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Catalogne

Elections en Catalogne : la CUP double ses résultats, mais l’extrême-droite gagne du terrain dans le vote anti-establishment

Les catalans votaient dimanche dernier pour élire le parlement de la communauté autonome. Si la CUP, le parti de gauche anticapitaliste, obtient un bon score en trompe l’oeil, il est largement dépassé par l’extrême droite dans les zones ouvrières.

Santiago Lupe

23 février 2021

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Traduction d’un article publié sur La izquierdadiario.es

Ces élections ont marqué l’échec de l’opération Illa, candidat socialiste qui avait quitté le gouvernement convaincu de ses chances pour les élections catalanes, et de la même façon l’échec du du Partis socialiste qui tentait de revenir au cœur du jeu politique catalan à travers la candidature du ministre de la santé. Les élections de dimanche dernier assurent la reconduction d’une majorité indépendantiste qui, selon toute vraisemblance, va tenter de former un nouveau gouvernement avec les anciens partis pro-indépendance. En somme, peu de choses ont changé, malgré l’énergie dépensée par La Cour Suprême (Juridacta) et le Gouvernement.

Les résultats des élections montrent que si le Parti Socialiste Catalan (PSC), fédération locale du PSOE qui gouverne l’Etat Espagnol, a bien réussi à récupérer les voix perdues lors de la période précédente avec 23% et arrivant en tête, son objectif d’arriver à mettre sur pied un gouvernement régional qui soit de la même couleur politique "progressiste", que l’est le gouvernement de l’Etat Espagnol , et soit ainsi exempt de toute ferveur indépendantiste, n’a pas été atteint.

Les partis de l’establishment catalan, ceux qui sont à la tête de la Generalitat, (le nom du gouvernement de Catalogne) et du procés (processus visant à l’indépendance de la Catalogne) depuis une décennie se sont en réalité renforcées si on fait l’addition de leurs scores respectifs, ils obtiennent la majorité absolue avec 68 sièges.

Les changements les plus notables sont à observer aux extrêmes de l’échiquier politique

A gauche, la CUP se reprend, après sa chute de 2017, et obtient 9 députés et 6,67% des voix. A droite, on constate l’effondrement de Cuidadanos, parti centriste libéral au bord du gouffre, et la constante stagnation du Parti Populaire, de droite conservatrice, mais surtout, une irruption de l’extrême droite à travers Vox qui recueille 7,69% des suffrages et 11 sièges.

Après les résultats, beaucoup se sont félicités du bon résultat de la CUP, Candidature d’Unité Populaire, le parti de gauche anticapitaliste indépendantiste catalan. Dans les rangs de la gauche indépendantiste d’abord, qui à travers son député Carles Riera a félicité et réitéré son offre de soutien à un gouvernement indépendantiste à majorité progressiste, où l’ERC (parti indépendantiste de gache) serait ainsi à la tête.

D’autres portes paroles l’ont suivi, à l’image de Raul Camargo, ex-député de Podemos dans la Communauté de Madrid et militant de Anticapitalistas, qui a également souligné un "résultat magnifique" et que « dans le climat actuel, qu’une force anticapitaliste ait ce résultat est un exploit".

Toutefois, l’interprétation du vote pour la CUP en 2021 ne peut pas être la même que lors des principales échéances électorales auxquelles elle a participé, en 2012, 2015, 2017 ou 2019. A ses débuts, bien qu’avec un résultat beaucoup plus modeste - 3 sièges et 3,48% des voix - le CUP a été perçu comme une force anti-establishment au discours anticapitaliste, il a alors capitalisé à l’échelle de la Catalogne sur une partie de la crise de la représentation déclenchée par le mouvement des indignés dans le reste de l’Etat.

En 2015, il est apparaissait comme une fraction conséquente,de la lutte contre les aspects les plus criminels de la politique du gouvernement d’Artur Mas, obtenant ce qui est encore son meilleur résultat à ce jour, 10 députés et 8,2 % des voix. En 2017, il est tombé à 4 députés et 4,46%, devenue l’aile gauche des indépendantistes après avoir accompagné toutes les initiatives de "l’indépendance magique" de Puigdemont, chef du gouvernement catalan qui avait tenté de déclarer l’indépendance de la Catalogne, avant d’être contraint de fuir à Bruxelles.

En 2019, lors des élections législatives de novembre, avec 6,42% et 2 députés au Parlement national, la CUP capitalise en grande partie sur le malaise à l’égard du proccessus indépendantiste qui s’est exprimé dans les mobilisations contre la condamnation des dirigeants indépendantistes et mais également sur le rejet de la logique du vote pour le moindre mal, logique qui a conduit le reste de la gauche parlementaire à être à la remorque de l’actuel gouvernement "progressiste".

Ce que le vote pour le CUP lors des élections est plus difficile à analyser mais les principaux aspects de la campagne électorale de la CUP et sa politique au cours de l’année dernière, peuvent apporter des éléments de réponse.

Le CUP a choisi, comme l’organisation l’explique dans ses propres documents stratégiques et dans les fondements de son programme électoral, de tenter de gagner en centralité. Un refrain déjà entendu dans les premiers jours de Podemos et qui, comme à l’époque, impliquait la réduction programmatique, se limitant à ce qui était possible et plausible. Sans une trace d’anticapitalisme.

Une modération qui paie dans les urnes

Dolros Sabter, dirigeante du parti, a bien résumé les propositions de la CUP lors d’un débat électoral sur la chaine TV3, revendiquant le contenu des décrets sociaux approuvés par le Parlement puis suspendu par le tribunal constitutionnel. Pas de nationalisation, que ce soit pour le système bancaire par le refus d’aborder l’expropriation des institutions financières qui ont continué à s’enrichir pendant la crise, ou encore sur la question des appartements des grands locataires ou des entreprises qui ferment car plus rentables pour les capitalistes.

Le programme visant à résoudre les grands problèmes de chômage, de logement et de pauvreté s’arrête aux limites imposées par leurs partenaires potentiels, qui ne sont autre que Junts per Catalunya et ERC, les partis indépendantistes, ceux la même qui ont géré la pandémie et la crise avec les mêmes recettes que le gouvernement central.

Une modération qui est la conséquence directe d’une feuille de route qui respire le processisme. C’est à dire de suivre un gouvernement indépendantiste à qui le CUP tend ouvertement la main que ce soit à ERC, le parti de centre-gauche indépendantiste, à Junts Per Catalunya (JxCat), centre-droit indépendantiste, et aux alliés de Podemos, le tout pour imposer un nouveau référendum, et forcer les négociations avec l’Etat et l’intervention de la communauté internationale. Il s’agit ainsi d’une politique de rapprochement et de recherche avec ceux qui sont perçus par des centaines de milliers de personnes, et en particulier par ceux qui souffrent le plus des conséquences de la crise, comme faisant partie du statu quo.

Compte tenu de ce tableau, associer uniquement la progression de la CUP à sa capacité à capter le vote anticapitaliste ou anti-establishment pose problème.Si parmi les suffrages recueillis par la CUP, il n’y en a qui relèvent de la polarisation à gauche, cela représente plutôt sa base de départ et ne semble pas être la tendance qui explique sa progression. La recherche de centralité et la formulation d’un processisme 2.0 plus à gauche que celui des dirigeants de Junts Per Catalunya a attiré une partie de l’électorat de ERC et JxCat vers la CUP . Le fait que ce transfert de voix ne se reflète pas dans la même proportion avec une baisse des partis processistes, s’explique par la forte abstention, dès lors c’est le bloc unioniste, représentant les partis non indépendantistes, qui s’en trouve pénalisé.

Autre phénomène marquant à gauche : les Comunes poursuit son essoufflement. Le parti dont est membre Ada Colau, maire de Barcelone, et alliée de Podemos en Catalogne, renouvelle son score lamentable de 2017 et apparaît comme une une force auxiliaire, un partenaire gouvernemental des sociaux-libéraux, comme c’est le cas au gouvernement national, et dans la mairie de Barcelone. Voter Podemos dans le reste de l’Espagne, ou des Comunes en Catalogne, n’a de fait plus l’ombre d’une dimension contestataire ou anti-régime, encore moins anticapitaliste.

Vox rentre au Parlement catalan et se fraie un chemin au sein des classes moyennes ruinées, de la jeunesse, et des régions ouvrières

L’autre nouveauté, qui en réalité s’apparente à la fois comme la principale et comme la plus inquiétante, a été l’émergence de Vox. Il est vrai que la droite dans son ensemble est en baisse de près de 20 points par rapport à 2017. C’est une conséquence de la récupération, notamment par le Parti socialiste de catalogne, d’une grande partie de l’électorat qui y était parti pour Cuidadanos parti libéral ), lors de l’apogée du mouvement indépendantiste. Pourtant le fait que la compétition entre les droites ait été remportées par sa version la plus ultra, le tout ajouté à l’analyse des territoires et des électeurs de Vox, ne constituent pas seulement un signe du danger mais un premier avertissement face aux échecs des politiques pour combattre la droite populiste.

En effet les meilleurs résultats de Vox ont une démographie particulière. D’un côté la percée se fait dans des zones côtières, dépendantes d’une économie exclusivement tournée vers le tourisme. Des endroits où la population migrante sans droit de vote est forte et où, dans le même temps, la crise a frappé plus sévèrement sous la forme de faillites de petites entreprises touristiques et de chômage. Vox a non seulement fait campagne avec un discours nationaliste et homophobe, mais a également déployé tout un programme de « sauvetage » à destination de ces secteurs, en l’opposant explicitement à l’immigration. L’autre grande source de votes a été dans les zones ouvrières, dans les banlieues des grandes villes où le parti d’extrême droite oscille entre 9 et 13%. Dans presque tous les cas, l’extrême droite double, voire triple, les voix obtenues par la candidature de la CUP qui lui faisait face.

Vox plus populaire que la CUP parmi les secteurs perdants de la crise

Le discours démagogique et raciste de Vox séduit davantage une partie de ceux qui sont le plus en difficulté face à la crise, qu’il s’agisse de petits propriétaires terriens ruinés ou de secteurs fortement exploités de la classe ouvrière. L’autre fait inquiétant en ce sens, est que la tranche d’âge la plus jeune, de 18 à 44 ans, représente 20% de l’ensemble des votes Vox.

L’abandon d’un programme anticapitaliste du CUP, de propositions trop radicales et inacceptables pour les partenaires modérés de la CUP a permis un bon résultat électoral. Pourtant l’étude des résultats des élections montre que cela n’est utile ni pour résoudre les grands problèmes sociaux, ni pour avancer dans la conquête des droits démocratiques ni pour confronter l’extrême droite et sa progression dans les secteurs populaires et dans la jeunesse.Cette stratégie qui témoigne en outre de la naïveté de la CUP alors que ni ERC JxCat ne gouverneront contre les grandes familles et les entreprises qu’ils représentent depuis des années.

Face à l’extrême droite, tendre la main à ceux qui ont œuvré et continuent de le faire pour créer les conditions sociales de son émergence n’est pas non plus une voie. Ce sont les partis de l’establishment et ceux qui les accompagnent, c’est-à-dire le vieux processisme en Catalogne, et les sociaux-libéraux du PSOE et le néo-réformisme de Podemos au gouvernement, qui appliquent les politiques de racisme institutionnel, générant des citoyens sans droits et des travailleurs de seconde zone, ouvrant la porte aux discours et propositions racistes de Vox.

Face à l’impasse de l’alternative proposée par la CUP, il est temps d’oeuvrer pour des mesures qui offrent réellement une solution aux grands problèmes sociaux, et une orientation politique qui ne tombe pas dans le piège de la compromission avec les socio-libéraux ou procesistes, reposant une mobilisation indépendante de la classe ouvrière, base d’un lutte efficace contre l’extrême droite et le poison raciste avec lequel elle veut diviser notre classe.


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