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La première fois depuis la victoire d’Allende ?

Chili : l’extrême droite est battue, la gauche radicale remporte les présidentielles

Le résultat du second tour de l’élection présidentielle chilienne est sans appel. Kast, le candidat d’extrême-droite et du patronat, est largement battu et Boric, jeune candidat de gauche radicale, l’emporte avec plus de 56% des voix. Alors que le nouveau Président entend enterrer une partie des revendications du grand mouvement de 2019, c'est dans la rue qu'il faudra cependant poursuivre le combat contre la droite et le patronat.

Claude Piperno

20 décembre 2021

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Une grande première

Plusieurs dizaines de milliers de personnes venues de loin, souvent, de la banlieue de Santiago, des jeunes, surtout, massées sur La Alameda, la grande avenue emblématique de la capitale chilienne. Les bureaux venaient à peine de fermer et, déjà, on se préparait, dimanche, à fêter une victoire historique. En milieu de soirée, Gabriel Boric est monté sur scène, sous les hourras de la foule, sans attendre la publication des résultats définitifs, tant la victoire était nette : à 35 ans, c’est non seulement le plus jeune président de l’histoire du pays mais également le président élu avec le plus de voix depuis la fin de la dictature de Pinochet, en 1990. C’est aussi et surtout le premier président de gauche qui n’est pas issu des coalitions Parti Socialiste-Démocratie Chrétienne qui ont dirigé le pays pendant 23 ans, dans la droite ligne des politiques ultra-libérales héritées de la période Pinochet.

L’expression d’octobre ?

Ce résultat ne peut se comprendre sans tenir compte de la grande révolte d’octobre et novembre 2019 qui s’est élevée contre cet héritage et les politiques austéritaires menées, trente ans durant, et par le centre-gauche et par la droite. Depuis, la dynamique a été canalisée sur des chemins institutionnels, avec la mise en place d’une Convention constituante, que le gouvernement de droite a dû concéder, mais elle a aussi et surtout été comme mise entre parenthèse « grâce » à la pandémie et aux accords passés entre les partis du régime post-dictature.

Néanmoins, les braises de la contestation sont encore visibles. C’est ce dont attestent les scores de Gabriel Boric, le candidat de la coalition « Aprueblo Dignidad », réunissant le Front Large [« Frente Amplio, gauche radicale], et le Parti Communiste chilien. C’est également ce qu’ont montrés les rassemblements organisés à Santiago comme dans toutes les autres villes du pays pour fêter la défaite de l’extrême droite et l’arrivée prochaine au pouvoir de Boric, ce dimanche. Présenté par les analystes de droite qui l’agitent comme un épouvantail comme un « radical très à gauche », alors que son programme, y compris selon Binyamin Appelbaum, du New York Times est avant tout réformiste et social-démocrate, tout l’enjeu est maintenant de savoir ce que le gouvernement du président élu fera dans la période à venir.

La droite et l’extrême droite, mauvaises jusqu’au bout

L’establishment chilien qui, dans sa grande majorité, roulait pour Kast, aura tenté jusqu’au bout de barrer la route à Boric. Les secteurs les plus rétrogrades du patronat, chez qui on retrouve une bonne partie des nostalgiques de l’ère Pinochet, n’avaient pas de mots assez durs pour alerter contre la possibilité de « l’avènement du communisme » en cas de victoire de la gauche. Les instituts d’opinion n’en finissaient pas de relayer des sondages donnant un retard moins grand de Kast sur Boric par rapport à ce qu’ont donnés les résultats de dimanche, comme si une « remontada » de l’extrême droite était non seulement souhaitable mais également possible. Dimanche matin, Kast ne s’est pas privé de déclarer, au moment de glisser un bulletin dans l’urne, qu’ils se préparait à contester les résultats s’il venait à perdre et que les scores étaient trop serrés. Pendant toute la journée du vote, malgré les assurances données par la très droitière ministre des Transports, Gloria Hutt, bus, métros et trains ont circulé à bas régime comme l’ont dénoncé les travailleurs du secteur, comme pour décourager les possibles électeurs populaires et abstentionnistes du premier tour de se rendre dans les bureaux et de voter Boric.

Au final, cependant, les petites et grandes manœuvres n’ont pas marché. La différence de voix entre Kast et Boric est de près d’un million de bulletins d’avance pour le candidat de gauche. Boric a recueilli 4,6 millions de voix, soit 55,9% au second tour (25, 8% au premier tour) contre 3,6 pour Kast (44,1%), dans le cadre d’une hausse de participation (55,6%, soit 8,25 millions de bulletins, contre 47,3%, soit 7 millions, au premier tour, en novembre).

Une (re)mobilisation de classe

Ce différentiel s’explique-t-il par le recentrage du discours de Boric et de ses alliés, qui ont reçu, au cours des dernières semaines de campagne, le soutien de plusieurs poids lourds des anciens exécutifs sociaux-libéraux des années 1990 et 2000, comme Ricardo Lagos ou Michelle Bachelet ? C’est en tout cas ce que veulent croire les analystes qui souhaitent que la politique du prochain exécutif soit guidée par le principe de « responsabilité » et de « prudence », ce que les proches conseillers de Boric n’ont pas démenti. Mais le score de Boric est aussi et surtout le reflet d’un vote de classe, ouvrier, jeune et populaire, qui s’est mobilisé y compris au sein d’un électorat qui ne s’était pas déplacé au cours des derniers scrutins (Assemblée constituante, législatives et premier tour de la présidentielle du 21 novembre, etc.).

Avec un niveau de participation très important pour le Chili, le plus élevé depuis le référendum sur l’avenir de la dictature organisé sous Pinochet en 1988, Boric est arrivé largement en tête dans les grandes villes, à Santiago et dans la « région métropolitaine », à Valparaíso, où il fait 66%, ou encore à Antofagasta, le port du Nord du pays où Franco Parisi, candidat populiste de droite arrivé en troisième position en novembre et qui appelait à voter Kast avait fait ses meilleurs scores mais où Boric, cette fois-ci, frôle les 60%. Kast, de son côté, n’arrive en tête que dans les trois communes les plus huppées de la capitale, où déjà en octobre 2020 on avait voté pour le maintien de la Constitution pinochétiste de 1980, et dans certains bastions d’extrême droite du Sud du pays et des districts actuellement militarisés pour étouffer la contestation du peuple Mapuche, l’une des nations originaires du pays.

Boric, entre promesses et réalité

De ce point de vue, celles et ceux qui ont voté Boric en soutenant sa candidature et ses promesses comme ceux qui ont voté pour lui malgré ses positions modérées mais pour battre l’extrême droite, à savoir, dans les deux cas, le noyau dur auquel il doit sa victoire, scruteront avec attention les premières décisions de son gouvernement quand il entrera en fonction au mois de mars.

Face aux drapeaux chiliens, syndicaux, du peuple mapuche ou LGBTIQ+ qui hérissait la foule rassemblée sur La Alameda, dimanche soir, Boric a solennellement promis qu’il s’agirait « d’un gouvernement avec les pieds dans la rue [en l’occurrence, les mouvements sociaux] et que les décisions ne seraient pas prises dans les couloirs de La Moneda [le palais présidentiel] ». Tout en affirmant, à la tribune, que les « revendications de l’explosion sociale » de 2019 « sont toujours d’actualité » et en brocardant un modèle de développement économique « aux pieds d’argile » qui ne bénéficie pas « aux plus précaires », il s’est d’ores et déjà engagé à respecter les équilibres budgétaires votés par la droite pour 2022 et a refusé d’amnistier tous les prisonniers politiques arrêtés dans le sillage du mouvement de 2019. Dans le même temps, il a pointé sa volonté d’ouvrir la voie au démantèlement du système privé de retraite (AFP). A l’inverse, ses principaux conseillers commencent déjà à avancer que le président n’aura pas d’autre choix que de gouverner en passant des accords, au Parlement, avec l’ancienne Concertation, à savoir avec les sociaux-libéraux et les démocrates-chrétiens, honnis par la jeunesse et le mouvement social.

Une victoire électorale contre l’extrême droite ou une incitation à reprendre la mobilisation ?

Alors que l’ensemble de la gauche réformiste latino-américaine a salué la victoire de Boric, la tentation était grande, en France, de [faire le lien entre Kast et Zemmour et de célébrer, comme l’ont fait Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo ou Fabien Roussel une « victoire contre le fascisme », comme si l’on pouvait se contenter de glisser un bulletin dans une urne pour battre l’extrême droite. Les idées de Kast et les positions qu’il défend sont celles d’un secteur de la population et, surtout, du patronat et de la bourgeoisie, qui ont senti le sol se dérober sous leur pied pendant la révolte de 2019 et qui entendent restaurer « l’ordre » et la « stabilité ».

Comme le souligne le Parti des Travailleurs Révolutionnaires du Chili, organisation sœur de Révolution Permamente, pour faire plier l’extrême droite et faire reculer, durablement, la menace que représentent Kast et ses amis, non seulement il n’est pas possible de faire confiance à Boric mais il faut, que la « force qui s’est exprimée dans les urnes s’exprime dans la rue pour reprendre les revendications d’octobre que [tous les partis du régimes] et Boric lui-même veulent enterrer. (…) Malgré la défaite de Kast, la droite maintient ses positions au Parlement. Les maîtres du Chili, les patrons, ont déjà annoncé, de leur côté, que face à une croissance faible et face à l’inflation, ce sera au peuple et au monde du travail de payer. Ils feront tout leur possible pour faire obstacle à n’importe quel changement en faveur des intérêts des classes populaires. Et Boric a déjà annoncé qu’il respecterait le cadre établi et les règles du jeu institutionnel. C’est bien pour cela qu’il nous faut reprendre plus que jamais les revendications d’octobre, renforcer les organisations syndicales, étudiantes et du mouvement social, la coordination par en bas et l’auto-organisation, pour reprendre le chemin de la mobilisation ».


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