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Des piles d'enveloppes remplies de billets

Compte en Suisse et coffre fort : ce que Dieudonné a révélé au juge sur sa petite entreprise

Le 27 juin, le juge Renaud Van Ruymbeke bouclait son enquête sur les affaires de de Dieudonné Mbala Mbala mis en examen pour fraude fiscale. Interrogé par le juge, "l'humoriste" a accepté pour la première fois de s’expliquer sur ses « petits arrangements financiers » qui lui ont valu d’être mis en examen pour « fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale, abus de bien sociaux et organisation frauduleuse d’insolvabilité ».

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Le juge a désormais quatre mois pour adresser son ordonnance de règlement au parquet afin que ce dernier prenne des réquisitions. L’humoriste et sa compagne Noémie Montagne, gérante des « Productions de la plume », la société qui produit les spectacles de Dieudonné, sont soupçonnés d’avoir détournés à leur profit une partie des recettes non comptabilisées des spectacles. Il est aussi reproché à l’humoriste d’avoir cherché à échapper au paiement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui s’applique aux patrimoines supérieurs à 1,3 million d’€.

Début 2014, lors d’une perquisition au Mesnil-Simon, les policiers de l’office anticorruption avaient saisi des piles d’enveloppes remplies de billets de 5 à 500 € dans des coffres forts. 657.220 € au total. De l’espèce provenant de la billetterie de ses spectacles ? Il semblerait selon le juge qui se base sur les fiches de recettes saisies dans la propriété du couple que ces montants en espèces sont « hors de proportion » avec ceux des recettes déclarés les mois précédents, compris entre 1500 et 2800 € en liquide. Or en octobre 2013 le montant atteint 95.055€, en novembre 101.386€ et en décembre, 132.942€. Le juge s’est aussi intéressé à un compte bancaire en Suisse, qui a permis à Dieudonné de s’offrir un bateau de plaisance en partie financé par un virement de 26.625 € alimenté par les recettes des Productions Plume résultant des spectacles de Dieudonné en Suisse.

L’alliance a été scellée et porte un nouveau nom : « Réconciliation Nationale ». C’est ainsi qu’Alain Soral et Dieudonné M’bala M’bala ont baptisé leur parti. Antisystème et radical, c’est ainsi que les deux personnages qualifient la mouvance qui aspire à capitaliser la colère existante, la crise de plus en plus explicite que connaissent les mécanismes de représentations démocratiques-bourgeois traditionnels et l’assagissement du FN. La « Dissidence », comme se plaisent à se présenter les soraliens, se fait en réalité l’écho des vieilles lunes de l’extrême droite des années 1930 sous couvert de « nouveauté ».

Pour mettre en lumière, le système de la « nouvelle » extrême droite, nous republions ici l’article « Soral et Dieudonné. Les bruns-rouges, facho business et la main d’or
 »
, qui éclaire ces nouveaux rebondissements.

La nouvelle mouvance « rouge-brune »

Soral, un temps militant au PCF dans les années 1990, et Dieudonné, anciennement mobilisé contre l’impérialisme et le FN, sont les meilleurs représentants de cette nouvelle mouvance « rouge-brune », qui caractérise les transfuges et qui n’est pas sans rappeler un Jacques Doriot, jeune apparatchik stalinien, maire de Saint-Denis dans les années 1930, fondateur, par la suite, du Parti Populaire Français et passé à la collaboration. Cette nouvelle extrême droite ne se distingue pas simplement du FN, en recherche de respectabilité et de dédiabolisation, ou des sorties médiatiques racistes et islamophobes d’un Eric Zemmour. Avec son discours de « gauche du travail » et « droite des valeurs », le « soralisme » s’abreuve aux particularités de la France postcoloniale, sur fond de crise aigüe de l’Union Européenne et de son projet et d’offensive impérialiste au Proche et Moyen-Orient, à commencer par l’approfondissement de la colonisation meurtrière de la Palestine par l’Etat sioniste.

Pour Soral et Dieudonné, dénoncer les méfaits du « mondialisme » a pour objet de réconcilier les « Français de souche » et « les Noirs, les Arabes et les musulmans » sur la base de la Nation. Ce serait, selon eux, l’unique rempart contre le projet « de désagrégation de la France » qui serait porté par une poignée d’oligarques qui, par glissement, seraient forcément« juifs », effaçant de fait, l’antagonisme de classe qui pouvait être sous-jacent dans l’énoncé. Le nouvel antisémitisme postcolonial est né, de même que le faux anticapitalisme transformé en anti-mondialisme.

Soral, « le mondialisme » et la « nation »

De même que les mouvances d’extrême droite des années 1930, Soral et compères se nourrissent, en temps de crise capitaliste, des contradictions grandissantes, entre Etat-Nation et production capitaliste qui s’effectue à l’échelle mondiale. En période d’expansion capitaliste, les maîtres mots de l’idéologie dominante sont croissance harmonieuse, suppression des frontières, accords commerciaux entre grandes puissances et mondialisation heureuse. En période de reflux, alors que les contradictions s’aiguisent, on entend davantage parler de mesures protectionnistes, de rétablissement des frontières et des barrières douanières. Soral s’engouffre dans la brèche et profite d’une certaine modération du discours lepéniste sur les questions européennes pour prôner avec fermeté la sortie de l’UE, de l’OTAN, la reprise du contrôle de la monnaie et le protectionnisme. Cela revient à réutiliser, comme d’autres avant lui, les formules du passé pour faire face aux contradictions entre Etat-Nation et vie économique mondiale que les bourgeoisies nationales des pays capitalistes avancés sont incapables de résoudre définitivement, liées comme elles sont aux lois de la concurrence capitaliste.

Aspirant à ratisser large, de la jeunesse des quartiers en passant par les travailleurs « revenus » de la gauche réformiste en passant par la petite et moyenne bourgeoisie en colère, Soral se garde bien de faire une critique du système capitaliste dans son ensemble et utilise le terme de « mondialisme » pour définir le projet d’une « oligarchie » mondiale, composée de « toutes les puissances qui ont intérêt à ce que la mondialisation libérale intégrale prenne définitivement le pouvoir » à savoir les grandes banques, les grandes multinationales. Cette grande bourgeoisie monopoliste se placerait ainsi « hors sol », en totale extériorité à l’Etat-Nation. Ce serait donc au sein de la Nation qu’il faudrait résister à cette caste qui aurait pour but d’instaurer un « gouvernement mondial » dominant « un monde d’individus-consommateurs coupé de toute racine et de solidarité nationale ».

Sous des dehors « anti système », Soral fantasme un Hexagone sans McDonalds ni Macintosh, autant dire un retour utopique, démagogue et réactionnaire, dans un passé identitaire et idéalisé. Ce faisant, ce qui est en jeu, c’est la bataille pour la base sociale du FN, Soral aspirant lui aussi à « faire son marché » auprès de certaines fractions du petit patronat, des artisans et commerçants. Pour Soral, ce n’est pas le patronat qui réclame et fait appliquer la politique qui détricote l’ensemble des acquis du mouvement ouvrier et impose l’austérité. Le problème, c’est que la France serait infiltrée par « l’Empire » qui organiserait de façon consciente la désagrégation du tissu social populaire hexagonal à son profit, d’où la nécessité de se défendre, de faire bloc avec « la nation ».

De la caricature des contradictions de classe au nouvel antisémitisme

La nouveauté tient également en cela que Soral et Dieudonné descellent nation et république sur la base du racisme d’Etat et de la concurrence victimaire et mémoriale, orchestrés par les gouvernements de gauche comme de droite, stigmatisant tour-à-tour les Noirs, les Arabes, les musulmans, les Rroms, alors qu’il est impossible de critiquer l’Etat d’Israël sans être accusé d’antisémitisme. La Shoah, par ailleurs, étant érigée en mal absolu visant à dédouaner le système de son passé et de son présent criminel (traite négrière, colonialisme, etc.). Ce sont ici les bases du « deux poids deux mesures » dénoncé par Dieudonné. Cependant, plutôt que de déconstruire l’universalisme raciste républicain et l’idéologie conçue pour diviser les travailleurs en multiples communautés antagoniques sous couvert d’appartenance à une seule et même « République », Dieudonné et Soral naturalisent le concept de races.

Par raccourcis sémantiques successifs, vieux comme La France juive d’Edouard Drumont, Soral et Dieudonné laissent entendre plus ou moins explicitement, selon les moments et les vidéos postées, que le projet « mondialiste » est inspiré par le judaïsme. Il trouverait sa source dans « l’Ancien Testament » et dans la « volonté de puissance, de violence destructrice et de mépris social » que l’on y trouverait. L’Empire, en dernière instance, ce seraient « les banquiers juifs de New-York » qui contrôleraient l’UE, le FMI, la FED et auraient pour objectif final la création du « Grand Israël » et la domination du monde. Couplant cela à une dénonciation des crimes de l’Etat sioniste contre les Palestiniens, la « dissidence » superpose antisionisme et antisémitisme, distillant ses énormités racistes et délirantes à qui veut bien les entendre.

A l’antagonisme capital-travail et à la lutte de classes, Dieudonné-Soral transposent la lutte des « races » au sein de la Nation pour y combattre « l’Empire ». La contradiction de classe se transforme en contradiction de race. Il faudrait réconcilier les « Français de souche » et les Noirs, les Arabes et les musulmans, sur la base de la « Nation » contre « l’Empire juif ». Soral pousse même la « dialectique » à exclure de cet ensemble les sans-papiers qu’il faudrait « renvoyer dans leur pays » car « ils jouent le jeu du MEDEF » en faisant baisser les salaires. Un exemple concret du projet social de Réconciliation Nationale.

Dernière pierre à l’édifice brinquebalant proposé par Soral, la question internationale. « Nationalistes de tous les pays, unissez-vous ! », prône Réconciliation Nationale, soulignant que « la résistance passe[rait] par des nations solidaires contre l’Empire ». Soral refuse certes d’être catégorisé comme d’extrême droite et se dit « national et socialiste ». On l’aura compris, d’un point de vue politique, pour les apprentis nazillons que sont Soral et les siens, il n’y a qu’un pas entre tout ce fatras idéologique et le fascisme.

Un nouveau parti antisémite pour contrer la « capitulation du FN » face à l’empire

Le lancement de « Réconciliation nationale » répondrait au fait que le FN serait rentré « dans le rang après l’éviction de Jean-Marie Lepen ». Soral avait déjà annoncé le 6 septembre son projet de « se dissocier totalement du FN » et de « rouler pour lui-même », en tant que parti politique « antisystème » après les prises de position « pro-israéliennes » du conseiller international de Marine Le Pen, Aymeric Chauprade, lors de l’université d’été du parti d’extrême droite. Cette « capitulation » serait une « trahison » et marquerait la « zemmourisation du FN », Soral assurant ensuite que 90% du Suicide français serait constitué de son propre opus Comprendre l’Empire, qui n’a pas connu les mêmes succès de librairie.

Soral dit partager le constat mais pas les conclusions : « Zemmour nous prépare une guerre civile antimusulmans alors que la question de l’islam radical est une création des manipulations américano-sionistes ». Zemmour, qui fantasme lui aussi à propos d’une France sacrée qui irait de Napoléon à De Gaulle, valide la théorie du « Choc des civilisations » et met en garde contre une guerre de races qu’il appelle à demi-mots, opposant « les Blancs » et « les juifs », d’un côté, à l’envahisseur « noir, arabe et musulman ». Soral s’en distingue en parlant, lui, d’une guerre opposant « les Blancs, Noirs, Arabes et musulmans » aux « juifs ». La différence réside en réalité dans le choix du peuple qui serait « autochtone », le peuple « allochtone » représentant dans les deux cas l’ennemi unificateur qui serait la cause du déclin, ou du chômage, de la précarité, des licenciements…

Ces discours, à commencer par celui de Soral, sont construits sur les raccourcis, les caricatures et les analogies démagogiques, visant à capitaliser ce mélange de colère, de ras-le-bol, de manque de repères politiques et de reculs sociaux, en dépit des luttes de ces dernières années, qui caractérise aussi la séquence politique actuelle. Cette situation, bien entendu, est alimentée par l’alternance qui court depuis des décennies, avec une gauche et une droite qui se succèdent au pouvoir sous le signe d’une parfaite continuité et complémentarité, lorsque cette même politique n’est pas relayée ou couverte par les directions syndicales.

Face à la montée de ces extrêmes droites, la gauche radicale a sa part de responsabilité dans l’incapacité, si ce n’est à impulser des luttes et des combats victorieux qui donneraient du poids aux arguments contre l’extrême droite pour démasquer son caractère anti-ouvrier, raciste et réactionnaire, au moins à proposer une alternative politique tout aussi radicale, quoi que diamétralement opposée, aux fausses solutions « anti-système » qui refont surface à l’extrême droite de l’échiquier politique. C’est sur ce terrain également de l’implantation dans le monde du travail, couplée à une radicalité stratégique intransigeante et à une clarté politique en rupture complète avec le capitalisme et ses institutions que doit batailler l’extrême gauche révolutionnaire si elle entend réellement combattre les relents années Trente que véhicule la galaxie de la droite fascisante aujourd’hui.

Soral et l’imposture des « bons » et des « mauvais » flics

A la suite du meurtre de Rémi Fraisse, Egalité Réconciliation est resté très silencieux sur ce crime d’Etat. Tout en se disant « antisystème » et les soraliens adoptant volontiers une posture« anti-flics », le chef développe quant à lui une théorie consistant à différencier les « membres intègres des forces de l’ordre » de sa « hiérarchie et de l’administration » qui les « déconsidèrent et la privatisent ». Pour Soral, les flics seraient des « travailleurs en uniforme ». Pour faire passer la pilule auprès de sa base, Soral a même réalisé, fidèle à son habitude, un dossier vidéo appelé « Les corps constitués s’expriment ». Publié juillet dernier et construit autour de quatre interviews vidéos de flics « bien de chez nous », ces derniers expriment leur désarroi vis-à-vis des « tendances à la privatisation » des forces de l’ordre et de leur incapacité à effectuer dans de bonnes conditions « leur véritable mission d’intérêt public ». Là encore, l’imposture « antisystème » de Soral continue, avec ces « bons » (de base) et les « mauvais » flics (d’en haut), ce qui revient à éluder le caractère de classe de cette police, qui n’est autre que le bras armée de la bourgeoisie pour le maintien de son système d’exploitation capitaliste.Cette police qui n’hésite pas à tuer sous les ordres de l’Etat pour maintenir, comme à Sivens, « un ordre », qui n’est autre que celui de la propriété privée des moyens de production. Fausse dissidence, à nouveau !

Egalité Réconciliation, un juteux business avant tout

Le lancement du nouveau parti servirait de paravent pour les multiples procès qui visent Soral et Dieudonné, sans compter la manne financière qu’il pourrait constituer. Et en termes « d’affaires », Soral et Dieudonné s’y connaissent. L’association ER est avant tout un business, avec ses vidéos payantes, ses produits dérivés ou encore la maison d’édition KontreKulture qui réédite des classiques de l’extrême droite. C’est aussi une tribune publicitaire pour les spectacles antisémites de Dieudonné et pour sa nouvelle marque la « quenelle » qui est maintenant déposée auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle. Soral, quant à lui, s’est offert un business viticole qui commercialise sur son site, « Sanguisterrae », du beaujolais nouveau frappé du sceau quenellien. Il a également lancé sa nouvelle marque de TShirt nommée « Goy » pour « non-juif ». Sous des dehors « antisystème », c’est bien dans le système que les « dissidents » développent leurs petites affaires et servent leurs intérêts personnels.

02/12/14


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