×

Major Tom ne répondra plus

David Bowie. Mort d’une Blackstar

Claude Scorza David Bowie, icône mondiale du rock, est mort dimanche 10 janvier à l’âge de 69 ans, deux jours après que son dernier album Blackstar est sorti. Il luttait contre un cancer depuis 18 mois. « Astre noir » il l’était, artiste complet ayant repoussé, toute sa vie durant, les barrières de la musique, de l’art et du genre.

Facebook Twitter

De Davy Jones à David Bowie

Avant de devenir David Bowie, Robert Jones passe sa jeunesse à Brixton, quartier d’immigration caribéenne et d’émeutes au sud de Londres, référence courante du rock, rap ou reggae britannique et d’où sont issus militant-e-s (dont C.R.L James), écrivain-e-s et musicien-ne-s (comme The Clash, qui ont rendu hommage à leur quartier de naissance dans « Guns of Brixton »). A l’âge de 12 ans, Robert commence à jouer du saxophone et à 15 ans il a son propre groupe de rock, Konrads. A cet âge il devient Davy Jones, et sort son premier single, « Liza Jane », dont le style est très influencé par The Yardbirds.
En 1967, à 20 ans, il sort son premier album, non plus comme Davy Jones, mais comme David Bowie. L’album est un échec retentissant (il était sorti le même jour que Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles…), ce qui sera assez pour le démotiver de produire un nouvel album pendant deux ans. Space Oddity (1969) sera le premier album de Bowie à proprement parler, où l’on reconnaît le style musical qui lui est propre. Il a bénéficié aussi de la participation du célèbre claviériste Rick Wakeman, ce qui se ressent dans l’atmosphère de l’album et surtout dans des morceaux comme « Space Oddity » ou « Cygnet Committee ».

La remise en cause des stéréotypes de genre

Avec The Man Who Sold The World (1971), album plus « hard rock » que les précédents, Bowie fait un virage radical dans son style artistique : il commence à entretenir une image androgyne et une confusion des genres que l’on retrouvera tout au long de sa carrière. On le voit ainsi, sur la couverture de son album, allongé sur un canapé avec une longue robe fleurie, des bottes à talon haut et des cheveux longs. Sa participation aux interviews ou aux conférences de presse portant des robes suscitait parfois la moquerie ou la dérision de la part de médias habitués à des stars de rock masculines et viriles. Mais pour Bowie ce n’était que le début de la recherche et du développement d’une image, de personnages et de thèmes qui questionnaient la sexualité et la binarité de genre.
Ce sera le cas avec l’apparition sur scène de Ziggy Stardust, rock star au genre non spécifié venu-e de l’espace pour prévenir l’humanité qu’il ne lui reste que cinq ans de vie. Sa performance de « Starman » dans l’émission Top of the Pops le 5 juillet 1972 restera alors comme un événement historique non seulement pour le rock, mais aussi pour les personnes LGBTI, quand, devant des millions de téléspectateurs, Bowie apparaît dans un style androgyne flamboyant affichant une proximité ambiguë avec le guitariste Mick Ronson.
On retrouvera ce thème dans plusieurs de ses chansons, comme « Lady Stardust », où Ziggy, cette « créature », est dévisagé-e par des gens visiblement amusé-e-s par son maquillage et ses longs cheveux. Ou encore dans « Rebel Rebel », ma préférée, de l’album Diamond Dogs (1974), où l’on peut entendre : « Tu es un tourbillon pour ta mère, elle n’est pas sûre si tu es un garçon ou une fille  ». La couverture de Diamond Dogs reprenait l’imagerie de Ziggy Stardust, avec un Bowie encore métamorphosé, mi-humain, mi-animal cette fois ci. Let’s Dance (1983) appartient à une autre période, après une certaine transition amorcée dès Young Americans (1975), vers un Bowie moins subversif, mais où l’on peut trouver notamment « Criminal World », une reprise du groupe Metro, dont les paroles érotiques entretiennent une ambiguïté qui reste présente :

What a criminal world
The boys are like baby-faced girls
What a criminal girl
She’ll show you where to shoot your gun
What a typical mother’s son
The only thing that she enjoys
Is a criminal world
Where the girls are like baby-faced boys

Vers un Bowie « normalisé » ?

Comme nous l’avons dit, la sortie de Young Americans est un tournant dans la carrière de Bowie, qui marque aussi la fin de la rébellion du Glam rock contre les stéréotypes de genre. Après le succès de Ziggy Stardust, Bowie allait inventer un nouvel alter-ego, le Thin White Duke, sorte d’aristocrate décadent et nihiliste, fasciné par le fascisme. Le personnage du Thin White Duke a causé beaucoup de controverses du fait que Bowie s’est inspiré de l’esthétique nazie tout en faisant des déclarations dans les médias où il affirmait croire « fortement au fascisme ». Ainsi, il déclare au magazine Playboy en 1976 que « Adolf Hitler a été une des premières stars de Rock »… On était alors très loin de l’époque où Bowie incarnait un extraterrestre non genré qui simulait des fellations à son guitariste sur scène.
Les commentaires de son alter-ego ont été très pris au sérieux, d’autant plus qu’ils coïncidaient avec la montée électorale du British National Front au Royaume-Uni. Plusieurs artistes britanniques ont décidé alors de s’organiser, notamment en réponse à Bowie, autour du festival Rock Against Racism, qui regroupait surtout la scène punk naissante. Après cette période trouble, où il était devenu très dépendant à la cocaïne, Bowie décide de partir à Berlin où il compose trois albums fortement influencés par le krautrock et le new wave, avec un style atmosphérique, qui resteront des classiques (Low, "Heroes", and Lodger). Il fait un grand retour de Berlin au début des années 1980, avec Scary Monsters (And Super Creeps) (1980), qui sera un succès commercial. On y trouve notamment le single « Ashes to Ashes », où revient le personnage Major Tom de « Space Oddity » qui ironise sur le parcours de Bowie lui-même lorsqu’il chante que « we know Major Tom’s a junkie  », ou dans «  It’s no game  » où il déclare que « to be insulted by these fascists it’s so degrading », renvoyant l’accusation de « fascisme » aux autres.
Le propre des années 1980, décennie de révolutions conservatrices, était d’être revenu de tout. Pour Bowie, c’était revenir sur ses déclarations sur sa propre sexualité. Alors qu’en janvier 1972, il avait déclaré dans la presse «  je suis gay et je l’ai toujours été  », dix ans plus tard, à l’époque de Let’s Dance, il déclarait que c’était une erreur d’avoir dit qu’il était bisexuel, qu’il était seulement en train d’ « expérimenter ». Pour certains c’était une trahison qui arrivait au pire moment : le sida décimait les homosexuels dans le monde après une période d’intenses luttes pour la dépénalisation de l’homosexualité. On trouve des traces de cette « normalisation » de Bowie dans la chanson déjà mentionnée « Criminal World » qui, si elle reste un hymne à l’androgynie, a été « hétérosexualisée » par Bowie dans sa reprise de Metro. Effectivement, le vers aux connotations homoérotiques « I saw you kneeling at my brother’s door  » a été changé par «  you caught me kneeling at your sister’s door  ».
Il faut noter quand même que, malgré ce tournant vers une « normalisation » des années 1980, la thématique de l’ambiguïté de genre et sexuelle restera présente jusque dans ses dernières productions. Outre « Hallo Spaceboy » (« Do you like girls or boys ? It’s confusing these days »), on peut noter le cas plus récent de « The Stars (Are Out Tonight) » dans The Next Day (2013), où il est question de Stars « asexuées », mais cette fois-ci « unaroused ». La vidéo met en scène également cette ambiguïté, où David Bowie et Tilda Swinton jouent un couple marié dont la normalité est bouleversée par l’arrivée de deux personnages aux traits androgynes joués par les mannequins Andreja Pejić et Saskia de Brauw, le tout sous le regard de la mannequin Iselin Steiro qui joue un jeune Bowie.

Lazarus

En anticipation au lancement de son nouveau disque, Blackstar, sorti deux jours avant sa mort, un clip vidéo de presque dix minutes est réalisé pour la chanson éponyme. La vidéo retrace la mythologie Bowie dans une mise en scène de science fiction où, sur une planète en pénombre illuminée par une étoile noire, une « créature » avec une queue de félin qui fait penser soit aux personnages de Diamond Dogs, soit à « Cat People », se rapproche des restes d’un astronaute pour récupérer son crâne. On voit ensuite apparaître Bowie avec les yeux couverts de bandages avec des boutons à la place des yeux, puis en train d’agiter un « petit livre noir », son testament. Ce personnage serait Lazarus, dernier alter-ego de Bowie qu’on retrouvera dans le clip vidéo de « Lazarus » sorti le 8 janvier, cette fois-ci dans un lit d’hôpital, mourant… David Bowie fait en quelque sorte ses adieux avec ces paroles :

Look up here, I’m in heaven
I’ve got scars that can’t be seen
I’ve got drama, can’t be stolen
Everybody knows me now


Facebook Twitter
Servir la révolution par les moyens de l'art. Il était une fois la FIARI

Servir la révolution par les moyens de l’art. Il était une fois la FIARI

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

Flic, schmitt ou condé ? Ne pas se tromper

« Le monde réel est Harkonnen » : Dune 2, blockbuster anticolonial ?

« Le monde réel est Harkonnen » : Dune 2, blockbuster anticolonial ?


Chasse aux sorcières : Fayard retire des ventes « Le nettoyage ethnique de la Palestine » d'Ilan Pappé

Chasse aux sorcières : Fayard retire des ventes « Le nettoyage ethnique de la Palestine » d’Ilan Pappé

« Pauvres créatures » : un conte philosophique ambigu sur l'émancipation féministe

« Pauvres créatures » : un conte philosophique ambigu sur l’émancipation féministe

La poupée et la bête : tragédie et amour dans le dernier film de Bertrand Bonello

La poupée et la bête : tragédie et amour dans le dernier film de Bertrand Bonello

CCCP : rock alternatif et « fin des idéologies » en Italie

CCCP : rock alternatif et « fin des idéologies » en Italie

A la Berlinale, le soutien de cinéastes à la Palestine s'exprime malgré la répression d'État

A la Berlinale, le soutien de cinéastes à la Palestine s’exprime malgré la répression d’État