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Escalade diplomatique

Crise au sommet entre la Turquie et l’Europe

YASIN AKGUL / AFP Sur fond de campagne pour le référendum constitutionnel en Turquie en avril, le président Recep Tayyip Erodgan durcit le ton vis-à-vis des pays d’Europe qui refusent que ses ministres tiennent campagne auprès de la diaspora turque. Ciro Tappeste

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On savait le président turc capable de certaines outrances. Il en a fait la démonstration encore une fois ce week-end. Après avoir comparé l’Allemagne au Troisième Reich de Hitler, il a dénoncé le fascisme aux Pays-Bas. Lundi soir, il suspendait les relations diplomatiques entre son pays et la Hollande.

Aux origines de la polémique, le refus de Berlin et de La Haye que des ministres d’Erodgan, du parti islamo-conservateur AKP, fassent campagne auprès de la diaspora turque de ces deux pays pour le « oui » au référendum constitutionnel d’avril à travers lequel le président souhaite s’attribuer les pleins pouvoirs, ou presque.

L’Allemagne et les Pays-Bas sont mal placés, néanmoins, pour faire la morale à la Turquie. Du côté de la chancelière allemande, l’interdiction de la tenue de meetings de l’AKP est sous-tendue par la pression qu’exerce sur elle les franges les plus xénophobes et nationalistes de sa coalition chrétiens démocrates-SPD. Au Pays-Bas, où l’extrême droite pourrait arriver en tête des élections, mercredi, c’est le gouvernement qui instrumentalise la question pour se montrer intransigeant en faisant l’amalgame entre la question turque, l’immigration et l’Islam.


Ce qui se joue dans le référendum

Suite au coup d’Etat manqué de juillet, le président turc souhaite consolider ses pouvoirs pour donner un ultérieur tour de vis autoritaire à son régime. Le référendum d’avril devrait lui permettre, si le « oui » l’emporte, de renforcer considérablement son pouvoir. Le président serait ainsi en mesure de devenir chef de l’exécutif : il pourrait nommer et révoquer vice-présidents et ministres, gouverner par décret, dissoudre l’assemblée, nommer les fonctionnaires en poste au sein du pouvoir judiciaire et de la haute administration et décréter l’état d’urgence quand bon lui semble. Il s’agit là de la cristallisation du tournant ultra-autoritaire du régime turc entamé après le putsch de juillet sur fond de serrage de vis anti-démocratique depuis ces deux dernières années, de collusion avec le djihadisme syro-irakien qui a fait place, aujourd’hui, à une étroite collaboration avec la Russie de Poutine, et de guerre sans merci contre les Kurdes du PYD et du PKK et contre les forces progressistes en Turquie.

Le seul problème, pour Erdogan, c’est que la victoire, qui lui semblait à portée de main à la suite du coup d’Etat raté contre l’AKP en juillet, est loin d’être gagnée d’avance. Selon les derniers sondages, officieux, il n’obtiendrait pas la majorité des suffrages. D’où l’importance de la diaspora turque en Europe. Parmi les trois millions d’inscrits sur les listes électorales à l’étranger, notamment en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, 60% avait voté pour l’AKP lors des dernières législatives de 2015, un score bien plus important qu’en Turquie. En novembre 2015, le parti du président était monté à 49,5% des voix, manquant de peu la majorité absolue au Parlement.

Le vote turc de l’étranger, bien plus conservateur, est essentiel pour l’AKP. D’où la campagne qui est menée actuellement et l’escalade verbale contre les pays qui ont interdit les meetings. C’est à bon compte qu’Erdogan dénonce l’arrogance de l’Europe, son discours anti-Islam et la stigmatisation anti-turque, notamment après que sa ministre de la Famille a été interdite de tenir meeting en Hollande, ce week-end.


Les Européens font le jeu d’Erdogan

En expulsant les ministres de l’AKP venus faire campagne et en interdisant les meetings, les gouvernements hollandais et allemand font le jeu d’Erdogan qui fait jouer la corde nationaliste et, aujourd’hui, menace de remettre en cause « l’accord » sur les migrants qui permet à l’UE de sous-traiter à la Turquie la gestion des flux migratoires en provenance de Syrie et de faire d’Ankara le garde-chiourme de l’Epitrope.

Les raisons de Berlin et de La Haye sont loin d’être aussi pro-démocrates que les gouvernements ne l’avancent. Angela Merkel souhaite se montrer inflexible face à la Turquie en raison des pressions qu’exercent sur elle les fractions les plus xénophobes et nationalistes de sa coalition chrétiens démocrates-SPD. Au Pays-Bas, c’est l’extrême droite qui a le vent en poupe et dicte l’agenda politique. Penser, dans ce cadre, que ce sont des pays impérialistes, qui plus est sous pression de l’extrême droite, qui seraient légitimes à donner des leçons de démocratie à son arrière-cour semi-coloniale, il n’y a qu’un pas.


En France, la polémique enfle à droite comme à gauche

Paris a, de son côté, autorisé un meeting à Metz en fin de semaine. La quasi-totalité des candidats à la présidentielle utilisent l’événement pour exiger, au nom de la défense des valeurs démocratiques qu’incarnerait la France, plus de fermeté vis-à-vis de la Turquie.

Entre discours anti-musulman, racisme anti-turc et chauvinisme pro-républicain et pro-impérialiste, les raccourcis sont multiples. C’est le cas chez Le Pen, Fillon, mais également Macron et la France Insoumise. Lundi, Clémentine Autain, déclarait ainsi que « la France doit avoir une parole claire et ferme contre le régime d’Erdogan ».


Comment s’opposer à Erdogan depuis l’Europe ?

Cette « parole claire et ferme » n’est jamais pointée du doigt lorsque les multinationales françaises exploitent les travailleurs de l’automobile en Turquie, que la France collabore avec Ankara dans la répression anti-kurde et se félicite du fait que la Turquie réprime à la place de l’UE les migrants en les bloquant aux portes de l’Europe. Ce serait au mouvement ouvrier hexagonal, en appui aux organisations kurdes, progressistes, considérées le plus souvent comme terroristes par l’UE alors que leurs combattants sont en première ligne contre Daech, en Syrie et en Irak, aux côtés des organisations de la gauche radicale turque dans l’émigration, de soutenir ceux qui, en Turquie, refusent légitimement le projet de réforme.

Faire la leçon, appuyer l’impérialisme au nom de la « démocratie » occidentale contre « l’obscurantisme », voilà le meilleur instrument utilisé par nos ennemis, à Bruxelles, dans les capitales européennes, et à Ankara, pour se renforcer, mutuellement.


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