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Qatar 2022 : magouilles à gogo

Corruption à la FIFA : l’enquête à l’origine du scandale

Intitulée en anglais 'The Ugly Game', l’enquête menée par deux journalistes anglais au sujet de l’acquisition de la coupe du monde 2022 par le Qatar, vient d’être traduite en français et est devenue : « L’homme qui acheta une coupe du monde. Le complot qatari ». Ce titre est bien plus évocateur que l’original, mais il est aussi plus réducteur. Si l'ouvrage retrace l’itinéraire d’un haut dignitaire qatari, Mohamed Ben Hammam, dans sa quête d’offrir la coupe du monde à son pays, ses 476 pages mettent également en lumière la corruption de l’élite footballistique mondiale dans son ensemble et le formidable travail de deux journalistes d’investigation qui ont fait trembler la planète football.

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F.D.

Le livre nous plonge dans la vie de ses deux auteurs, Heidi Blake et Jonathan Calvert, journalistes du Sunday Times. Immergés dans leur enquête pendant de longs mois. Travaillant dans le plus grand secret, ils ont connu des moments d’euphorie, de doutes mais aussi de peur, craignant d’être surveillés. Le résultat de leur travail est édifiant et a été le déclencheur d’une crise au sein de la FIFA qui dure encore aujourd’hui. Mais tout ceci n’aurait pu avoir lieu sans l’audace, le courage d’un lanceur d’alerte qui a confié des millions de documents aux deux journalistes. A l’heure où Antoine Deltour, le lanceur d’alerte des LuxLeaks, est sur le banc des accusés, cet ouvrage rappelle, s’il le fallait encore, le rôle essentiel de ces hommes et de ces femmes qui mènent un combat au nom de la vérité.
A force d’éplucher des milliers d’e-mails, virements bancaires et autres conversations téléphoniques, Blake et Calvert ont vite compris qu’un homme, Mohamed Ben Hammam, était la pierre angulaire du système de corruption ayant permis au Qatar d’acquérir la coupe du monde 2022. Chef d’entreprise qatari devenu milliardaire, cet homme est un passionné de football, avide de pouvoir et parfois mégalo (il tenait à ce qu’on l’appelle Son Excellence). Le livre retrace son histoire mais aussi celle de son pays. On suit cet homme qui essaie de se faire une place au sein d’une élite qatarie qui lui reproche de ne pas être arabe à 100% -du sang africain coule dans ses veines. Il va pourtant réussir à se hisser à la présidence de l’AFC (Confédération asiatique de football), à obtenir un siège au comité exécutif de la FIFA et qui va même caresser le rêve de devenir président de cette institution. Prêt à tout pour réussir, il ira jusqu’à refuser de rentrer à Doha où son fils était entre la vie et la mort suite à un accident de voiture, préférant participer à une réunion entre grands pontes du football mondial.

C’est pourquoi lorsqu’en 2008, Sepp Blatter [1] a annoncé son intention de faire venir la coupe du monde de football au Qatar, Mohamed Ben Hammam y a vu l’occasion de rendre à son pays un service pouvant le hisser au rang de héros national. La tâche semblait pourtant impossible, le Qatar est un pays sans aucune culture footballistique ou presque, où les stades accueillent un public parsemé venant assister à un championnat professionnel ressemblant plus à une maison de retraites pour anciennes stars du football. De plus, aux mois de juin et juillet (mois durant lesquels ont l’habitude de se dérouler les coupes du monde), la température oscille entre 40 et 50 degrés au Qatar, mettant en danger les joueurs comme les supporters. Rien n’y fait, l’émir du Qatar est inflexible, il veut que son pays accueille la coupe du monde. Même le rapport sur la menace terroriste faisant du Qatar le pays le plus dangereux parmi les candidats à l’obtention de la coupe du monde [2] sera ignoré. Les enjeux financiers sont trop grands pour être remis en cause par des arguments tels que le terrorisme ou la santé des participants. A la FIFA, l’argent est roi.

A travers cet ouvrage, c’est toute l’organisation de la FIFA qui est décrite. La FIFA, c’est d’abord une association à but non-lucratif qui brasse des milliards de dollars et dont le salaire moyen des salariés est de 168700 dollars. La coupe du monde 2010 en Afrique du Sud a rapporté à la FIFA 4.19 milliards de dollars, exonérés de taxes en vertu de son statut « d’organisme à but non lucratif destiné à investir dans le développement du football ». A ce titre toujours, la corruption elle-même n’est pas répréhensible dans le droit suisse, car oui, le siège de la FIFA se trouve à Nyon, commune située dans le canton suisse de Vaud. Cette organisation toute-puissante s’incarne à travers la figure de son président Sepp Blatter. Ce Suisse a succédé à son mentor, le Brésilien João Havelange, en 1998 à l’âge de 62 ans. Il a continué l’œuvre de son prédécesseur visant à professionnaliser la FIFA pour en faire une machine à fric. Prenons pour exemple les vingt-quatre membres du COMEX [3], ces bénévoles sont devenus des hommes grassement payés sous Blatter. Une seule chose compte pour ce dernier, amasser toujours plus d’argent dans les caisses de la FIFA, et surtout garder son pouvoir. Sepp Blatter fait penser à un dictateur promettant de laisser le pouvoir pour finalement s’y accrocher encore et toujours. Élu en 1998 pour quatre ans, il se fait réélire en 2002. En 2006, alors que son mandat arrive à échéance les membres du COMEX lui accordent une année supplémentaire. En 2007, bien qu’il ait promis de ‘’raccrocher les crampons’’, Blatter brigue et obtient un nouveau mandat. Beaucoup voient d’un bon œil la présidence de Blatter, c’est un moyen pour les pontes du football de s’enrichir. D’autres cependant perçoivent Blatter comme un obstacle à leur propre influence. C’est le cas de Mohamed Ben Hammam qui a d’abord soutenu Blatter en espérant le remplacer en 2007. Quelle n’a pas été sa déception lorsque le Suisse a annoncé qu’il se présentait de nouveau. Conscient d’avoir perdu un allié précieux en la personne du Qatari, Blatter lui propose alors une compensation : faire venir la coupe du monde au Qatar en 2022.

La FIFA regroupe 211 pays mais le vote désignant le pays hôte de la coupe du monde se déroule en petit comité. Pour faire venir la coupe du monde au Qatar, Mohamed Ben Hammam se devait d’obtenir 13 voix parmi les 24 membres du COMEX. Officiellement, le haut dignitaire qatari ne faisait pas partie du comité de campagne du Qatar, il agissait en solo afin de ne pas mouiller la candidature officielle dans d’éventuels scandales financiers. Les électeurs du COMEX ont des comptes à rendre aux membres de leur fédération. C’est pourquoi Mohamed Ben Hammam a commencé par distribuer des milliers de dollars aux fédérations nationales africaines avant de s’attaquer à l’Asie, l’Amérique puis l’Europe. Pour la première fois de l’histoire, deux coupes du monde seraient attribuées en même temps (2018 et 2022). Ainsi des alliances se sont forgées entre les différents pays candidats, ceci combiné à un vote à bulletin secret, certains électeurs n’ont pas hésité à donner leur voix à plusieurs candidats. A l’issue du premier tour du vote pour la coupe du monde 2022, l’Australie a obtenu une seule voix, pourtant deux hommes Sepp Blatter et Franz Beckenbauer [4] ont déclaré avoir voté pour ce pays. La description que font les deux journalistes de l’espionnage mis en place par la Russie vis-à-vis de la Grande-Bretagne nous fait replonger en pleine guerre froide ! Cet ouvrage détaille longuement comment Mohamed Ben Hammam s’est assuré la victoire du Qatar en distribuant cadeaux, enveloppes bourrées de dollars etc. Rien d’exceptionnel donc au pays de la FIFA. Ce qui détonne c’est l’ampleur de la corruption jamais atteinte jusque-là : des contrats gaziers pharaoniques ont été signés en échange de la promesse du soutien de la candidature qatarie. Au fil du livre, on rencontre de nombreuses personnalités qui ont cédé aux sirènes du Qatar comme Desmond Tutu [5], Jacques Warner [6] (la corruption incarnée) ou encore Nicolas Sarkozy pressant fortement Michel Platini [7] de donner son vote au Qatar pour ne citer qu’eux.

Finalement, le 2 décembre 2010, 22 électeurs du COMEX [8] se réunissent à Nyon, la Russie se voit attribuer la coupe du monde 2018 et le Qatar la coupe du monde 2022. Les millions de dollars dépensés par Mohamed Ben Hammam ont porté leurs fruits, il est celui qui a offert la coupe du monde à son pays. Ambitieux, il ne veut pas s’arrêter là et se présente à la présidence de la FIFA face à Blatter. Certains diront que Ben Hammam a eu les yeux plus gros que le ventre en voulant détrôner le dictateur de la FIFA. Alors que les premiers scandales commencent à éclater, Mohamed Ben Hammam est dans l’œil du cyclone. Il refuse de démissionner du COMEX et de retirer sa candidature à la FIFA. Parallèlement, de nombreuses voix s’élèvent contre l’organisation de la coupe du monde par le Qatar, des milliers de migrants meurent sur les chantiers des nouveaux stades, les suspicions de corruption grandissent de jour en jour. Blatter rencontre alors l’émir qatari et lui assure qu’il ne remettra pas en cause l’organisation de la coupe du monde au Qatar mais à une seule condition : Mohamed Ben Hammam doit se retirer du monde du football. Forcé de démissionner, le héros national est devenu du jour au lendemain une personne honnie dans son propre pays. L’émir du Qatar n’a pas hésité une seconde lorsqu’il a fallu choisir entre Ben Hammam et l’obtention de la coupe du monde. De son côté, Blatter a pu se faire réélire tranquillement pour un quatrième mandat.

Heureusement, Blatter a changé (c’est lui qui le dit !). On ne sait pas si l’on doit rire ou pleurer lorsque l’on apprend que Blatter a décidé de créer un comité anti-corruption qu’il présidera personnellement ! La FIFA de Blatter était incapable de se remettre en cause, les enquêtes internes étaient dès le départ vouées à l’échec. Finalement, le coup de semonce est venu des Etats-Unis qui a vu le Qatar lui dérober l’organisation de la coupe du monde 2022. Volonté de lutter pour un monde plus juste ou vengeance vis-à-vis du Qatar et de la FIFA ? Toujours est-il que le FBI est entré dans la danse entraînant la FIFA dans la plus grande crise de son histoire. Blatter et Platini entre autres ont été suspendus.

Best-seller en Grande-Bretagne, l’ouvrage de Blake et Calvert est le résultat d’un travail acharné qu’il faut lire si l’on veut en savoir plus le système FIFA [9]. Cette enquête est l’origine de la crise dans laquelle est plongée la FIFA. Aujourd’hui, les preuves sont là, le Qatar a acheté sa coupe du monde, pourtant dans six ans le plus grand événement sportif de la planète doit bel et bien se dérouler dans le petit état du Golfe. Si l’ampleur de la corruption mise en place par Ben Hammam est exceptionnelle, les moyens utilisés sont classiques, le Qatar a joué selon les règles de la FIFA. Débarrassée de Blatter, nous étions en droit d’espérer que le nouveau président Gianni Infantino réformerait l’institution en profondeur. Le titre d’un article du Monde paru le 18 mai 2016 est sans appel : « FIFA : avec Infantino, « on retombe dans le blatterisme » ». Le monde du football est soumis au pouvoir de l’argent et ce n’est pas près de s’arrêter …

[1] Président de la FIFA de 1998 à 2015.

[2] De par sa petite taille, le Qatar compte concentrer tous les stades dans un petit périmètre ce qui poserait de gros problèmes en cas d’attaque terroriste.

[3] Comité exécutif de la FIFA ayant pour fonction notamment d’élire les pays hôtes de la coupe du monde.

[4] Ancien grand joueur et entraîneur allemand, il est membre du COMEX de 2007 à 2011.

[5] Archevêque sud-africain, prix Nobel de la paix en 1984.

[6] Homme politique de Trinidad et Tobago, membre du COMEX de 1983 à 2011, sa corruption est légendaire.

[7] Président français de l’UEFA de 2007 à 2016 et membre du COMEX.

[8] Deux sont déjà dans des déboires judiciaires et n’ont pas été remplacés.

[9] Blake, Heidi et Calvert Jonathan, L’homme qui acheta une coupe du monde. Le complot qatari, Edition Hugo et compagnie, Paris, 2016, 476p., 19,95€.


  
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