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Toulouse, 12 mai

Dans la fumée des lacrymos, regarde où tu vas, connard !*

Nous relayons ci-dessous un article publié originellement sur le blog de Hélène Duffau Pendant les manifestations contre la loi Travail, les arrestations arbitraires se sont multipliées. À Toulouse, Maxime en est une des victimes.

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Toulouse, 12 mai : manifestation contre la loi Travail, que certains graffeurs écrivent "loi Travaille", sans doute pour en résumer la teneur.

Après un parcours suivi de quelques complications via des forces de l’ordre en civil insultantes, provocatrices, le cortège est bloqué une trentaine de minutes par un cordon de CRS. Milieu d’après-midi boulevard Carnot, les manifestant-es sont aiguillé-es vers la place Dupuy (Halle-aux-Grains). Deux cents à trois cents personnes sont dans la nasse, parmi lesquelles celui que je surnomme Maxime.

Un premier gazage lacrymo suivi d’un deuxième créent un mouvement de panique. L’air est opaque, on n’y voit rien. Maxime, ses yeux de myope en larmes, quitte ses lunettes pour les préserver de la bousculade. Dans la cohue, il évite le trottoir sur lequel s’entassent des personnes parmi lesquelles certaines sont tombées. C’est alors qu’il bouscule un CRS. Par inadvertance. Peu importe.

Peu importe, car il prend un coup de matraque à la tête. Il est plaqué puis traîné au sol. Un genou sévèrement appuyé sur son cou, il a la sensation de crever par étouffement. Appelle au secours. Une photographe approche, une personne qui assiste à la scène demande qu’on le relâche. Poignets ligaturés. Fourgon, insultes : connard, fils de pute, enculé assènent les CRS probablement en quête d’outrage pour étoffer un dossier vide. Garde à vue, prélèvement d’ADN.

Accusation de violences aggravées sur personne dépositaire de l’ordre public, avec jets de projectiles. Tout sauf Maxime dans son errance place Dupuy alors qu’il était gazé, aveuglé, suffocant de lacrymo. Il conteste les jets de projectiles, il n’a voulu agresser personne, il signe. Détention provisoire en attente d’un procès en comparution immédiate.

Où est la liberté ? se demande Maxime dans la cellule puante où il passe la nuit, dépouillé de toutes les affaires qui pourraient s’avérer dangereuses. Myope aux lunettes confisquées. Il refuse de dîner et s’allonge pour éviter les cent pas en espace restreint. La nuit est froide, sous les néons constamment allumés, dans une cage qui s’apparente au chenil. Perte de la notion du temps. Perte des repères.

Maxime retrouve la jouissance de ses lunettes pour les entrevues avec les policiers, l’avocate, le médecin.

Qu’est-ce qu’être hors-la-loi se demande-t-il quand il est déferré au tribunal. Le bleu du ciel en guise de réconfort et la présence d’ami-es, venu-es le soutenir. Est-ce s’opposer en pensant être juste qui crée la rupture avec le code ? Et réécrire le code civil en langue vulgaire, ce serait un acte de résistance ? À l’instar de Spinoza avec la Bible...

En comparution immédiate, l’avocate demande le renvoi pour disposer de temps de preparation. Le procureur demande l’incarcération jusqu’au procès. Maxime prend en pleine face la violence d’une justice qui parle de lui, sur lui, devant lui, mais jamais ne lui demande son avis. Il est placé sous contrôle judiciaire avec pointage deux fois par semaine jusqu’au procès prévu en juin.
Dans les jours qui suivent, il rate des sms qui ne lui parviendront pas. Son courrier arrive ouvert, les enveloppes malmenées. La parano s’installe. Est-il sur écoute ? Pour quel motif ? Dorénavant fiché S ? Des interrogations, des doutes, aucune confirmation.

Il reçoit à son domicile la visite d’agents des forces de l’ordre venant lui faire signer son interdiction de circulation dans le périmètre des parcours de manifestations — contre la loi Travail, elles sont alors hebdomadaires — et qui se pointent systématiquement vers 20 h. Son couple s’électrise, la tension est fréquente, Maxime se démoralise. Injustice et ingérence se conjuguent pour lui rendre la vie difficile. Sentiment qu’on ne s’y prendrait pas autrement si l’on souhaitait lui nuire, le casser, le faire payer. Mais quoi au juste ? Le fait qu’il ait manifesté ?

Le jour de son procès, Maxime est rasé de près, habillé de frais. Ses parents ont fait le déplacement, ils vivent à plus de 500 kilomètres, son père a pris un congé exceptionnel. Certains de ses ami-es sont là aussi et des enseignantes universitaires dont une est témoin de moralité. L’heure est grave, les visages, la tenue des corps le dit. Maxime est pâle, ses mâchoires crispées. Quelques bons mots des présent-es peinent à le détendre.

Dès l’ouverture de la séance, son cas est pointé par le juge. Maxime est appelé à la barre. Il dispose de trois témoins, son avocate a respecté la procédure informant de leur présence, mais la procureure souhaite un report pour permettre à la partie adverse — le CRS en l’occurrence —, de bénéficier également de témoins. Un rapport d’équité dans une situation inéquitable ? Le couperet tombe : pour la prochaine audience, ce sera début septembre. Le cas suivant est appelé.

À nouveau Maxime est acculé par la brutalité de la procédure. Il n’existe pas en tant que personne, être humain sensible. Il est un dossier, des faits et une accusation mensongères. Son avis ne compte pas, il ne peut être formulé, n’a pas droit de cité.

Dans le hall du tribunal, une question inquiétante : quid de l’assignation à pointer deux fois par semaine ? En août, Maxime, parmi les étudiants pauvres des statistiques, doit travailler loin de Toulouse pour contribuer à financer la poursuite de ses études. S’il en est empêché, son année universitaire sera ruinée. Il est admissible en master 2.

Il faudra passer par le tribunal administratif pour une demande de recours en annulation des arrêtés préfectoraux de limitation de circulation et de contrôle judiciaire.

Début juillet, Maxime est à nouveau en audience. Il a préparé un texte pour dire sa bonne foi, insister sur la nécessité pour son parcours en études de pouvoir travailler en août — il a obtenu une lettre de son employeur stipulant qu’il comptait vraiment sur sa disponibilité. Cette fois, il a la parole. Il est entendu. Il continuera de pointer une fois par semaine en juillet, en sera exonéré en août, en attendant l’audience de septembre.


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