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Loin des intérêts de la majorité des femmes

Deneuve VS Oprah : réactionnaires contre progressistes ?

La semaine aura débuté avec le discours acclamé d’Oprah Winfrey aux Etats-Unis aux Golden Globes pour finir avec la tribune d'une centaine de femmes françaises de la sphère intellectuelle et culturelle pour défendre « le droit d’importuner » des hommes. Des réactions d’une part et d’autre de l’Atlantique suite au phénomène Metoo qui s’est ouvert avec l’affaire Weinstein. D’un côté « l’anti-féminisme » ultra-réactionnaire qui banalise la culture du viol, de l’autre le féminisme néolibéral d’Hollywood qui se veut « cool ». Un féminisme bien loin des intérêts réels de la majorité des femmes exploitées et opprimées.

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Aujourd’hui, dans les médias, Oprah Winfrey est présentée comme la porte-parole d’un féminisme « progressiste » face à une Catherine Deneuve au discours « anti féministe » pour les uns, teinté de vérité pour les autres qui s’inquiètent du « puritanisme » ambiant. Pourtant, ni l’une ni l’autre ne représente les intérêts réels de la majorité des femmes dans le monde, de celles qui n’appartiennent ni à la jet set d’Hollywood, ni à celles de Cannes. Ces femmes qui loin des projecteurs et des tapis rouges ont besoin de débattre et d’esquisser des stratégies de lutte contre l’oppression et les violences patriarcales.

Les projecteurs sur Hollywood et sur Cannes

Le Figaro Madame du 10 janvier nous conte « le fabuleux destin d’Oprah Winfrey ». Le destin de celle qui en 2003 a remporté 1,1 milliard de dollars grâce à son émission, son magazine et site internet, et dont on estime aujourd’hui la fortune à 2,9 milliards de dollars. Celle qui est devenue la seule femme afro-américaine classée dans la liste des 400 américains les plus riches et à qui a été décerné cette semaine le prix Cecil B. de Mille pour avoir représenté "un exemple à suivre pour les femmes et les jeunes" et pour avoir été "l’une des femmes les plus influentes de notre époque".

Ce prix a un contenu éminemment politique et est choisi pour mettre en valeur des personnalités, en 2017 il s’agissait de Meryl Streep comme représentante du féminisme pro-Clinton face à Trump. Cette année, le choix s’est porté sur Oprah, figure de l’élite noire américaine, exemple que la communauté afro américaine peut réussir, du moins une partie d’entre elle. En effet, le discours d’Oprah Winfrey et plus généralement de ce qu’on peut appeler le féminisme « cool », néolibéral, est de distiller l’idée méritocratique dans la tête de millions de femmes que chaque femme peut devenir ce qu’elle veut vraiment être. Dans ses discours Oprah met en avant sa propre histoire, un « destin » instrumentalisé par les médias pour montrer qu’il est possible de sortir de la pauvreté et de réussir « quand on le veut vraiment ». Une version féminine, glamour, et adaptée à la société capitaliste contemporaine du rêve américain qui propose en dernière instance aux femmes d’accepter, de se conformer à la société inégalitaire dans laquelle on vit.

Quelques jours plus tard, en France, des femmes qui côtoient non pas les tapis rouge d’Hollywood mais ceux de Cannes ont sorti une tribune dans Le Monde pour défendre le « droit d’importuner » en réaction au mouvement de libération de la parole des femmes et de lutte contre les violences sexuelles de ces derniers mois. Un manifeste des plus réactionnaire, qui n’a pas reçu la même vague de sympathie que le discours d’Oprah et son féminisme des classes dominantes. Une tribune suivie ensuite de déclarations par quelques-unes des signataires qui continuent de vouloir justifier leur démarche et ont créé la polémique dans l’opinion publique. Brigitte Lahaie en plein débat télévisé sur les violences sexuelles a déclaré que « l’on peut jouir pendant un viol », tandis que Catherine Millet regrettait que les très nombreuses prises de parole des derniers mois aient « ouvert les vannes d’une dénonciation publique » et déclaré également avoir de « la compassion pour les frotteurs » dans le métro. Pendant ce temps, Catherine Deneuve recevait ce vendredi 12 janvier le soutien de Silvio Berlusconi, bien connu pour son machisme.

Certains médias ont sauté sur l’occasion pour présenter cette tribune comme « l’anti metoo », la réaction « à la révolution féministe » qui se déroulait la même semaine à Hollywood. La première ministre Marlène Schiappa, adepte du féminisme néolibéral, n’a pas tardé à rappliquer pour rappeler que « se frotter dans le métro » n’est pas du harcèlement mais une agression sexuelle considérée comme un délit et que l’égalité hommes femmes reste la cause du quinquennat. En fait, la tribune de cette centaine de femmes issues de l’élite intellectuelle et artistique française qui s’insurge contre les dangers du « puritanisme » constitue la réponse d’une frange réactionnaire. ll s’agit de la réaction d’une frange de la bourgeoisie française qui ne peut pas ouvrir la bouche sans parler de « choc de civilisation », (ré)affirme régulièrement dans les médias que l’ennemi premier des femmes ce sont les musulmans et l’islam, jouant le jeu de la droite dure et de l’extrême droite dont elles sont d’ailleurs proches. Le soutien de Berlusconi et de Nadine Morano à la tribune en ait d’ailleurs la preuve. Dans la tribune, Catherine Deneuve, Brigitte Lahaie et les autres admettent que le viol est un crime « mais » point trop n’en faut pour leurs comparses masculins qui pourraient se retrouver accusés de mille maux et risqueraient même de se faire licencier dans ce climat de "délation".

En réalité, l’important pour cette petite élite n’est pas le bonheur, l’autonomie et la liberté sexuelle de millions de femmes qui seraient surtout menacées par « l’extrémisme religieux » - l’islam - qui veut leur imposer des normes (elles ne se préoccupent pas de ces milliers de femmes qui se taisent sur les violences qu’elles subissent par peur de se faire licencier ou de finir à la rue) mais que le système puisse se maintenir. Elles qui s’accommodent si bien de ce système qui utilise leur image et leur a toutes permis de réaliser des carrières avec des milliers voire des millions d’euros à la clé.

Ce que cache le féminisme « spectacle » dit « progressiste »

A partir d’octobre dernier, MeToo a été l’expression publique de quelque chose que « tout le monde savait » mais dont personne ne parlait. Metoo a mis en lumière les mauvais traitements, les violences, subis par des milliers de femmes : ceux de femmes célèbres d’abord, victimes des abus et harcèlements dans l’industrie culturelle, puis ceux des autres femmes.

Cela a permis de visibiliser le fait que les violences faites aux femmes ce sont les abus sexuels à Hollywood mais que ce sont aussi les violences du compagnon ou l’ex compagnon, celles du patron qui exploite et qui harcèle au travail. Que ce sont aussi les violences économiques, les millions de femmes réduites à accepter des emplois précaires, à devoir vendre leur corps. Des violences dont on entend peu parler et qui ont aussi lieu à Hollywood et à Cannes, où sont employées nombre de travailleuses précaires. Pourtant, comme ailleurs, cela reste souvent très bien gardé entre les quatre murs de Cannes et d’Hollywood. Pire encore, ces mêmes violences qui sont dénoncées par des personnalités d’Hollywood sont dans le même temps encouragées et reproduites inlassablement par cette même institution au travers de préjugés sexistes via ses productions cinématographiques qui soumettent les femmes à de multiples formes de violence. Mais que veut surtout Hollywood depuis l’affaire Weinstein ? Cautériser la plaie pour ne pas y perdre trop de plumes. Pour cela, Hollywood reconnait le mouvement Metoo, se l’approprie, projette sur le devant de la scène Oprah Winfrey, pour que demain tout continue de plus belle, en toute hypocrisie.

A lire certains médias, Oprah serait devenue la porte-parole des femmes victimes d’oppression. Pourtant, quel lien existe-t-il réellement entre Oprah et une femme afro américaine au chômage, avec quatre enfants ou avec une mexicaine sans papier ? Quel lien entre Rose McGowan, Asia Argento et Rosanna Arquette, et celles qui travaillent au quotidien dans des emplois précaires, qui se font harceler sexuellement par leur patron et ne peuvent rien dire au risque de perdre leur emploi ou encore avortent clandestinement ? Quand on sait que le discours aux Golden Globes d’Oprah Winfrey, son impact médiatique, a fait remporter à la célébrité plus de 40 millions de dollars les jours suivants, il semblerait qu’il y ait des dénonciations qui soient moins couteuses que d’autres.

A ce titre, comme l’a écrit Andrea d’Atri, «  Dans une société comme celle dans laquelle nous vivons - où huit hommes détiennent autant de richesses que les 3,6 milliards de personnes qui représentent la moitié la plus pauvre de l’humanité- il y a des dénonciations contre la violence patriarcale qui permettent à certains de voir leurs actions monter en bourse et d’autres dénonciations qui ne seront jamais entendues. »

En effet, le problème c’est quand le comportement machiste d’un célèbre producteur ou d’un réalisateur de film prend plus d’importance qu’un féminicide, qu’un viol ou qu’une agression sexuelle, parce qu’une fois de plus ces sont les femmes anonymes, victimes des formes les plus cruelles de violences machistes, qui y perdent. Si ce bruit à Hollywood a un caractère progressiste, une fois déballé, l’institution continue de s’en laver les mains et demain la mascarade reprendra tandis que le reste des femmes continueront de subir les violences d’un système qui a tout intérêt à ce qu’elles se taisent. Oprah Winfrey fait croire qu’elle parle au nom de la majorité des femmes, quand Deneuve veut les faire taire en dénonçant un climat de « délation ».

Les projecteurs ne doivent plus seulement être braqués sur Hollywood ou sur Cannes, les violences divulguées ne doivent plus seulement être celles qui ont lieu dans ces cercles fermés, mais il s’agit de mettre les projecteurs sur ces millions de femmes, celles qui sont victimes quotidiennement de violences à la maison, au travail, dans leurs relations intimes, des mains de leurs employeurs et qui subissent les violences du système d’exploitation, des institutions politiques, de l’Etat. Et qu’elles se représentent elles-mêmes comme lors des dernières mobilisations comme Ni Una Menos.

Loin des tapis rouges, la voix des femmes exploitées et opprimées

Ces derniers mois, les mouvements tels Metoo ou Ni Una Menos, l’affaire Jacqueline Sauvage, ont permis d’ouvrir le débat sur les violences conjugales et les féminicides. En France, cela a permis de commencer à dénaturaliser ce qui jusqu’alors semblait « normal », c’est-à-dire la violence dans le cadre de « relations amoureuses », de commencer à dénoncer qu’il n’existe pas de « crimes passionnels ». Le fait qu’on ne parle jamais de « féminicide » mais de « drames passionnels », que ces hommes qui « tuent par amour » ne sont que rarement condamnés alors que Jacqueline Sauvage encourait de la prison ferme pour 10 ans, a rendu visible la responsabilité de la justice, de l’Etat dans le maintien et la légitimation de la violence machiste. En Amérique latine, plusieurs féminicides ont amené des milliers de femmes à descendre dans la rue.

De même, en France, dans la dernière manifestation à l’occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, certaines voix se sont élevées pour dénoncer l’hypocrisie d’un gouvernement qui a fait de l’égalité hommes femmes une cause nationale quand dans le même temps il coupe les subventions, s’attaque à la sécurité sociale et organise une casse du code du travail qui va précariser les femmes. Bien sûr pas toutes les femmes et certainement pas Catherine Deneuve. Face à ça, la question n’est pas alors de savoir comment obtenir plus de lois pour punir, réprimer les « agresseurs » mais bien de dénoncer le rôle que joue le gouvernement, la justice, l’ensemble de ses institutions, l’école mais aussi son industrie culturelle, dans la perpétuation de la culture et de la domination patriarcale. Une idéologie patriarcale qui leur permet de plus exploiter les femmes, les personnes LGBTI et expose la majorité de ces derniers et dernières à la précarité, à des violences, au silence.

Ce qui nous sépare de ce féminisme « cool », du « spectacle », néolibéral, d’Hollywood et de Cannes est son éloignement avec les problèmes de la majorité des femmes, qui gagnent peu d’argent et sont enfermées dans des emplois peu rémunérés. Ce qui nous éloigne, et ne doit pas nous tromper, c’est que les dénonciations à Hollywood, bien que progressistes, ne remettent guère en question la structure même de l’industrie culturelle et les valeurs qu’elle reproduit. De même que les femmes françaises qui parlent au nom de la "liberté sexuelle" le font en pointant du doigt "l’extrémisme religieux", qui en Europe ne signifie rien d’autre que parler de la communauté musulmane, et d’éviter de parler des mesures libérales, de la droite, de l’idéologie de l’extrême droite qui est le principal ennemi des droits des femmes et des personnes LGBT.

En France, tout comme sur la côte du Pacifique, ces femmes qui parlent ne sont pas celles de la classe ouvrière, des majorités pauvres et immigrantes et la question de leur libération n’est pas un sujet.

Dans la "guerre" superficielle menée par les médias, Hollywood versus Cannes, il n’y a pas d’autre alternative que de souligner que les deux côtés sont la face d’une même pièce, que les deux sont bien trop éloignés de la vie de la plupart des femmes et qu’en dernière instance ces femmes défendent leurs intérêts. Pour nous, pour la majorité des travailleurs et travailleuses, pauvres, immigrées, des jeunes, le soleil ne brille pas aussi fort qu’à Hollywood et à Cannes. C’est pourquoi notre lutte contre la violence masculine n’est pas séparée de l’oppression fonctionnelle consistant à maintenir un ordre social où une minorité vit de l’exploitation de la majorité, composée majoritairement de femmes.


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