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Brexit

Derrière le Brexit, une crise profonde du Royaume-Uni

Ces jours-ci, le Royaume-Uni est devenu un chaos. Le rejet par le Parlement de l’accord conclu avec l’UE a laissé le gouvernement conservateur de Theresa May ainsi que son parti au bord du précipice.

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Brexit ou pas de Brexit ? Telle est la question. Le dilemme shakespearien parait plus que jamais d’actualité. Ces jours-ci, le chaos a submergé le Royaume-Uni. L’échec cinglant – le plus important de l’histoire du Parlement britannique – avec le rejet, par 432 voix contre 202, de son accord sur le Brexit négocié avec l’Union européenne, laisse la première ministre accrochée d’un fil à son poste, et son parti au bord de la fracture. Theresa May a survécu au vote de confiance, mais elle n’a pas beaucoup de marge de manœuvre.

Selon le calendrier établi, il ne reste qu’un peu plus deux mois jusqu’au le 29 mars, dernier délai fixé pour rendre effectif le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE, prévu par l’article 50 du Traité de Lisbonne. Mais à l’heure actuelle personne ne peut affirmer avec certitude si on va vers un Brexit dur -scénario effrayant autant pour la grande bourgeoisie britannique que pour l’Union Européenne-, ou si une réouverture des négociations est envisageable, et encore moins si un consensus sera trouvé, dans ce contexte de tendances aux extrêmes.

La victoire inattendue du Brexit lors du referendum de juin 2016, a placé le parti historique de la classe dominante face au devoir de mener à bien le divorce avec l’UE, de laquelle le capitalisme britannique est devenu de plus en plus dépendant. Cette défaite auto-infligée a posé une contradiction dont il est quasiment impossible de sortir indemne, le périple de Theresa May en étant la meilleure démonstration.
Le Brexit négocié permettant de fait au Royaume-Uni rester un pied dedans, un pied en dehors l’UE, il est impossible de pas voir derrière l’écrasante défaite lors du vote la main de Donald Trump qui, dans la même ligne que les partisans d’un Brexit dur, profite de l’occasion pour redoubler sa politique hostile envers le bloc européen. De fait Steve Bannon, idéologue et stratège du “trumpisme”, a essayé d’établir son propre projet politique, The Movement, dans plusieurs pays de l’UE avec pour objectif d’offrir ses services de conseil électoral aux partis eurosceptiques d’extrême droite en vue des européennes de mai prochain.

Exprimé dans un registre de catégories théoriques, le Royaume-Uni est un des pays centraux où la crise capitaliste de 2008 est devenue une crise organique ouverte.
Il y a, au moins, trois éléments principaux qui confirment la profondeur de cette crise.

Le premier est à caractère économique et géopolitique. Depuis les années 70, et surtout après les années de Margaret Thatcher au pouvoir, la classe dominante britannique a assumé le fait qu’elle devait s’insérer dans le cadre commun européen, ce que lui apportait non seulement des bénéfices économiques, mais, avec l’alliance stratégique avec les USA, lui permettait aussi de dissimuler son statut de puissance en décadence.

Pendant des années, le Royaume-Uni a profité de l’étrange privilège de se situer en même temps en dehors et en dedans, en dehors de la zone euro mais à l’intérieur du processus politique et économique de l’UE. Cela a eu des conséquences mixtes, un accroissement de la dépendance aux marchés européens, mais aussi cela a facilité la reconversion thatchérienne vers une économie basée sur les services et les finances. Ce qui a donné lieu à une situation de relative anomalie, Londres devenant la principale place financière européenne alors que le Royaume-Uni n’avait pas adopté l’euro.

C’est cette localisation « idéale » du capitalisme britannique qui ne tient plus, dans le cadre d’une tendance plus générale à l’épuisement de la globalisation néolibérale.
Certains fonctionnaires tories farfelus voient encore dans le Brexit une voie pour redonner une impulsion au vieil empire britannique. C’est le cas du secrétaire de la défense, Gavin Williamson, qui a affirmé au quotidien Telegraph que le moment actuel est « le meilleur moment » depuis la deuxième guerre et que, une fois libérée de la tutelle de Bruxelles, la Grande Bretagne pourrait jouer à nouveau un rôle central sur la scène mondiale, y compris en ouvrant des nouvelles bases militaires dans les Caraïbes et dans le Sud-est asiatique.

Mais cette nostalgie impériale est très loin de la réalité du peu de poids du Royaume-Uni d’aujourd’hui, autant dans l’économie que dans la géopolitique mondiale. C’est pourquoi les analystes les plus lucides comparent la crise ouverte avec le Brexit avec le moment de la guerre du Canal de Suez en 1954. Le coup asséné à l’ancienne puissance par les USA à l’époque avait marqué l’irréversible décadence de l’hégémonie britannique, tout comme la négociation humiliante du Brexit à laquelle la Grande Bretagne a été contrainte par l’Union Européenne.

Le deuxième élément se réfère à l’unité de l’État. Un Brexit sans accord pourrait, quasi certainement, réactiver l’indépendantisme écossais. Comme on l’a vu, l’Écosse a très majoritairement voté en faveur de rester dans l’UE, et a déjà annoncé son intention de convoquer un deuxième referendum sur l’indépendance envers le Royaume Uni.

L’autre grand spectre est que resurgisse le conflit avec L’Irlande du Nord. Le projet refusé de Theresa May prévoyait le “backstop”, qui permettait le maintien d’une frontière ouverte entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, membre de l’UE. C’était un des points le plus remis en cause par les partisans d’un Brexit dur, et cela a coûté à Theresa May la rupture de l’alliance avec le réactionnaire Democratic Unionist Party (DUP) d’Irlande du Nord.

La troisième élément est politique. Dans l’immédiat, la crise la plus aiguë est celle du parti conservateur. Theresa May est à la recherche d’un plan B qui puisse satisfaire l’UE et, en même temps, maintenir l’unité des tories. Mais pour le moment, l’exercice ressemble à une mission impossible. Bien que le mécontentement au sein du parti conservateur n’aille pas jusqu’à faire tomber le gouvernement de Theresa May afin d’éviter d’offrir une victoire au Labor Party, la tendance est néanmoins à un approfondissement de la polarisation et à la fracture.

Le Labor Party avec à sa tête Jeremy Corbyn, a capitalisé sur la crise des conservateurs. Mais bien qu’il ait réussi à se remettre de la crise provoquée par la dérive libérale opérée par Tony Blair, il est fortement sous pression. Lors du referendum de 2016, Corbyn a voté pour rester dans l’UE à contrecœur. Il n’a pratiquement pas fait de campagne, sa sensibilité se situant plutôt dans la tradition eurosceptique de gauche historique du Labor Parti. Sa base électorale est transversale : d’un côté la jeunesse organisée dans Momentum, presque unanimement pro européenne et très réactive contre la xénophobie, les politiques anti-migrants et anti-refugiés qui ont hégémonisé le Brexit à travers les partis d’extrême droite tels que UKIP. De l’autre côté, les secteurs populaires qui ont voté majoritairement pour quitter l’union, ce qui a permis au Labor Party de gagner dans des districts acquis au Brexit prôné par l’UKIP.

Jusque là, Corbyn a réussi à résister avec succès à l’énorme pression de sa base progressiste-libérale à se prononcer en faveur d’un deuxième referendum. Il s’est employé à essayer de déplacer Theresa May. Mais la perspective d’élections anticipées s’étant éloignée, la demande d’un deuxième referendum peut revenir avec plus de force et diviser les files du Labor Party.

L’UE, qui pour le moment garde un avantage dans la négociation en imposant ses termes, sentirait aussi l’impact d’un Brexit sans accord. Il y a des signes d’une possibilité de repousser la date du 29 mars pour donner plus de temps à Theresa May pour renégocier un autre accord avec le soutien du Parlement. Mais ce résultat n’est aucunement garanti. En plus, les délais sont limités, étant donné les élections européennes prévues en mai, la question du Brexit devant être résolue avant.

Même si ce serait la pire option pour la stabilité bourgeoise, on ne peut pas écarter la précipitation d’un Brexit sans accord. Sans doute, un Brexit dur serait une mauvaise nouvelle pour le bloc européen, remis en cause par l’émergence généralisée des formations d’extrême droite, et qui traverse une crise de leadership avec l’épuisement du cycle d’Angela Merkel et la crise du macronisme avec le mouvement de gilets jaunes. Aucune sortie ne parait simple. Ce qui est intéressant est que la crise de ceux d’en haut peut servir d’accélérateur à l’expérience d’une nouvelle génération éveillée à la vie politique avec la certitude que le capitalisme n’a presque plus rien à donner.

Traduit par Aminata Dembelé


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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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