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Reportage

Assemblée des assemblées de Commercy : un pas en avant pour le mouvement

Samedi et dimanche, plus 350 personnes se sont réunies à Commercy pour assister et participer à la première assemblée des assemblées, réunissant 75 délégations de toute la France. Un grand succès qui fait suite à l’Appel émis par l’assemblée de Commercy en Décembre dernier. Reportage sur place.

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Samedi, 12h30, à la cabane de Commercy, trois Gilets jaunes bravent la pluie et veillent sur le brasero, informant les nombreuses voitures qui traversent cette petite ville de 6000 habitants pour la première fois, pour assister à l’assemblée des assemblées. « Il faut prendre direction Euville, puis aller à Sorcy, ils sont à l’entrée du village ».

Sur place, les auteurs de l’appel de Commercy s’activent en cuisine et à l’entrée de la salle. Cette dernière ne pouvant accueillir que 300 personnes, un grand barnum a été installé à l’extérieur avec retransmission en direct des discussions. Chaque délégation se voit remettre une étiquette et un carton permettant de voter. Au total, ce sont près de 75 délégations paritaires de toute la France qui sont présentes, auxquelles s’ajoutent de très nombreux observateurs et journalistes.

Vers 13h30, Claude, Gilet jaune de Commercy au gilet siglé d’un logo féministe, lance la journée sous un tonnerre d’applaudissements. « On aurait pu être 1000 » annonce-t-il, avant de détailler le programme de la journée en deux temps, d’abord un tour de l’ensemble des groupes représentés, ensuite une discussion sur la base de la synthèse des réponses des groupes au questionnaire préparatoire envoyé par les organisateurs.

Un mouvement qui cherche les voies de son renouvellement

Le tour de France des ronds-points et des assemblées démarre. De Poitiers à Le Vigan (Gard) en passant par Dijon, Ivry, Nancy, Fougères, Die, Saint-Nazaire ou Strasbourg, les Gilets jaunes racontent leur situation locale et ses évolutions depuis le 17 novembre. Assemblées générales réunissant une centaine de personnes, commissions de travail, actions en tout genre, répression policière, construction de cabanes, manifestations historiques, tentatives de coordination entre les ronds-points : les problématiques et les expériences se ressemblent bien souvent.

La détermination transparaît dans toutes les interventions. Les GJs de Poitiers racontent leur blocage des centres de tri de La Poste, ceux de Dijon les manifestations historiques réunissant 3 à 4000 personnes chaque samedi. A Saint-Nazaire, les GJs ont créé une Maison du Peuple et cherchent à ralentir l’économie portuaire. Dans la Drôme, les GJs nouent des relations avec la Confédération Paysanne et restent indéboulonnables malgré la destruction répétée de leur cabane par la police. Les délégués de l’Ariège insistent quant à eux sur le fait qu’ils ont été tirés au sort et défendent leur conception « horizontale » de la démocratie.

Chaque délégation décline ainsi patiemment la liste des actions mises en place. Leur diversité est remarquable : blocages économiques, soutien à des salariés en lutte, manifestations contre la répression, manifestations de femmes. Tous expriment des préoccupations communes : comment améliorer la structuration locale, résister face aux pressions policières et à la répression, élargir la mobilisation pour gagner ?
Les plus de 50 interventions dessinent ainsi l’état d’un mouvement qui cherche les voies de son renouvellement permanent. Ainsi, face à la forte hausse de la répression sur les ronds-points - de nombreux GJs rapportant une intensification des expulsion -, différents groupes ont choisi d’investir des terrains, prêtés par des agriculteurs ou par la mairie. Malgré 7 destructions de cabanes, les Gilets jaunes d’Ardèche ne lâchent rien. Dans ce cadre, la date du 5 février est citée par plusieurs délégués comme une perspective importante pour lancer une « grève générale reconductible ».

Après les présentations et une pause méritée, la discussion s’ouvre sur deux enjeux majeurs : les revendications du mouvement et les perspectives stratégiques.

Revendications et perspectives stratégiques

Après que Claude introduit la discussion en partant de la synthèse des revendications remontées par différents groupes locaux, la discussion porte rapidement sur l’issue du débat. L’assemblée des assemblées a-t-elle la légitimité de publier des revendications ?

« On a 2ans, 3ans, 10ans pour la Révolution et on prendra le temps qu’il faut » affirme Chantal du Mas d’Azil. Comme elle, de nombreux Gilets jaunes refusent de trancher quoi que ce soit dans un souci de « prendre son temps » mais aussi d’éviter toute démarche « illégitime ». « Je n’ai pas de mandat pour voter un appel » explique ainsi un délégué. A l’inverse, un autre délégué prend la parole, visiblement irrité par la timidité qui s’exprime : « Les gens ne comprendraient pas qu’on sorte de cette assemblée sans produire un appel. » L’idée d’un appel est finalement votée à la majorité.

Le débat autour de la légitimité de l’assemblée des assemblées ressurgit fréquemment dans les discussions, les Gilets jaunes défendant la souveraineté de leur assemblée locale avec la crainte évidente de voir « l’Assemblée des assemblées » se transformer en un organe bureaucratisé. Dès lors, c’est une vision très « horizontaliste » et « localiste » qui l’emporte ce qui n’a pas permis d’être décisionnaire. Pour la plupart des GJs présents il semble que cette première coordination doit avant tout permettre de discuter, de créer du lien, d’échanger des idées et des contacts, et pas autre chose.

La grève générale du 5 février en ligne de mire

Cette crainte d’une dérive « bureaucratique » n’empêche pas les Gilets jaunes de défendre dans leurs interventions des orientations précises. Ainsi, la date de grève générale du 5 février, est vue par beaucoup comme un point d’appui pour la suite du mouvement. Une déléguée de Strasbourg explique que cette journée doit « être le début d’une grève générale reconductible », et que la nécessité de la construire doit figurer dans l’Appel final. Les Gilets jaunes de Crest soutiennent également cette journée, tandis qu’à Saint-Dizier on veut profiter de l’échéance pour « récupérer les ronds-points ».

Cette position de soutien à la date du 5 février est majoritaire. Plutôt opposé aux syndicats, Ludovic de Saint-Dizier nous explique comment son groupe a adopté une position pragmatique sur la grève générale : « On est restés au départ dans l’idée du début, c’est apolitique et anti-syndicaliste, mais on voit bien que l’Appel du 5, faire sortir tous les salariés en France… si on n’a pas un appui du syndicat aucun salarié ne va sortir dans la rue dans une grève illimitée. » Globalement, tous les Gilets jaunes présents semblent s’accorder sur la nécessaire distinction entre les syndicalistes de base, à qui il faut s’adresser pour élargir le mouvement, et les directions syndicales qui sont fermement dénoncées.

La question des violences de l’extrême-droite, point de tension

Pour Torya, déléguée des Gilets jaunes du Collectif Rungis, après l’agression d’un cortège du NPA par un groupuscule d’extrême-droite « on ne peut pas sortir de ce week-end sans dénoncer les violences de l’extrême-droite ». Un observateur l’interpelle de façon virulente : « On doit rester apartisans », elle réplique immédiatement : « L’extrême-droite ce n’est pas un parti ! ». Finalement, et bien que des groupuscules d’extrême-droite s’en soit pris directement à des Gilets Jaunes, à Paris ou à Lyon, c’est seulement « des groupuscules violents », sans plus de précision, qui seront dénoncés dans la déclaration finale.

Grande réussite pour cette première assemblée des assemblées

Au moment d’évoquer l’organisation d’une prochaine assemblée des assemblées, la question de la légitimité de ce cadre réapparaît. « On risque d’être perçus comme une sorte de gouvernement » explique un délégué, revendiquant de ne pas réunir trop souvent l’assemblée des assemblées. Finalement Saint-Nazaire propose sa candidature sous les applaudissements, pour une prochaine réunion d’ici 2 mois. L’opposition entre volonté de prendre son temps et urgence de la situation ressurgit, malgré quelques hésitations, les délégués conviennent de trouver rapidement un lieu pour organiser une nouvelle coordination.

Le lendemain, l’Appel final, amendé dans la matinée, est lu par les auteurs. Il évoque les revendications du mouvement, condamne l’attitude du gouvernement et la répression policière et finit sur un appel à l’élargissement de la mobilisation : « Nous appelons à poursuivre les actes (acte XII contre les violences policières devant les commissariats, actes XIII, XIV...), à continuer les occupations des ronds-points et le blocage de l’économie, à construire une grève massive et reconductible à partir du 5 février. Nous appelons à former des comités sur les lieux de travail, d’études et partout ailleurs pour que cette grève puisse être construite à la base par les grévistes eux-mêmes. Prenons nos affaires en main ! Ne restez pas seuls, rejoignez-nous ! »

Si les difficultés étaient nombreuses, alors que le mouvement est frappé par la répression, les campagnes de décrédibilisation des grands médias, ou encore des divisions en interne, cette première Assemblée des Assemblées à Commercy est un véritable succès. Elle marque un premier pas important vers une meilleure structuration, et débouche sur un appel commun d’une très grande qualité.

Malgré ses hésitations et ses limites, notamment le fait qu’elle ne représente qu’une partie des Gilets jaunes et spécifiquement les secteurs, à quelques exceptions près, les plus à gauche, ce premier pas est à consolider, et la coordination à élargir. On notera ainsi par exemple l’absence de l’AG de Toulouse, devenue capitale du mouvement des Gilets jaunes.

Face à un gouvernement qui tente avec son Grand débat de vider de son contenu la vague des Gilets jaunes, la nécessité d’approfondir les expériences de structuration démocratique à la base se pose plus que jamais. Elle passera par le développement d’Assemblées Générales ouvertes à d’autres secteurs de notre classe, au monde du travail et à la jeunesse, mais aussi par la coordination à une échelle plus nationale. L’Assemblée des Assemblées de Commercy constitue aujourd’hui l’expérience la plus avancée en ce sens.

Crédit photo : AFP / JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN


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