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Violences d'Etat

Ciné-débat. Quartiers populaires - Gilets jaunes : « la police protège l’ordre bourgeois »

Émotion et détermination étaient au rendez-vous vendredi dernier dans la salle obscure des 7 Parnassiens, à l'occasion d'une séance du film de David Dufresne en présence d'Anasse Kazib, des comités Adama et Justice pour Ibo, Vies Volées et les Mutilé.e.s pour l’exemple. L’occasion de revenir sur la question des violences policières au prisme non seulement du mouvement des Gilets jaunes mais aussi des quartiers populaires, pour penser la question stratégique que soulève l’expérience commune des violences d’Etat.

Flora Carpentier


et Paul Morao

14 octobre 2020

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Crédit photos : O Phil des Contrastes

« Un pays qui se tient sage » : un retour de la question des violences policières en pleine offensive sécuritaire

Sorti le 17 septembre dernier, « Un pays qui se tient sage » de David Dufresne a remis la question des violences policières sur le devant de la scène en cette rentrée, marquée par une offensive sécuritaire du gouvernement. Dans son film, le journaliste connu pour son travail sur le « maintien de l’ordre » et les violences policières propose une réflexion autour de la « légitimité » de la violence d’Etat. Pour poser cette question, inscrite dans une perspective wébérienne, le film alterne entre séquences de violences policières dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes et entretiens, dans lesquels dialoguent où s’opposent des intellectuels, des gilets jaunes, des journalistes et même des représentants de syndicats de police.

Largement diffusé en France, « Un pays qui se tient sage » remet ainsi sur la table les questions suscitées par la répression ultra-violente qui s’est abattue sur le mouvement des Gilets jaunes, qui a joué comme un révélateur, à large échelle, des violences policières. Un apport très précieux à l’heure où le gouvernement et la droite tentent d’enterrer les interrogations surgies du mouvement des Gilets jaunes ou encore du mouvement anti-raciste mondial de juin dernier. Le documentaire a d’ailleurs rencontré un écho très positif lors de cette séance aux 7 Parnassiens, organisée en partenariat avec notre rédaction, à laquelle ont assisté de nombreux acteurs de ces mobilisations, dont un certain nombre de « femmes Gilets Jaunes », mais également des spectateurs curieux de cet éclairage de terrain sur le mouvement des Gilets Jaunes, parfois suivi de loin. Des réactions indignées face aux images chocs de la répression contre les Gilets Jaunes ou les lycéens de Mantes-la-Jolie, aux sifflements devant les propos tenus par certains policiers interviewés, l’auditoire n’a pu rester de marbre, et c’est ce même état d’esprit qui a animé le débat qui a suivi.

Violences policières : les quartiers populaires comme « laboratoire »

« Le film suscite énormément de réflexions et questionnements, mais ce qu’on a souhaité ce soir c’est orienter le débat sur la question de l’articulation entre les violences policières à l’encontre du mouvement social et la violence systémique qui s’exerce quotidiennement dans les quartiers populaires » a commencé par expliquer Flora Carpentier pour Révolution Permanente. Le choix d’inviter à débattre ensemble des Gilets jaunes – Vanessa Langard et Mélanie N’Goye Gaham du collectif Les Mutilé.e.s pour l’Exemple, présentes dans le film – mais aussi des militants des quartiers populaires – Almamy Kanouté du Comité Adama, Diané Bah du Collectif Justice pour Ibo, Fatou Dieng du collectif Vies Volées, et le cheminot Anasse Kazib – allait d’ailleurs en ce sens.

Il est ressorti des échanges que si le film se centrait sur la question des violences policières, la vision qui en demeurait restait pourtant partielle. Dans une interview exclusive, David Dufresne nous expliquait lui-même que son film n’avait pas tant vocation à apporter des réponses qu’à susciter le débat, d’où la volonté de multiplier les rencontres autour de son film. Toujours est-il qu’en privilégiant un éclairage « intellectuel » du sujet, laissant une large place à des sociologues, historiens, philosophes ou écrivains pour commenter les images de violences policières, « Un pays qui se tient sage » a parfois donné le sentiment de laisser trop peu de places aux militants ou à la jeunesse des quartiers populaires (malgré plusieurs témoignages dont ceux de deux mères de lycéens de Mantes-la-Jolie), confrontés quotidiennement à ces violences.

Vanessa Langard et Mélanie N’Goye Gaham, elles-mêmes issues des quartiers populaires, ont commencé par revenir sur le silence qui a été fait pendant longtemps sur les violences policières et le rôle de révélateur du mouvement des Gilets jaunes. « Les violences policières ont toujours existé, mais avec les Gilets jaunes elles sont devenues visibles. Des éborgnés il y en a eu trente-cinq avant nous, mais ça n’intéressait personne car ça se passait banlieue » a ainsi commencé par rappeler Vanessa, tandis que Mélanie a souligné l’arrière-fond raciste de ce traitement médiatique et politique des violences policières. « Les violences contre les Gilets jaunes ont choqué parce que c’était des blancs, les gens se sont rendu compte que les violences pouvaient les toucher aussi. C’est dommage, on n’aurait jamais dû avoir autant de mutilés dans nos manifs, mais ça aura ouvert les yeux au plus grand nombre » a-t-elle noté.

Fatou Dieng et Diané Bah ont rebondit sur ce constat du point de vue de militants contre les violences policières. Diané Bah a évoqué l’histoire de son frère Ibrahima, mort à moto et dont de nombreux témoins affirment qu’il a été percuté par une fourgonnette de police. « Nous on ne subit pas cette violence en manif mais dans notre quotidien. Les Gilets jaunes peuvent enlever leur gilet, moi je ne peux pas enlever ma couleur de peau » a-t-il noté, rappelant le poids du racisme dans les violences qui s’exercent dans les quartiers populaires, mais aussi la criminalisation qui affecte systématiquement les victimes de ces violences policières. De son côté, Fatou Dieng, du collectif Vie Volées, fait partie, avec sa sœur Ramata, des figures qui ont porté la lutte contre les violences policières depuis 2007 et la mort de son frère Lamine, dans un silence médiatique assourdissant. Alors que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a reconnu il y a quelques mois que Lamine Dieng avait bien été tué, Fatou Dieng a rappelé à quel point il était difficile d’obtenir Justice. « On lui a rendu justice parce que ça a été prouvé qu’il n’est pas mort seul alors qu’il y avait eu un non-lieu. Mais la Justice n’a pas été rendue car tant qu’il y a les violences policières, l’impunité policière, il n’y a pas de Justice. » rapporte-t-elle. Tous deux notent à quel point les Gilets jaunes ont changé la donne autour de la question des violences policières. « Il y a eu un pas avant, les violences policières sont maintenant débattues publiquement et au niveau politique, mais ce n’est pas encore fini, il y a encore du chemin à faire. » conclue ainsi Fatou Dieng.

Au fil de la discussion, les quartiers populaires apparaissent ainsi comme un véritable laboratoire des violences policières mobilisées contre le mouvement des Gilets jaunes. Largement invisibilisées lorsqu’elles ne frappaient que les quartiers populaires, leur irruption sur les Champs-Elysées contre des classes populaires principalement blanches et leur déchaînement à grande échelle, avec un bilan d’une ampleur historique, a rendu impossible leur négation. Loin de conduire à opposer « quartiers populaires » et « Gilets jaunes », ce constat invite alors à penser les alliances qu’il est possible de dessiner.

Face à la police qui protège l’ordre, la nécessité de construire un bloc de l’ensemble des secteurs en lutte

Interrogé par Flora Carpentier sur les débouchés stratégiques de cette convergence autour des violences policières, Almamy Kanouté prend ensuite la parole pour revenir sur l’alliance que le Comité Adama a choisi de tisser avec les Gilets jaunes. « Avant même les Gilets jaunes, l’intention d’élargir la question des violences policières était déjà en ébullition. Les Gilets jaunes ont accéléré les choses. (…) Nous on a été à contre-courant de ceux qui disaient qu’il n’y avait que des fachos, il y avait beaucoup de blancs mais aussi beaucoup de banlieusards, on tombe sur des Anasse, sur d’autres, … Comme on maîtrise les mêmes codes, comme on a affaire à des cheminots banlieusards, la proximité se fait. » raconte-t-il, évoquant en filigrane le « Pôle Saint-Lazare » constitué aux côtés des Cheminots de l’Intergare en décembre 2018 pour rejoindre les Gilets jaunes. Une expérimentation de convergence qui doit en appeler d’autres pour le militant qui conclue : « Il faut faire l’effort de dépasser les frontières que la société nous impose. Les cols blancs ne veulent pas nous voir ensemble, manque de pot on n’est pas bêtes. Ces frontières là on est en train de les effacer petit à petit. Et c’est ce travail qui donne lieu à ce qui s’est passé au mois de juin. (…) Si on est tous les ennemis du gouvernement, on a intérêt à créer un seul et même bloc. »

De son côté, Anasse Kazib commence par revenir sur le film : « On doit se satisfaire qu’un tel film soit plébiscité, parce que ça permet de montrer ces images-là » avant d’évoquer les quartiers populaires. « Les quartiers populaires ont toujours été un laboratoire, la première fois que les blindés VBRG ont été sortis sur le territoire français c’était en 2005 pendant les émeutes, et le flashball a d’abord été expérimenté dans les banlieues. » Dans la chaleur de la lutte de classe, les Gilets jaunes, fréquemment « pro-police » dans les premiers temps, ont fait l’expérience de cette violence à leur tour qui a conduit à les radicaliser. Le cheminot pointe ensuite ce qui apparaît comme une vraie limite du film, celle d’abstraire la question de la violence policière de celle du système dont elle est un rouage essentiel, à savoir le capitalisme. « On pointe des choses du doigt, mais pas le fond de l’affaire. Toute cette violence policière, tous ces mutilés, ils représentent quelque chose. A un moment le film évoque « l’ordre », mais la réalité c’est que l’ordre qu’ils défendent c’est l’ordre bourgeois ! Dans L’Etat et la révolution, Lénine dit que deux institutions sont centrales pour le maintien de l’Etat bourgeois, l’institution policière et l’institution carcérale. (…) A un moment un policier dit ‘nous on est là pour rétablir l’ordre, peu importe qu’ils soient milliardaires ou prolos.’ C’est faux, la réalité c’est que la police protège le pouvoir bourgeois » note ainsi Anasse Kazib.

Face à ce constat d’une « institution entière » conçue pour protéger le système, Anasse Kazib évoque à son tour la question de la convergence, brûlante face à la crise et la lutte de classe qu’elle pourrait réveiller. « Des Gilets jaunes au 13 juin, tous ces mouvements ne se sont pas faits pour rien. Demain il va falloir une combinaison de la mobilisation du Comité Adama le 13 juin, des 1,5 millions de personnes le 5 décembre, des 350 000 Gilets jaunes du 17 novembre. C’est cette combinaison-là qui nous permettra de gagner, mais il va falloir y aller avec une boussole et une stratégie » conclue-t-il, applaudi par la salle.

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Les interventions ont ensuite suscité plusieurs réflexions de la salle allant dans le sens de construire cette unité, à l’image de Sabrina, elle aussi habitante des quartiers populaires et gilet jaune : « tout ce que l’Etat veut c’est qu’on se divise, alors il faut qu’on s’unisse ! Parce que moi je ne veux plus attendre, je ne veux plus d’un autre Zied et Bouna ». Même préoccupation pour Anissa, aide-soignante en EHPAD et syndicaliste, menacée de sanction pour avoir dénoncé la gestion sanitaire dans son établissement : « Le film était choquant, on n’a pas toujours été là pendant les Gilets Jaunes mais revoir tout ça remet une claque dans la gueule et permet de mettre le doigt sur les meurtres policiers commis par la police avant ça. La seule chose qui fera bouger les choses c’est d’être réunis. Il faut se mettre tous ensemble, étudiants, cheminots, corps médical, Gilets jaunes... ».

La soirée s’est conclue par plusieurs rendez-vous donnés dès le lendemain pour la marche Justice pour Ibo à Sarcelles, mais aussi le week-end prochain à Amiens pour les « 3 jours pour ne plus fermer les yeux » et la marche des Mutilé.e.s pour l’exemple. Une fois de plus, on pourra dire que le pari de David Dufresne de nourrir le débat sur les violences policières aura trouvé un écho certain.

Superbe projection-débat autour du film de David Dufresne Un pays qui se tient sage vendredi soir au Cinema Les 7...

Publiée par Révolution Permanente sur Lundi 12 octobre 2020


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