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Après « l’accord » avec l’Eurogroupe

Capitulation de Tsipras. La fin d’une illusion

Claudia Cinatti Malgré la victoire écrasante du « Non » à l'austérité lors du référendum du 5 juillet, le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, a capitulé face aux exigences de la Troika. Il a fini par céder au chantage et par accepter un plan d'austérité très dur en échange d'un nouveau « sauvetage » de la Grèce. Les prochains jours seront un test pour savoir si Syriza réussira à passer ce cap, indemne, et à survivre à la trahison du mandat populaire. Pour ce qui est, en revanche, de l'expérience d'un gouvernement « anti-austérité », l’illusion touche à sa fin.

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L’illusion n’a pas duré plus de cinq mois, en effet. Syriza est arrivée au gouvernement fin janvier en faisant la promesse d’en finir avec les deux Mémorandums, c’est-à-dire les plans d’austérité signés par les précédents gouvernements du PASOK et de la Nouvelle Démocratie avec les créanciers représentés par la Troïka, sous la houlette de l’impérialisme allemand. L’application de ces plans d’austérité pendant les cinq dernières années a plongé le peuple grec dans la misère, avec un chômage de 27% (qui va jusqu’à 60% dans la jeunesse) afin de payer une dette qui correspond à 180% du PIB et d’éviter une crise bancaire et une crise de l’euro.

Mais loin de ces promesses formulées par un « gouvernement anti-austérité » (et non pas d’un « gouvernement de gauche » puisque, dès le début, Syriza s’est allié avec la droite nationaliste des Grecs Indépendants d’Anel), le gouvernement Syriza est devenu le « gouvernement du troisième mémorandum ». Après la confiance dans la volonté à négocier de la Troïka, c’est le fatalisme qui prime : l’austérité serait nécessaire pour éviter le « Grexit », une sortie du pays de la zone euro.

Cette semaine Tsipras va essayer d’obtenir la validation parlementaire d’un plan d’austérité encore plus dur que celui qu’il avait refusé fin juin. Sans exagération, ce nouveau plan ferait de la Grèce une sorte de protectorat sous tutelle du capital financier européen et de l’impérialisme allemand. Il suffit de regarder la déclaration prononcée par l’Eurogroupe le 12 juillet pour comprendre la dimension coloniale de ce nouvel « accord ». Non seulement toute une série de mesures draconiennes qui vont faire couler encore plus l’économie sont exigées, mais le Parlement grec se voit également imposé son agenda. Parmi les mesures qu’aurait à prendre le gouvernement (un gouvernement Syriza-Anel, s’il tient, ou un autre cabinet, éventuellement « d’union nationale » ou remanié), il y a, notamment, l’augmentation de la TVA à 23% pour la majorité des biens de consommation, la réduction des pensions, le passage de 62 à 67 ans pour l’âge de départ à la retraite, la limitation des conventions collectives et du droit de grève, de nouvelles lois pour simplifier les licenciements, la réduction d’effectifs dans la fonction publique et un programme de privatisations avec la nouveauté que les actifs à privatiser seraient transférés vers un fonds sous tutelle des institutions européennes. De ce fonds de 50 milliards d’euros, 50% seraient utilisés pour la récapitalisation des banques, 25 % pour payer la dette, et 25% restant pour des investissements. Ce n’est pas par hasard si ce nouveau mémorandum est déjà comparé dans la presse internationale au Traité de Versailles qui a été imposé par les puissances victorieuses à l’Allemagne après la Première guerre Mondiale. Néanmoins, ce serait aujourd’hui l’humiliation d’une nation en temps de paix, et non pas après un conflit militaire mondial de quatre ans.

De cette façon, la Troïka cherche à faire passer la Grèce de « laboratoire des gauches » à « laboratoire des politiques d’ajustement » pour que cela serve de leçon à toute l’Europe, et plus particulièrement pour les travailleurs et les jeunes de l’Etat espagnol qui pourraient faire le choix d’asséner un grand coup aux partis traditionnels en portant Podemos au pouvoir à Madrid lors des prochaines élections. C’est en ce sens que la courte expérience du gouvernement Syriza est centrale, non seulement pour la Grèce mais également pour l’ensemble de la gauche radicale et des travailleurs, à échelle européenne.

Syriza n’est pas arrivé au pouvoir dans le sillage de la poussée des mobilisations, comme cela aurait pu être le cas en 2012, mais lorsque la perspective de battre en brèche l’austérité dans la rue s’était éloignée, à la suite d’une trentaine de grèves générales dirigées par la bureaucratie de syndicats liée aux partis traditionnels, des grèves qui s’étaient avérés insuffisantes pour faire reculer les classes dominantes et l’UE. C’est en ce sens qu’au cours des premiers mois de gouvernement, les attentes se sont transférées de la rue au Parlement et aux instances de négociation.

Cette situation de passivité relative est arrivée à son terme. 62% de l’électorat a dit « non » à l’austérité, un vote qui a été massivement ouvrier et jeune. La manœuvre de Tsipras a consisté à transformer ce rejet profond du chantage impérialiste en un blanc-seing pour légitimer sa capitulation.

L’aile majoritaire de Syriza soutient maintenant l’idée selon laquelle la voie pour sortir de l’austérité consisterait à « négocier avec les créanciers », en faisant appel à un caractère soi-disant « solidaire » et « démocratique » de l’UE. Ce qui ressort de « l’accord » de ce weekend, néanmoins, c’est que l’UE est un bloc impérialiste façonné par les intérêts du capital allemand.

La gauche de Syriza, la Plateforme de Gauche, s’est révélée impuissante à présenter une alternative, alimentant, à l’inverse, des illusions vis-à-vis du gouvernement. La gauche du parti n’a donc même pas défendu une position unifiée au parlement face au plan négocié à Bruxelles, ce weekend. De la trentaine de parlementaires répondant à la gauche du parti, seules deux députées ont voté contre le plan, les autres se sont abstenus, se sont absentés ou ont voté « pour » de façon à éviter que le gouvernement ne tombe, tout en signant une déclaration de rejet de l’austérité.

Les partisans du « Plan B », au sein de Syriza, à savoir ceux qui soutiennent la nécessité d’une sortie de la zone euro, à l’instar de Costas Lapavitsas, ne défendent pas non plus la perspective d’une rupture avec l’UE mais une solution négociée avec les institutions créancières.

Il n’est pas exclu que cet échec de Syriza n’alimente la démoralisation et que, dans ce cadre, des courants réactionnaires ne se renforcent, sur la base d’un discours démagogue et nationaliste, comme dans le cas d’Aube Dorée.

Il existe, cependant, une solution pour éviter que la défaite de la stratégie réformiste de Syriza ne se transforme en une défaite pour l’ensemble du monde du travail et des classes populaires en Grèce et en Europe. Il faut, pour cela, transformer le « non » à l’ajustement en une force matérielle, sociale et politique, de façon à battre en brèche, dans la rue, la Troïka et ceux qui défendent ses intérêts. L’appel à la grève générale d’ADEDY, le syndicat des travailleurs du public, pour le jour où les premières mesures devraient être ratifiées, pourrait représenter une première étape.

La principale leçon politique de l’expérience grecque est que les partis larges qui ont pu se présenter comme des alternatives à la gauche révolutionnaire classique se sont avérés incapables de prendre la moindre mesure populaire et de résistance à l’impérialisme. Au moment où il aurait fallu combattre, ils ont accepté les diktats de Merkel et de l’UE. Aucun appel à la solidarité au niveau européen n’a été lancé. Si des millions de personnes ont pu se mobiliser contre la guerre impérialiste en Irak, en 2003, pourquoi n’auraient-ils pas pu le faire en solidarité avec le peuple grec, contre le chantage des impérialistes européens ? Syriza n’est pas le seul responsable. Podemos, dans l’Etat espagnol, a pu mobiliser des dizaines de milliers de personnes mais n’a rien organisé, outre des rassemblements symboliques, et ce alors que le gouvernement de Mariano Rajoy fait partie de l’aile dure « anti-Athènes ». Si les partis de gauche radicale, auxquels il faudrait rajouter Die Linke, en Allemagne, avaient défendu une telle perspective, alors les travailleurs grecs ne se seraient pas sentis aussi seuls, face à la puissance de la Troïka.
Il est nécessaire, en ce sens, que l’aile gauche de Syriza, où interviennent des courants trotskystes, rompent avec le gouvernement et prennent la rue en appelant le monde du travail, la jeunesse et les classes populaires à contrer ce pacte de colonisation. Aucune avancée politique ne pourra se faire sans un bilan d’une orientation et d’une stratégie qui ont mené les masses grecques dans la tragédie qu’elles connaissent, actuellement.

Il n’y aura pas de solutions intermédiaires. La crise sera payée, soit par les travailleurs et les classes populaires, soit par les capitalistes. La seule façon de sortir du mécanisme du chantage et de l’imposition des plans d’austérité ou subir les conséquences catastrophiques de ce que serait une sortie de la zone euro dans un cadre capitaliste ne peut que passer par des mesures élémentaires, à commencer par le non-paiement de la dette extérieure, la nationalisation des banques et des principales ressources économiques du pays, sous contrôle des travailleurs, et ce dans la perspective d’un gouvernement ouvrier et populaire et de la lutte pour l’unité socialiste de l’Europe.


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