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En Libye et en Egypte

« Complicité de torture » : la technologie d’espionnage française au service des dictatures

Quatre dirigeants de deux entreprises françaises de l’espionnage sont mis en examen pour complicité de tortures et de disparitions forcées en Libye et en Egypte. Le « savoir-faire français ».

Philippe Alcoy

23 juin 2021

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Crédit photo : AFP

Des dirigeants de deux entreprises françaises spécialisées dans la production de technologies d’espionnage et de surveillance, Amesys et Nexa Technologies, ont été mis en examen la semaine dernière pour « complicité d’actes de torture » et pour « disparitions forcées » en Libye et en Egypte respectivement. Il s’agit de Philippe Vannier, président d’Amesys jusqu’en 2010 (impliqué dans le dossier libyen), d’Olivier Bohbot, président de Nexa, Renaud Roques, son directeur général, et Stéphane Salies, ancien président, impliqués dans le volet égyptien. Ces mises en examen font suite à deux plaintes déposées par la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) et la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) en 2011 après que le Wall Street Journal et WikiLeaks aient révélé des contrats entre des entreprises françaises et le régime de Kadhafi en Libye.

Dans le cas d’Amesys, cette entreprise a vendu au régime de Mouammar Kadhafi, à partir de 2007, un système de surveillance sur Internet appelé Eagle. Ce système aurait permis de surveiller puis d’emprisonner et torturer des opposants au régime : des journalistes, des militants des droits humains, entre autres. Comme le reconnaissait l’entreprise elle-même, ces contrats ont été signés dans un contexte de rapprochement diplomatique entre la France et la Libye sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy.

Quant à Nexa Technologies, ses dirigeants sont accusés d’avoir fourni un système similaire à celui d’Amesys, baptisé « Cerebro », à la dictature égyptienne d’Abdel Fatah al-Sissi. Grâce à cette technologie le régime égyptien aurait non seulement torturé mais aussi fait « disparaître » de force des opposants.

Les relations entre Amesys et Nexa Technologies sont plus que proches. En effet, en 2012 Amesys disparaissait mais « la même année, deux entreprises ont fait leur apparition sur le marché : Nexa Technologies, implantée en France, et Advanced Middle East Systems (Ames), à Dubaï. Or à la tête de Nexa Technologies figurent deux anciens d’Amesys : l’ex-directeur commercial Stéphane Salies, aujourd’hui président de la nouvelle entité, et Renaud Roques, devenu directeur « avant-vente et stratégie » (…) la manœuvre facilite l’exportation des technologies françaises, Nexa Technologies vendant ses produits à Ames, qui transmet ensuite à l’utilisateur final. Avantage : brouiller les pistes et échapper à la supposée vigilance de la Commission interministérielle des biens à double usage en France », écrit Jeune Afrique. Autrement dit, il est fort probable que suite au scandale les propriétaires d’Amesys aient décidé de tenter d’effacer le plus possible de traces de leurs affaires avec les dictatures tout en gardant les parts de marché, mais sous d’autres appellations.

Mais le cas de ces entreprises est loin d’être isolé. En réalité il existe d’autres entreprises françaises, et d’autres pays, qui se disputent ce « juteux marché » auprès des dictateurs amis de la France et des puissances occidentales. Il s’agit d’une industrie, comme celle de l’armement, qui dépend et travaille étroitement avec le sommet de l’Etat et l’armée. Ainsi, dans un autre article de Jeune Afrique sur les caractéristiques de ce marché : « Ercom et Suneris Solution occupent elles aussi une place de choix sur le marché africain, en particulier subsaharien. La première, qui a notamment équipé le Mali et le Sénégal, est spécialisée dans la sécurisation des échanges électroniques et téléphoniques. La seconde… dans leur interception. Toutes deux sont basées au sud-ouest de Paris, à Villacoublay, non loin du Commandement des opérations spéciales (COS) de l’armée. Elles sont les (discrètes) vitrines commerciales des technologies de l’espionnage français ». Ces deux entreprises ont d’ailleurs été rachetées par Thales.

Cependant, même si ces dirigeants d’entreprise sont aujourd’hui mis en examen cela ne veut pas dire qu’ils seront condamnés ou que cela change les pratiques de ce secteur particulièrement néfaste. Une autre entreprise française spécialisée dans la surveillance, Qosmos, a elle aussi été accusée de complicité avec le régime de Bachar al-Assad mais finalement blanchie.

Ce que ces exemples montrent c’est que les Etats capitalistes, en tant qu’Etats d’une classe qui domine et exploite, a toujours besoin de surveiller les opposants pour mieux les réprimer. Et cela ne se limite pas seulement aux activistes politiques des classes subalternes. Beaucoup de ces régimes avec lesquels les industriels français travaillent, utilisent les moyens avancés de surveillance même contre leurs rivaux au sein de la classe dominante. Il est très parlant que l’impérialisme français soit parmi les puissances les plus performantes dans ces véritables industries de mort que sont l’armement et l’espionnage/surveillance.


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