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Violences faites aux femmes

Dix ans de prison pour Jacqueline Sauvage : dix ans de trop

Des centaines de femmes sont victimes de violences physiques et psychologiques tous les ans, et c'est pourtant l'une de ces femmes qui est sur le banc des accusés. Accusée d'avoir tué son mari, violent, violeur, incestueux, après 47 ans de vie commune passées à survivre sous ses coups. Trois balles tirées que la justice refuse, malgré les témoignages, malgré les récits de ses trois filles victimes des violences de leur père, de considérer comme de la légitime défense.

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Quand la justice cherche les coupables parmi les victimes

Le 10 septembre 2012, dans le petit village de La Selle sur Bied, Jacqueline Sauvage a tué son mari de trois coups de fusil dans le dos suite à une énième agression physique, durant laquelle il lui a arraché sa chaîne et ouvert la lèvre inférieure. Pour la justice, le geste est « disproportionné », et puis, « on ne se rend pas justice soi-même ». A la Cour d’Assises d’appel de Blois, pour la seconde fois, le verdict est tombé : dix ans de prison pour Jacqueline Sauvage, avec un possible relaxe en 2017 si celle-ci fait preuve de « bon comportement ». Dix ans de prison pour avoir dit « non ». Dix ans de prison pour avoir voulu en finir avec les dizaines d’années de violences psychologiques et physiques à son encontre et à l’encontre de ses quatre enfants, dont l’un s’est suicidé la veille de la mort de son père. Dix ans de prison pour avoir enduré, jour après jour pendant 47 ans, les coups et les viols sur elle-même et sur ses trois filles.

A lire le compte-rendu du procès, on a presque l’impression que cette condamnation à dix ans de prison, c’est aussi une punition pour ne pas avoir prévenu la justice. A la barre, alors que se succèdent Jacqueline et ses filles qui sont venues témoigner, la même question posée par les avocats : pourquoi n’avez-vous rien dit ? « Vous dites qu’il était incontrôlable, mais vous n’avez pas donné l’opportunité à la police de le contrôler » reproche l’avocat à Sylvie. « C’est le malheur de votre mère que vous avez fait… », poursuit la présidente de la Cour d’Assise.

Dans cette parodie de justice, ce sont les victimes que l’on blâme, et les responsables que l’on blanchit. Qu’en est-il en effet de la responsabilité des gendarmes, alertés pourtant de la situation lors de la fugue de l’une des trois filles suite à une agression par son père ? « On ne doit pas faire justice soit même », répète-t-on. Et ce même lorsque – et c’est une tradition – la police n’enregistre pas les plaintes, ou lorsque l’Etat se défausse de sa responsabilité.

Et l’avocat général de poursuivre, face à Jacqueline : « Oui, Norbert Marot était un sale bonhomme et on a envie de dire ‘mort aux cons !’. Mais Norbert Marot, quoiqu’on en dise, est victime d’un crime aggravé ». Un « sale bonhomme », un « con », simplement ? 47 ans de vie à subir les violences et les coups, pour que celui-ci ne reste qu’un « con », et nous coupables de n’avoir rien dit ? Les filles ont beau dire qu’elles avaient trop peur de leur père pour recourir à la justice, rien n’y fait : les hommes de justice les accablent, elles et leur mère.

Légitime défense

La justice à la mode de l’état d’urgence, instaurée par Cazeneuve, autorise désormais les forces de l’ordre à utiliser leur arme en dehors de leur service. « Légitime défense », où qu’ils soient, et même lorsqu’ils doivent s’en prendre à un jeune Sénégalais de 27 ans « armé » d’un couteau à pain. Pourtant, pour les centaines de femmes qui subissent pendant des années les violences de la part de leur conjoint, la « légitime défense » n’est pas un droit.

En 2012 pourtant, le cas d’Alexandra Lange qui avait tué son conjoint qui la battait, elles et ses enfants, avait trouvé grâce aux yeux de la justice : Alexandra Lange n’avait pas été condamnée à la prison. Ses avocates avaient alors espéré voir émerger une jurisprudence plus juste pour les victimes de violences conjugales. Las, la justice de ce système n’apprécie guère de remettre en cause les fondements patriarcaux de notre société. C’est pourtant bien de légitime défense qu’il s’agit, lorsqu’on sait qu’une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint, sans compter les centaines de vies brisées par les relations de domination instaurées dans le cadre du couple. Comme le dit là encore l’une des filles de Jacqueline Sauvage : « Maman a été en prison pendant plus de 40 ans » et « n’avait pas le choix ».

Depuis le prononcé du verdict contre Jacqueline Sauvage, de nombreuses associations féministes se sont exprimées pour dénoncer cette parodie de justice. Le groupe féministe « Les Dé-Chaînées » a notamment initié un « pot commun » sur internet pour rassembler des fonds pour aider Jacqueline lors de son séjour en prison. Une pétition a par ailleurs été lancée, regroupant à l’heure où nous écrivons ces lignes plus de 60 000 signatures, et qui demande à François Hollande, « au nom de toutes les victimes » de violences conjugales, d’accorder la grâce présidentielle à Jacqueline Sauvage. Enfin, un rassemblement de soutien, revendiquant lui aussi la grâce présidentielle, est appelé samedi 12 décembre à 13h Place du Châtelet à Paris, « parce que ça pourrait être notre mère, notre fille, notre amie ou notre collègue ». Cet élan de solidarité vient apporter un peu de lueur dans la sombre réalité des violences faites aux femmes, alors que le mouvement féministe en France manque cruellement d’initiatives comme ce que l’on a pu voir dans l’Etat Espagnol dernièrement, avec des milliers de femmes dans la rue pour dénoncer les féminicides. Il nous faut désormais œuvrer à ce que ce premier élan de solidarité se poursuive et se renforce, pour Jacqueline, ses filles, et toutes les autres.


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