendance est une erreur gravissime dans la lutte pour le droit à l’autodétermination du peuple catalan, car Puigdemont n’aura aucun souci pour ne pas tenir à ses promesses et reculer devant Madrid, tout en appliquant la même politique austéritaire que son prédécesseur et mentor, Artur Mas. La CUP s’apprête ainsi à rentrer dans l’histoire comme l’instrument utile à une « unité nationale » qui sert les intérêts de la bourgeoisie catalane dans son bras de fer avec Madrid pour le partage des profits.


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