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Interview

"Ce qui prédomine, c’est la colère" : une aide-soignante aux Urgences revient sur la situation à l’hôpital

Le personnel soignant ne s’est pas encore remis psychologiquement et physiquement de la première vague que l’irresponsabilité du gouvernement les oblige à faire encore plus de sacrifices. Retour sur la situation avec une aide-soignante de l'Hôpital Henri Mondor à Créteil.

Paul Morao

14 octobre 2020

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Nous avons interviewé Isalyne, aide-soignante travaillant aux Urgences de l’hôpital Henri de Mondor à Créteil en région parisienne sur la situation dans son service et l’état du personnel de la santé face à la deuxième vague. Ci-dessous un témoignage très édifiant sur l’irresponsabilité gouvernementale et ses conséquences.

Révolution Permanente : Ces dernières semaines on se trouve dans une période de reprise de l’épidémie. Quelle est la situation actuelle dans les hôpitaux et en particulier à Henri Mondor où tu travailles ? Comment vivez-vous cette deuxième vague ?

Isalyne : Actuellement les urgences sont surchargées et chaque jour de plus en plus de patients arrivent avec les symptômes du Covid et beaucoup sont positifs. Ça devient difficile à gérer à cause du manque de places, du manque de lits, du manque de moyens matériels et humains.

C’est d’autant plus compliqué que nous ne sommes pas encore remis de la première vague que ce soit psychologiquement et physiquement. C’est très compliqué pour nous. On nous en demande toujours plus, dans un contexte où l’on a moins d’aides que lors de la première vague. On sait qu’ils ne recruteront pas, si bien que l’on est très sollicités pour faire des heures supplémentaires. On se retrouve donc avec un jour de repos par semaine tandis qu’on manque de matériel avec des stocks qui ne sont pas adaptés.

Encore récemment, un patient de 57 ans a fait un arrêt cardiaque et, mes collègues présents ce jour-là se sont retrouvés confrontés à l’utilisation d’un chariot d’urgence qui a peiné à s’ouvrir, un scope défectueux et d’un manomètre qui au lieu de fournir 15 litres d’O2 n’en fournissait que 6 litres. Malheureusement le patient est décédé. Alors il serait peut être décédé même avec du matériel fonctionnel mais psychologiquement c’est très dur de se dire que « peut être » le patient aurait été sauvé dans le cas de l’utilisation de matériel fonctionnel. Tous les jours des collègues craquent et pleurent de fatigue, on n’arrive plus à gérer la pression. Il faut gérer tout ce manque de moyens matériel et humain plus la détresse des patients qui sont de plus en plus agressifs à cause de la peur et de la pression actuelle. L’angoisse est beaucoup plus importante que d’habitude.

Révolution Permanente : La dynamique de l’épidémie vous inquiète ? Comment ça se passe au quotidien ?

Isalyne : Quand les patients sont graves ils montent en réa mais, on commence à manquer de lits. Il ne faudrait pas que le nombre de patients augmente trop vite comme lors de la première vague. D’autant plus que sur Henri Mondor, lors de la première vague, on avait eu la chance d’avoir accès à un bâtiment supplémentaire, mais que celui-ci est actuellement en travaux.

Par ailleurs, il faut prendre aussi en compte que nous sommes entrés dans la période hivernale et que la grippe commence à arriver. Nous allons donc nous retrouver à faire face au Coronavirus et à la grippe, sachant que ce sont souvent les mêmes symptômes. La situation va être très compliquée…

Révolution Permanente : D’ailleurs à ce propos, quel regard tu portes sur ceux qui affirment que la « deuxième vague » serait un mythe et qu’il n’y aurait pas de reprise de l’épidémie ?

Isalyne : Ces gens qui croient que le virus est une « manipulation » ne vivent sûrement pas sur la même planète que nous. Qu’ils viennent passer ne serait-ce qu’une journée, même une heure, dans un service d’urgences ou dans un service de réanimation ils se rendront compte que ce n’est pas une manipulation. Nous on voit des gens mourir tous les jours de ce virus. C’est un sujet sensible qui personnellement m’agace, j’incite donc ces personnes à venir voir de leurs propres yeux la réalité des choses.

En fait, il ne faut pas que les gens confondent la manipulation sur le virus et la manipulation de l’Etat par rapport aux restrictions qu’il impose. Moi personnellement, quand j’entends que les restaurants vont fermer à 22h parce que les gens vont se contaminer, je pense aux gens dans les transports, collés les uns aux autres ou aux salles de cours où les étudiants sont les uns sur les autres, et je ne pense pas qu’un simple masque suffise pour s’y protéger. Je pense qu’on est plus en sécurité dans un restaurant que dans un métro ou dans un bus…

Révolution Permanente : Macron a expliqué récemment que la situation n’est, selon lui, pas liée à un manque de moyens mais à un problème « d’organisation ». Pourtant, le manque de moyens et les conditions de travail semblent toujours très problématiques quatre mois après le Ségur de la Santé. Que penses-tu de l’accord et de ses effets sur la situation des soignants aujourd’hui ?

Isalyne : Le Ségur personnellement on n’en voit aucun effet, à part 90€ supplémentaires sur nos salaires depuis septembre. Quand j’entends l’Etat dire que ce n’est pas un problème de moyens mais un problème d’organisation, moi je dirais plutôt que le problème d’organisation vient du manque de moyens. Quand on a du matériel défectueux qui ne peux être remplacé par faute de moyens financiers c’est difficile d’organiser un service.

Pendant le confinement de la première vague, le gouvernement a fait des promesses pour les soignants, on est en septembre mais on n’a rien vu du tout. On a des problèmes de matériel et on ne crée pas de postes donc si on ne vient pas faire des heures supplémentaires sur nos jours de repos, l’hôpital craque. Je me demande vraiment comment on va tenir dans le temps déjà que l’on tombe comme des mouches, les arrêts se multiplient et je ne parle pas du nombre d’arrêt dus au fait que certains collègues ont eux mêmes attrapé le Covid.

Révolution Permanente : Quel est l’état d’esprit de tes collègues face à cette situation ?

Isalyne : Ce qui prédomine toujours c’est la colère. On parle ouvertement de relancer une grève, et on ne le cache pas aux cadres. On n’a plus de forces, que ce soit mental ou physique. On est épuisés, au point que même quand on est chez nous, notre seul jour de repos on a envie de rien. On a envie de rester chez nous et de ne rien faire. Et quand on a la chance d’avoir deux petits jours de repos consécutifs, comme nous sommes en Plan Blanc, on nous appelle et on n’a pas vraiment le choix... Sans même être réquisitionnés, on n’ose pas dire non, par conscience professionnelle. La colère est plus que présente, et en même temps c’est peut-être cette rage qui nous permet de tenir.

Révolution Permanente : Comment tu expliques cette tension et cette impréparation ?

Isalyne : Je pense que l’Etat ne s’attendait pas à ce que la deuxième vague soit aussi étendue. Nous, après le confinement, on savait qu’on allait galérer et que l’épidémie repartirait. Olivier Véran est venu visiter nos urgences en juillet, et quand on lui a demandé ce qu’il comptait faire pour la deuxième vague, il a répondu qu’il n’était « pas sûr qu’il y aurait une deuxième vague ». On lui a également demandé s’ils allaient recevoir les soignants pour parler de la deuxième vague, mais on n’a pas eu de réponse.

Révolution Permanente : Le 15 octobre, une mobilisation est appelée par différents syndicats et collectifs de soignants, comment vois-tu cette journée ?

Demain on sera mobilisés, et l’idée c’est que ceux qui ne pourront pas se rendre aux manifestations mettent un brassard noir. La difficulté c’est que, comme on est en Plan Blanc, je pense qu’ils vont assigner tout le monde et que seuls quelques collègues en repos pourront se mobiliser.

Plus globalement, il faut avouer qu’on est dans une période où quand on rentre chez nous on a envie de déconnecter... Les manifestations, les grèves, avec le virus on a laissé un peu de côté tout ça, d’autant plus que, malheureusement, l’Etat s’en fiche. On fait un métier où l’on peut se mobiliser tant qu’on veut, l’Etat sait que l’on est obligé d’aller travailler. La seule solution serait qu’on déserte les services, mais on ne peut pas le faire.


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