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A l'écran

Cinéma. Un pays qui se tient sage : la violence de la police en débat. Entretien avec David Dufresne

Après son roman « Dernière Sommation », le journaliste David Dufresne signe un documentaire saisissant sur le mouvement des Gilets Jaunes, cette fois à l'écran. En salles dès le 30 septembre, « Un pays qui se tient sage » apporte une pierre indispensable au débat sur la question des violences policières, de même qu'il interroge la pratique de l'information à l'heure où la rhétorique sécuritaire envenime les chaînes télévisées et où le gouvernement voudrait empêcher de filmer les exactions policières.

Flora Carpentier

28 septembre 2020

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Ceux qui ont côtoyé de près ou de loin le mouvement des Gilets Jaunes ont difficilement pu passer à côté du désormais célèbre « Allô Place Beauvau », message d’alerte lancé sur Twitter par le journaliste David Dufresne chaque fois qu’un acte de violence policière, dûment sourcé, lui parvenait. Près de 1000 signalements ont émaillé au fil des jours son compte Twitter, une initiative salutaire récompensée par le Grand Prix du Jury des Assises Internationales du Journalisme. Ce travail de compilation n’a pas laissé son auteur indemne : dans son roman Dernière Sommation, il raconte comment les images de violences policières ont hanté ses nuits, jusqu’à pénétrer son intimité et bousculer sa vie de famille, lorsqu’il s’est décidé à les recenser, de manière aussi rigoureuse qu’acharnée, presque compulsive. Une frénésie et une soif de vérité qui ont fait de lui un ennemi juré du renseignement intérieur et du ministère lui-même.

Imposer les violences policières au cœur du débat public

Mais David Dufresne ne désarme pas. Comme obsédé par la volonté de placer les violences policières au cœur du débat public, il met ses talents multiples au service de la dénonciation, mais aussi de la réflexion collective. Dans un entretien exclusif, il nous explique ainsi sa démarche : « le film est là pour nourrir le débat public, parce qu’on sait comme ça fonctionne, un jour c’est l’islam, le lendemain c’est les musulmans... et ce n’est pas parce que la question des violences policières est sur le devant de la scène qu’elle va y rester. On essaye de nous rejouer 2007 avec la question de l’insécurité pour 2022. Ce qui me rend presque optimiste, c’est qu’il y a plus de gens armés aujourd’hui pour discuter de cette question-là. Il y a un travail fait par les collectifs, les médias indépendants, les avocats, des chercheurs... qui à force crée un écosystème de contre-récit. Et le film s’inscrit là-dedans, parmi d’autres ».

Et le pari est on ne peut plus réussi. Transportant sur grand écran des images de violences policières filmées par des manifestants avec leurs téléphones portables, le film parvient à allier témoignages et débat de fond, donnant à la fois la parole à ceux qui ont découvert la violence policière lors des manifestations de gilets jaunes, et à ceux qui la vivent depuis toujours dans les quartiers populaires. Projeté fin août en avant-première à l’Université d’été du NPA en présence de son réalisateur, le film avait déjà captivé le public et suscité un débat de plusieurs heures autour de la police et de son rôle, abordé ici comme intrinsèquement lié à la défense de l’ordre social établi, le capitalisme. En fonction du public, la teneur des échanges varie, nous confie David Dufresne : « ça peut passer de la fraternisation de la police à la réforme de la police, à la révolution de la police, à l’abolition de la police... tout le spectre est là (…). La question de la ’police milice du capital’ est abordée dans le film à travers les images (…) par exemple quand on voit Mélanie prendre un coup de matraque devant un Mc Donald’s, Olivier Béziade, ce pompier de Bordeaux tombé dans le coma au pied d’un Apple Store après avoir reçu des projectiles ».

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Des quartiers populaires aux manifestations, un « continuum sécuritaire évident »

Si elle n’occupe pas la place centrale du film, la question des quartiers populaires est présente en toile de fond tout au long du documentaire, dont le titre est une référence explicite à l’épisode de violences policières subi par les lycéens de Mantes-la-Jolie. Cette scène terrible d’humiliation collective, en réponse à la contestation lycéenne, est en effet symbolique de la violence systémique exercée contre les habitants des banlieues, que Taha Bouhafs qualifie dans le film de « territoires d’expérimentations » policières.

David Dufresne, dont le premier documentaire Quand la France s’embrase était consacré aux soulèvements des banlieues de 2005, prend ainsi le contre-pied de ceux qui, y compris à gauche, ferment les yeux sur cette violence d’Etat. Pour lui, 2005 est incontestablement marquée par une « défaite de la gauche » : « la gauche parlementaire n’a pas du tout considéré les révoltes des quartiers comme des révoltes, elle a utilisé le terme de ’violences urbaines’ en enlevant totalement le côté politique de ces émeutes » alors même que le directeur des renseignements généraux de l’époque parlait dans son rapport de ’soulèvement populaire des quartiers’, et ça lui a coûté sa place ».

On pourra néanmoins regretter que le film n’accorde pas davantage d’espace à cette dimension fondamentale, notamment à travers l’exemple du Comité Adama, tête de pont des mobilisations contre le racisme et les violences policières dans les quartiers populaires ces dernières années, et qui a eu le mérite de chercher à opérer une jonction entre les banlieues et le mouvement social dans son ensemble. David Dufresne reconnaît d’ailleurs cette clairvoyance : « il y a des images du 17 novembre 2018 où on voit le comité Adama manifester, au moment où tout le monde se pince le nez ».

Vanessa Langard du collectif Les Mutilés pour l’Exemple, éborgnée par un tir de LBD40 le 15 décembre 2018, nous livre ainsi son retour sur le film, dans lequel elle apparaît : « J’ai beaucoup appréhendé la projection, et ça a été très dur de voir ces images, de voir mes amis des Mutilés comme Mélanie, Gwendal, Antoine, Patrice... j’ai pas mal pleuré. C’est un film très bien fait, touchant, énervant, qui permet de montrer la vérité par rapport aux mensonges qu’on entend à la télé comme quoi les violences policières n’existent pas. J’espère qu’il permettra aux gens d’ouvrir les yeux et comprendre qu’on n’est pas des violents, qu’on est juste dans notre droit de manifester et qu’on a subi des tirs, reçu des grenades ou des matraquages... Par contre je trouve qu’il aurait fallu parler davantage des violences policières qui existent depuis de nombreuses années dans les zad, les cités, les matchs de foot... il n’y a pas que les manifestations ! Je trouve dommage de ne montrer que Mantes-la-Jolie et des Gilets Jaunes, surtout parce que ce qui s’est passé à Mantes-la-Jolie ce n’est pas tellement ce qui se passe en banlieue mais plutôt par rapport à un mouvement dans un lycée. Pour moi qui ai grandi dans le 94, la BAC qui te plaque au sol du lundi au dimanche, les garde-à-vue... c’est banal. Ça ce sont les violences policières plus classiques ».

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La liberté de la presse menacée : une préoccupation de premier ordre

Un pays qui se tient sage interroge également la pratique du journalisme et ses mutations, notamment par la pression qu’exercent les réseaux sociaux et les médias indépendants sur les grands médias. On assiste ainsi à une confrontation musclée entre le journaliste Taha Bouhafs et un policier sorti de ses gonds, qui ne supporte pas de voir ses collègues « filmés à 3 cm du visage » ou se retrouver sur les réseaux sociaux. Faisant référence au postulat de l’enseignant-chercheur André Gunthert, David Dufresne attribue cette dynamique à une « victoire des médias faibles sur les médias forts » : « Ce n’est pas pour rien que Gérald Darmanin veut flouter les visages des policiers. Avant il n’y avait pas besoin de les flouter puisque ces images n’étaient pas montrées ».

Cette dernière attaque, s’ajoutant aux violences à l’encontre des journalistes dans l’exercice de leur métier, s’inscrit pour David Dufresne dans une offensive contre la liberté de la presse « extrêmement préoccupante », d’où sa volonté de faire figurer dans le film l’arrestation de Gaspard Glanz, « symbolique de toutes les arrestations » de journalistes.

En plus de replonger le spectateur dans le moment de lutte des classes le plus convulsif de ces dernières années, Un pays qui se tient sage participe donc à nourrir un débat indispensable dans une période où les discours sécuritaires reviennent en boucle sur les plateaux télévisés. Autant de raisons pour filer le voir au cinéma, dès le 30 septembre.


Programme des avant-premières et projections-débats :

A noter une projection organisée par le Nouveau Parti Anticapitaliste jeudi 1er octobre à 20h au Cinéma Les 3 Luxembourg, suivie d’un débat en présence de Yessa Bel & Myriam Ayad du Collectif de Défense des Jeunes du Mantois, de Fabien Jobard directeur de recherche au CNRS et de Raphael Kempf avocat pénaliste.

Ciné- débat autour du Film " Un pays qui se tient sage" de David Dufresne.

Publiée par NPA-Paris sur Jeudi 24 septembre 2020

allo Préfecture de Police - c'est pour une tournée d'avant premières #UnPaysQuiSeTientSage sur #Paris et région....

Publiée par David Dufresne sur Lundi 21 septembre 2020


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