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« Ce n'est pas une grève qui s’essouffle, mais qui reprend son souffle »

Coordination RATP-SNCF. Après 50 jours, bilans et stratégie pour une grève qui reprend son souffle

Jeudi 23 janvier se tenait une nouvelle réunion de la coordination RATP-SNCF, particulièrement importante au 50ème jour de grève. Alors qu'une première phase de la mobilisation semble se terminer, les bilans de cette première bataille ouvrent des réflexions sur la stratégie pour la suite du combat, loin d’être terminé. Comme certains l’affirment, « ce n'est pas une grève qui s’essouffle, mais qui reprend son souffle » et les grévistes, loin de se déclarer vaincus, travaillent à faire de cette coordination un « état-major » pour le mouvement jusqu'à la victoire.

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Jeudi 23 janvier, une nouvelle réunion de Coordination RATP-SNCF se tenait. Pour l’occasion, un très grand nombre de secteurs était réuni. Côté RATP, les lignes 3, 5, 6 et 7 du métro ainsi que le RER B et MRF représentaient le ferré tandis que les dépôts de bus de Belliard, Lagny, Ivry, Montrouge, Malakoff, Flandre, Aubervilliers, Pavillons-sous-Bois, et Saint-Maur étaient présents. Pour la SNCF, le Technicentre de Châtillon, les gares de Paris Est et Austerlitz ainsi que les secteurs du Bourget, de Choisy-le-Roi et du RER C étaient là.
 

50ème jour de grève : bilans d’une première phase de reconductible

 
Au 50ème jour de grève, c’est une étape tant symbolique que concrète qui est marquée par cette réunion de la Coordination RATP-SNCF, à l’heure où la journée du 24 janvier promet déjà d’être une grande réussite – confirmée le lendemain -, mais où l’annonce de la reprise du travail dans un certain nombre de secteurs sème le doute. S’il n’est pas question de complaisance vis-à-vis du mouvement, une certaine fierté bien légitime s’exprime au regard de la démonstration de force et de détermination que viennent de réaliser les grévistes : « On peut tous se dire bravo ! 50 jours de grève, pas grand monde n’y croyait ! » lance ainsi Karim, machiniste de Pavillons-sous-Bois, dans une discussion qui n’amoindrit pourtant en rien les difficultés réelles du mouvement.
 
Pour les grévistes réunis ce jeudi, la première priorité est celle de dresser un état des lieux, le plus fidèle et complet possible de la situation. Tous expriment clairement que c’est seulement en prenant à bras le corps les difficultés du conflit, et en connaissant l’état des forces, qu’il est possible de penser la suite. Ainsi, la reprise du travail pour de nombreux collègues apparaît comme une réalité, particulièrement forte dans certaines zones de la régionale. En cause, la difficulté financière, évidemment particulièrement lourde dans un conflit d’une telle durée. « Il y a une différence entre ce qu’on veut et ce qu’on peut » explique ainsi Leila, du centre bus de Malakoff, « pour certains, on en est déjà à deux payes ».
 
Pèse aussi sur le mouvement un certain isolement de sa colonne vertébrale, le couple SNCF-RATP, à laquelle peu de relais réels viennent pour l’instant succéder. Là encore, les grévistes n’en tirent pas de sentiment défaitisme, mais, apparaissent conscients de l’importance de la généralisation. Ce moment de la grève est l’occasion de poser la question frontalement, pour ne pas s’épuiser dans un attentisme passif de l’arrivée dans la grève des autres secteurs. « On n’en est pas encore au stade de la grève générale, sinon on pourrait tenir encore 70 jours » lance Clément, cheminot du technicentre de Châtillon, approuvé par l’ensemble de l’assemblée.
 
Si, pour expliquer ces difficultés, les grévistes de la Coordination concèdent un « manque de préparation » ou plutôt un « manque d’expérience » notamment à la RATP, sur la question des caisses de grèves par exemple, c’est en étant très clair sur les principaux responsables de tels obstacles à une victoire rapide. Et pour ceux qui ont mené il y a une semaine l’action d’interpellation de la direction de la CFDT - qui a révélé au grand jour le front que forment gouvernement et bureaucraties syndicales face à la radicalité des travailleurs en lutte – les dirigeants des confédérations syndicales se trouvent au premier rang des responsables, comme l’explique Anasse : « Sur les deux éléments cruciaux les confédérations syndicales sont passées à côté. Même aujourd’hui, aucun ne parle de la caisse de grève, ne se préoccupe des difficultés. » Sur les difficultés à généraliser la grève en particulier, c’est à l’inertie portée par la volonté de contenir le mouvement, que se sont affrontés les grévistes : « Pourquoi les dockers ne sont pas partis le 5 ? C’est criminel ! » poursuit Clément, évoquant la mobilisation tardive de secteurs aussi stratégiques que les travailleurs des ports, extrêmement déterminés, mobilisés à chaque appel, et capables de déclencher des pénuries et un vrai blocage de l’économie.
 

Perspectives et stratégie pour la suite du mouvement : vers un deuxième départ en reconductible appelé par la base ?

 
Mais même face à ces difficultés, aucun esprit de défaite dans l’assemblée. Ce moral, qui pourrait étonner, ne surprend pas tellement, au milieu de ceux qui sont devenus de véritables guerriers, militants de ce combat. Conscients des sacrifices qu’ils ont fait et feront, ils entendent bien aller jusqu’au bout : « On ne va pas leur faire cadeau de deux mois de salaire ! » promet Hanane, gréviste de la ligne 5. « Je ne suis pas essoufflé dans ma tête ni dans ma détermination pour me battre contre cette réforme ! » renchérit Didier du dépôt d’Aubervilliers, devant les hochements de tête approbatifs de ses camarades, « je suis convaincu que c’est pareil pour tous : si on est essoufflés, c’est financièrement, pas dans notre détermination. » Rien donc d’un abandon ne s’exprime dans la reprise du travail, pensée au contraire comme un moment visant à « renflouer les caisses ». Une retraite dans la guerre avec le gouvernement qu’exprime clairement Romain, machiniste du dépôt d’Ivry : « si on faiblit, le gouvernement va faire sauter tous nos acquis. Il faut souffler, pour repartir de plus belle ».
 
Au-delà d’une détermination intacte, c’est la tension à élaborer ensemble une stratégie, celle qui permettra véritablement d’arracher la victoire, qui anime la réunion. Conséquents vis-à-vis du constat du rôle de contention et d’alliés du gouvernement des bureaucraties syndicales, les grévistes sont conscients que c’est à eux qu’il revient d’élaborer un plan de bataille. La discussion s’attache ainsi à évaluer les différentes tactiques envisageables, découlant d’idées relevées sur les piquets, dans les assemblées générales, lors de discussions entre collègues.
 
Sont ainsi débattues les propositions de la grève perlée ou encore de la grève de 59 minutes. Abordées dès le début de la discussion, ces solutions rencontrent plus de réticences que d’enthousiasme. Pour ceux qui viennent d’expérimenter la difficulté à faire plier le gouvernement avec la méthode radicale de la grève reconductible, il apparaît clair que ce genre de pratiques ne sera pas à la hauteur d’un rapport de force réel avec le gouvernement. Un sentiment redoublé par les bilans que les cheminots ont tiré de l’échec de la perlée imposée par les directions syndicales en 2018. C’est donc plus sérieusement la question d’un deuxième départ en reconductible, au moment par exemple du passage du projet de loi devant le Parlement, qui semble se poser le plus sérieusement. Une perspective très ambitieuse à ce stade du mouvement mais qui apparaît comme la plus convaincante pour les grévistes présents, qui prévoient ainsi de porter cette question dans l’ensemble de leurs lieux de travail et ainsi sonder ses possibilités en vue des prochaines réunions de coordination.
 

Un débat ouvert sur le rôle de la Coordination SNCF-RATP : comment construire les liens avec les autres secteurs ?

 
Dans une atmosphère tendue par la fatigue accumulée depuis le début le mouvement, tant que par la conscience de la « responsabilité » de la coordination, de « l’attente qu’on a créé pour les autres secteurs » comme le formule Samir des ateliers de Saint-Ouen, un débat houleux autour des modalités de mobilisation, d’actions, et des rapports de la Coordination aux différentes assemblées interprofessionnelles. Face à la durée du conflit, et surtout aux taux de grévistes de fait en baisse à la SNCF et la RATP s’exprime ainsi une préoccupation : celle de maintenir une ouverture vers l’extérieur, dans le sens des initiatives menées en direction de l’Education Nationale ou des raffineries au long du mouvement, mais aussi pour certains, de ne pas abandonner le mouvement en tablant sur les actions portées par les minorités encore actives dans différents secteurs. Deux grévistes interviennent en ce sens, évoquant la nécessité de s’accrocher aux secteurs qui se bougent et de ne pas renoncer au mouvement général dont certaines franges, certes minoritaires, restent actives, notamment en dehors de la RATP et de la SNCF.
C’est donc à ce questionnement que s’attellent à répondre les interventions suivantes, amenant la discussion sur une question centrale : celle de la méthode qui fera plier le gouvernement. « La force des travailleurs, c’est la grève. Ce qui est important, c’est la massivité de la grève » entreprend ainsi de répondre Anasse : « ce qui est central, c’est mettre les gens en grève ». Ainsi, pour le cheminot, c’est vers ce but que doivent tendre les actions, en se prévenant de tomber dans un « marathon activiste » qui épuiserait le noyau encore mobilisé dans des actions coups de poing à l’efficacité limitée. En ce sens, les grévistes semblent d’accord que la victoire ne pourra être obtenue par une mobilisation restreinte à la RATP et la SNCF, et évoquent la nécessaire extension, tout en insistant sur la nécessité que celle-ci s’appuie sur le noyau consolidé de la RATP-SNCF, et sur une logique qui ne se perde pas dans l’accumulation d’actions minoritaires. « Dans les semaines à venir il faut qu’on mène des actions qui s’adressent à d’autres secteurs » pour les mettre en grève note en ce sens Laura, cheminote au Bourget.
C’est ainsi qu’est donc posée la question des perspectives pour la Coordination, dans cette nouvelle phase qui semble s’ouvrir, celle de la reprise du travail massive dans le cadre d’une lutte pourtant loin d’être finie ou abandonnée. Une tournée de la Coordination en direction des enseignants, des raffineurs et de l’ensemble des secteurs est ainsi évoquée afin de tisser des liens et travailler à la base à une généralisation de la grève. Les différents blocages de facs et lycées prévus pour cette semaine feront dans ce sens l’objet d’un agenda pour la semaine, avec le but pour les grévistes de renforcer les actions de « ceux qui nous ont aidé et se sont fait matraquer en bloquant nos dépôts de bus », mais aussi pour pousser les profs à se mettre en grève et rallier la jeunesse à la bataille.
 
Une décision largement mise en pratique dès ce lundi, où les grévistes se sont en nombre rendus dans les universités. Dans le même sens est ainsi abordée la question des prochaines grosses journées de mobilisation appelées nationalement, avec la perspective d’y participer massivement et de réfléchir à comment y envoyer un message fort non seulement vis-à-vis du gouvernement, mais aussi et surtout des autres secteurs. Là encore, on peut voir la manifestation particulièrement réussie du 24 janvier comme une incarnation de cette résolution.
 

Démonstrations et acquis de cette grève historique : les appuis pour la suite du mouvement

 
Cette réunion illustre l’énorme expériences des grévistes après 50 jours de ce mouvement historique. A ce titre, la durée même d’une telle grève - qui a franchi des obstacles tels que la trêve de Noël qu’on a tenté de lui imposer, la répression, ou encore des payes à zéro euro sur plus d’un mois et demi – est une démonstration littéralement historique dans une période où est avancée, tant par les directions syndicales que par un certain nombre d’intellectuels, l’idée que l’époque des grandes grèves serait révolue et la classe ouvrière disparue.
 
S’il apparaît évident que les directions syndicales ne feront rien d’une telle démonstration des capacités de grève et de mobilisation des travailleurs aujourd’hui, c’est également à eux-mêmes que les grévistes ont démontré l’étendue de leurs propres forces, ce qui dans ce contexte prend toute son importance. Au-delà de soldats, ce sont des stratèges de la grève qu’a forgé ce mouvement, en à peine plus d’un mois. C’est ce que note Laura, impactée par cette dimension nouvelle : « sur une grève nationale, se retrouver nous-même à penser la stratégie qu’on veut mettre en place, c’est nouveau, et c’est un acquis de cette grève. »
 
Signe de la maturité des grévistes autant que du cadre de la Coordination, la place centrale des femmes dans le débat interpelle. Lucides et déterminées, les grévistes montrent, malgré la fatigue et les tendances à la dispersion de leurs collègues une aptitude évidente à recentrer la discussion sur la réalité, les taches et les priorités de la situation. C’est ce qui ressort des interventions de Leïla, Hanane, ou encore Sabria de la ligne 5, qui salue elle-même le rôle central de ces militantes de la grève, révélées par le mouvement, à la fin d’une intervention rappelant à ses collègues de la RATP la nécessité absolue de renforcer l’auto-organisation au travers d’Assemblées Générales visant à discuter, préparer la suite de la mobilisation et décider ensemble du mouvement.
 

Construire la coordination : vers un « organe de direction » de la grève à la hauteur des ambitions des grévistes

 
A l’issue de deux heures de discussions, les grévistes semblent conscients des acquis du mouvement et du rôle qu’a joué la Coordination dans le maintien du mouvement, le dialogue avec l’ensemble de la population à travers des conférences de presse, la réponse unitaire à la répression ou encore la réussite d’actions d’ampleur politique et médiatique. Une satisfaction qui n’entame en rien la lucidité des grévistes sur l’étendue du chemin à parcourir. Il est évident que le projet de constituer un « état-major », un « organe de direction » de la grève, qui rivaliserait donc avec les directions syndicales est une tâche très ambitieuse encore devant eux. Ainsi est discutée l’évolution à donner à ce cadre de Coordination pour l’élever autant que possible à la hauteur de la situation. « Au début, il n’y avait quasiment pas de ligne de métro ; il les faudrait toutes », affirme ainsi Yassine, machiniste de Malakoff, dans le sens de gagner encore en représentativité, tandis qu’Anasse, cheminot, appuie sur la question de la mise en place de mandat, pour un fonctionnement plus démocratique mais aussi pour assurer une véritable connexion entre les AGs locales et la Coordination.
 
Forts de l’expérience et des bilans de cette première phase, c’est à la préparation de la suite du mouvement que doivent ainsi servir les semaines qui s’annoncent. Conscients de l’enjeu du temps face à un gouvernement et des directions syndicales qui font du calendrier un atout pour dicter un rythme qui affaiblirait le mouvement, une tension forte s’exprime à apprendre vite pour rattraper le retard que constitue le manque d’expérience, doublé de la liquidation d’une grande partie de la tradition d’auto-organisation du mouvement ouvrier. C’est dans cette perspective que Yassine, qui vit sa première vraie grève, témoigne, expliquant qu’il a découvert dans cette lutte l’importance de venir sur les piquets, et qu’il se documente sur les grèves passées, en véritables « écoles de guerre » : « J’ai regardé le film de la lutte des ONET , ou Comme des Lions : Il faut apprendre de nos erreurs et de celles des autres. On n’a pas le temps de toutes les faire ».
 
Autant d’acquis, de prises de consciences et d’habitudes de luttes qui font de ce mouvement, au-delà du record déjà impressionnant de jours de reconductible accumulés, un moment historique. Un mouvement d’une grande importance non seulement pour gagner contre cette contre-réforme des retraites, mais aussi, et bien au-delà, pour les batailles futures du mouvement ouvrier en France et à l’internationale. Si « le monde a les yeux rivés sur la France » dans ce conflit, comme on peut parfois l’entendre, cette attention est à la hauteur de ce qui se joue dans la lutte des travailleurs contre le gouvernement Macron, dans une période où la planète connaît, partout, une nouvelle vague de lutte des classes, et de contestation du capitalisme.


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