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Lutte pour la survie ouvrière

Dita, usine sous contrôle ouvrier en Bosnie

Par Haris Husarić (avec Ivar Patterson) Après quatre ans de lutte pour éviter la faillite, les ouvriers de l’usine de détergents de Tuzla ont obtenu, au printemps 2015, de la justice bosnienne le droit de reprendre leur usine. Depuis, ils ont relancé la production en autogestion. Une expérience qui montre que les industries bosniennes ont de l’avenir, au-delà du capitalisme sauvage qui tue le pays à petit feu depuis l’indépendance. Cet article a été publié initialement par Le Courrier des Balkans, nous le reproduisons ici avec son autorisation.

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Le froid me pénètre jusqu’aux os. Devant les portes de l’usine Dita, une douzaine d’ouvriers discutent entre eux, tentant de se réchauffer sous le soleil hivernal. Depuis le mois d’octobre, ils sont obligés de travailler dans une usine privée de chauffage. Malgré les ateliers glacés, un matériel désormais obsolète, le manque chronique d’argent pour relancer la production et un sentiment de précarité aggravé par le lancement début décembre d’un appel d’offre public pour le rachat de l’usine, ils ne veulent pas renoncer à leur petite entreprise.

Quand vous lirez cet article, le système de chauffage pour l’usine sera de nouveau en marche et la production des poudres de lessive Arix, Ava et Ida aura repris. Aujourd’hui, la véritable question est de savoir si l’engagement de ces ouvriers servira à la reprise de l’usine par un investisseur, comme le laisse supposer l’appel d’offre lancé, ou s’ils auront le droit de poursuivre leur rêve de coopérative ouvrière en comptant sur leur expertise et leur solidarité. Parce qu’actuellement, il n’y a pas de direction : ce sont les travailleurs qui décident ensemble, en autogestion.

Éviter à tout prix le destin tragique des industries yougoslaves

L’usine Dita a ouvert en 1975 et s’est rapidement développée. Ses produits se vendaient dans toute la Yougoslavie, notamment ses poudres de lessive et de lave-vaisselle, cosmétiques et divers détergents sans phosphore. La guerre de 1992-1995 a interrompu la production de l’usine, qui a été nationalisée en 1993 puis privatisée cinq ans plus tard. Les travailleurs ont ainsi perdu tout contrôle sur la véritable direction, qui se cachait même à un moment derrière un coiffeur.

En août 2011, les travailleurs ont entamé une grève qui s’est terminée en mars 2012 et ont déposé une plainte pour non-paiement des charges sociales. Cette plainte a finalement été traitée en 2014, ce qui leur a permis de récupérer leurs droits sociaux. En novembre 2013, les ouvriers de Dita ont aussi bloqué les entrées et sorties de l’usine pour empêcher l’évacuation des machines et des stocks. En février 2014, ils ont largement contribué à l’éclosion du mouvement des plénums, qui est parti de Tuzla avant de gagner toute la Fédération de Bosnie-Herzégovine.

Vu que le syndicat de la chimie ne les soutenait pas, les ouvriers de Dita ont fondé un petit syndicat du nom de Solidarnost (solidarité). Ils ont entamé une action judiciaire et le tribunal du Canton de Tuzla a fini par juger que les contrats de privatisation, ainsi que la dette, étaient frauduleux. En mars 2015, ce même tribunal les a finalement autorisés à reprendre la production, sous son contrôle en tant qu’organe de régulation, notamment par rapports aux créanciers.

Travailler 12h par jour 7j/7

Grâce à l’engagement de 70 ouvriers, Dita a donc pour l’instant réussi à échapper au destin tragique des autres entreprises de l’époque yougoslave, qui ne sont plus que des souvenirs nostalgiques d’une période où la vie semblait meilleure à Tuzla. « Nous devons pouvoir vivre de notre travail et pour cela les ouvriers doivent contrôler la production », estime Emina Busuladžić, responsable de la recherche et principale animatrice du mouvement. Depuis maintenant cinq ans, les employés se battent ensemble pour faire vivre leur usine et prouver que la disparition des industries socialistes est davantage liée à la mauvaise gestion des pouvoirs publics qu’à leur obsolescence.

Les ouvriers ont repris la production, malgré des locaux et un matériel dans un état pitoyable. Une partie de l’usine avait été inondée et les machines n’avaient pas été contrôlées et maintenues en fonction pendant des années. Sans argent ou presque, 70 ouvriers ont remis en marche la chaine de production en travaillant 12h par jour 7 jour sur 7. Leur produit vaisselle est maintenant en vente dans toute la Bosnie-Herzégovine grâce à un élan populaire de solidarité. La chaîne de supermarché Bingo, l’une des deux plus grandes de Bosnie-Herzégovine, a en effet commandé et payé d’avance 100 tonnes de produits, ce qui a permis aux ouvriers d’acheter des matières premières et de relancer la production.

Un futur toujours incertain

Pourtant, le chemin des ouvriers de Dita est aussi semé d’embûches. Une partie du système de chauffage de l’eau avait disparu quelques jours à peine avant que l’usine ne rouvre, très probablement vendue à une de ces firmes semi-illégales qui s’occupent de retraiter les déchets industriels. Or sans ces installations, impossible de faire repartir la chaîne de production des poudres à lessive, qui étaient la spécialité de Dita.

Pour les remettre en route, il a fallu trouver en urgence 50 000 euros, que les ouvriers n’avaient pas. Grâce à la mairie de Tuzla et à la centrale électrique de la ville, ces installations ont pu repartir en décembre. Avec la reprise de la production de lessive, les ouvriers ont rempli l’objectif principal qu’ils s’étaient fixés. Cela ne signifie pas que la situation de l’entreprise soit stabilisée, mais Dita peut maintenant travailler et accroître sa capacité de production.

Le destin de Dita reste toutefois incertain. Les banques peuvent demander le paiement des dettes en retard. Sans oublier que l’usine est toujours formellement en liquidation, ce qui signifie que le développement de l’entreprise devra être assuré par son futur propriétaire. L’investisseur qui rachètera l’usine n’est pas contraint de maintenir la production et après tant d’efforts, les ouvriers de Dita pourraient se retrouver au chômage.

Une des solutions serait de transformer les salaires qui n’ont jamais été payés aux ouvriers en actions pour qu’ils deviennent propriétaires majoritaires. Le problème, c’est que personne à Solidarnost n’est sûr que cela soit légal. Cette option dépend de ce que décidera le futur propriétaire, avec lequel les syndicats devront entamer de nouvelles négociations. Ce qui est sûr, c’est que les ouvriers continueront à se battre et que l’entreprise se trouve dans une situation bien meilleure qu’il y a un an. Pour eux, Dita ce n’est pas seulement une usine, c’est une communauté qu’ils veulent préserver à tout prix.


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