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"Celui qu’on attendait", fable émouvante de Serge Avédikian

Deuxième long-métrage de Serge Avédikian (après « Le Scandale Paradjanov » en 2013), « Celui qu’on attendait » sort en salles le 8 juin 2016. Avédikian nous livre une fable moderne, intelligente et envoutante sur l’altérité, soutenue par le jeu magistral de Patrice Chesnais. Defne Gursoy

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« Celui qu’on attendait » est un film inattendu. Inattendu par son récit, où nous sommes menés dans une fable humaine et émouvante si rare de nos jours au cinéma, inattendu par son style, une douce lenteur parsemée de cadres de bandes dessinées tintinesques, inattendu encore par son habilité à esquiver les pièges d’un tract politique, tout en gardant un regard juste sur la terre natale du réalisateur.

L’histoire du film (scénario co-signé avec Jean-François Derec) est surprenante mais simple : Bolzec (Chesnais) était parti jouer son spectacle en Azerbaïdjan. Sur le chemin du retour vers l’aéroport, son taxi tombe en panne et il est abandonné sur une route désertique, au milieu de nulle part. Sans s’en rendre compte, il va franchir à pied la frontière avec l’Arménie, en guerre larvée avec son voisin l’Azerbaïdjan depuis des années. Clandestin dans un pays qu’il ne connaît pas, dont il ne parle pas la langue et ne lit pas l’alphabet, il comprend petit à petit qu’on le prend pour un autre, car il est fêté comme le messie…
L’intelligence du scénario et des dialogues se dévoile dès le début du film. Notre acteur français vieillissant qui ne parvient déjà pas à prononcer le nom du pays dans lequel son agent l’a contraint à se produire, est surpris et affolé en entendant les tirs de mitraillette en l’arrière plan dans ce bout du monde étranger. Avédikian rappelle discrètement le silence des médias français (et européens) sur la guerre au Karabagh, justement à une période où, ainsi veut le hasard, l’Azerbaïdjan a repris les agressions. « Y’a une guerre dans le coin ou quoi ? Franchement, vous auriez pu me prévenir ! » lance Bolzec à son agent au téléphone.
En nous privant volontairement de sous-titres pendant toute la première partie du film, Avédikian nous assujettit à la même désorientation que son personnage. Cette astuce, déstabilisante au départ, devient ensuite l’outil principal pour déchiffrer l’émotion que suscitent les rencontres qu’il fera.

La difficulté, voire l’impossibilité d’échanger devient la force de la communication entre Bolzec et ses hôtes. Nous sommes bien sûr en Arménie, avec toute sa culture et sa spécificité, mais Avédikian réussit à nous porter au-delà de sa géographie puisque l’émotion et l’humanité de la découverte de l’Autre sont universelles. Cela étant dit, le réalisateur parsème habilement son point de vue critique sur la corruption du pays, et surtout sur le rapport entre la diaspora et les Arméniens du pays. Ainsi l’emportement d’un de ses hôtes vis-à-vis de Charles Aznavour pour avoir francisé son nom et refait son nez d’Arménien. Plus sérieusement, la déception des Arméniens du pays face à l’oubli et l’indifférence des Arméniens de la diaspora. Le messie tant attendu, que deviendra notre acteur français, est en fait l’Arménien qui est parti réussir à l’étranger. Ainsi expliquera la traductrice (Arsinée Khandjian) à Bolzec : « Chaque village a un rescapé de 1915 qui parti en France et a fait fortune et reviendra sauver le village. Mais ils ne reviennent jamais… »
Avec la merveilleuse musique de Gérard Torikian « Celui qu’on attendait » est un hymne émouvant sur l’humanité et l’ouverture aux autres qui vous emporte. Courez voir cette fable envoutante qui rappelle l’importance banale mais souvent oubliée de la bienveillance et de la tolérance envers tout un chacun…


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