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Après les bombardements de Trump contre Assad

En Syrie, le principal ennemi reste l’impérialisme

Après les années de l’administration Obama où les Etats Unis se sont montrés réticents à attaquer directement les positions de Bachar al-Assad en Syrie, les bombardements de Trump pourraient-ils faire reculer le gouvernement syrien et protéger les vies civiles ?

Philippe Alcoy

11 avril 2017

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Suite aux bombardements à l’arme chimique contre la population civile la semaine dernière, Donald Trump a décidé de bombarder une base aérienne militaire du régime syrien. Il s’agit non seulement d’un tournant important par rapport à la politique de désengagement prônée jusqu’à présent par Trump vis-à-vis de la Syrie, mais également d’un tournant de la politique des Etats Unis vis-à-vis du régime d’Assad depuis le début de la guerre : jamais les Etats Unis n’avaient attaqué directement des positions de l’armée syrienne.

Bien que la raison évoquée par Trump pour justifier le bombardement soit « l’émotion » provoquée par les images d’enfants en train de mourir des suites de l’attaque chimique, tout le monde sait que derrière cette offensive nord-américaine se cachent des froids calculs géopolitiques et militaires. D’ailleurs, le cynisme de l’administration Trump est évident : alors qu’il s’émeut du sort de la population civile attaquée au gaz sarin, il bannit l’entrée aux Etats Unis des réfugiés fuyant la guerre ; il s’émeut des enfants qui meurent sous les bombes chimiques alors que la plupart des morts en Syrie tombent sous les bombes conventionnelles.

Cependant, alors que la guerre civile syrienne a fait près de 500 000 morts et autour de 11 millions de réfugiés internes et externes, certains se demandent si ce bombardement étatsunien n’est pas une bonne nouvelle ou du moins ne pourrait pas aider à alléger les souffrances du peuple syrien martyrisé. Comme affirmait un réfugié syrien en Turquie au journal nord-américain The New York Times : « voir une puissance mondiale prenant la revanche pour les civils contre le régime syrien, me donne de l’espoir et me rend optimiste ».

En effet, le conflit syrien présente un scénario très complexe où les principaux camps en dispute sont animés par des forces profondément réactionnaires. Les travailleurs et les classes populaires syriennes se trouvent ainsi pris au piège entre : le régime d’Assad et ses alliés internationaux, notamment la Russie et l’Iran mais aussi le Hezbollah libanais ; les puissances impérialistes, notamment les Etats Unis mais également la France qui est l’une des puissances les plus belliqueuses en Syrie (et en Irak) ; enfin Daesh et les différents groupes islamistes radicaux.

Dans ce contexte, des débats interminables ont lieu dans les médias dominants et au sein des « états majors » des partis capitalistes pour savoir comment ramener la « paix » en Syrie. Bien que tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut combattre Daesh, certains sont partisans de la fermeté vis-à-vis du régime d’Assad et posent comme préalable à toute discussion le départ de celui-ci. Ce dernier camp, majoritaire en Occident jusqu’à présent, perd de plus en plus de partisans au fur et à mesure qu’Assad et ses alliés avancent sur le terrain militaire contre l’opposition. D’autres sont partisans justement d’une coalition large antiterroriste, incluant les forces du régime et ses alliés. Les plus fervents défenseurs de cette position soutiennent même l’idée que, sans Assad, la paix ne sera pas possible en Syrie. Quelques jours avant son attaque, c’est Trump lui-même qui avait laissé ouverte la porte à cette option.

La réalité c’est qu’aucun de ces acteurs n’est capable de ramener la paix en Syrie. Ou en tout cas, une paix favorable aux opprimés et exploités du pays. Leur « paix » est celle qui sera la plus favorable à leurs intérêts. Elle sera ainsi surtout imposée contre les intérêts des masses.

Mais si en Syrie, et au Moyen Orient en général, on se trouve devant un scénario avec différents acteurs réactionnaires, la capacité de nuisance de ceux-ci n’est pas la même. En effet, même si le régime d’Assad (et ses alliés) et Daesh apparaissent comme des dangers immédiats pour les travailleurs et le peuple syrien, les pays impérialistes restent leurs ennemis les plus dangereux et puissants.

A commencer par les Etats Unis. L’impérialisme nord-américain est le principal responsable dans la déstabilisation réactionnaire de la région avec son intervention en 2003 Irak, qui a suivi celle de 2001 en Afghanistan. L’embourbement de l’armée nord-américaine en Irak et l’éviction des sunnites du pouvoir, a en outre favorisé le surgissement de Daesh en Irak d’abord et en Syrie ensuite.

On ne pet pas oublier non plus que les Etats Unis sont la puissance impérialiste la plus forte au niveau mondial, avec une capacité économique, géopolitique et militaire de nuire immenses. Par conséquent, une victoire de celle-ci en Syrie, ne ferait que renforcer son pouvoir et sa capacité d’imposer la spoliation et l’oppression des peuples des pays de la périphérie capitaliste mais aussi de renforcer l’exploitation à l’intérieur des Etats Unis.

Quant à la capacité des Etats Unis à aider à établir des « régimes démocratiques » dans la région ou encore à « sauver des vies civiles », aucune confiance ne peut leur être faite non plus. Pour s’en convaincre il suffit de jeter un coup d’œil à leurs alliés régionaux : l’Arabie Saoudite, Israël, l’Egypte, les pétromonarchies du Golf, pour n’en nommer que quelques uns.

Mais les Etas Unis ne sont pas la seule puissance impérialiste à intervenir activement en Syrie. La France est l’un des pays qui participe le plus activement dans les bombardements en Syrie. Sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », la France est devenue l’une des puissances les plus agressives dans la région, parfois doublant sur la droite les Etats Unis eux-mêmes.

Pour l’impérialisme français il s’agit d’essayer de regagner un peu de rayonnement international face à un certain déclin depuis quelques années. Mais il y a également des enjeux économiques. Le principal est lié à l’industrie française de l’armement. Sous le gouvernement de François Hollande, la France est devenue le deuxième exportateur mondial d’armes : le scénario syrien est « idéal » pour faire une démonstration de « l’efficacité » des armes françaises.

Un autre objectif économique de l’impérialisme français est lié à l’après-guerre et à une éventuelle phase de reconstruction et de partage de l’exploitation des ressources naturelles syriennes. Les géants du BTP français ainsi que des multinationales comme Total ne verraient pas d’un mauvais œil que l’Etat leur permette de récupérer une partie du « gâteau syrien », même si la concurrence est rude.

D’un point de vue historique, la France a une longue tradition colonialiste et de division des populations dans la région. C’est pour toutes ces raisons, que du point de vue du mouvement ouvrier, de la jeunesse et de l’ensemble des opprimés en France il s’agit en premier lieu de dénoncer les agissements de l’impérialisme français en Syrie et dans la région, de s’opposer à toute intervention militaire française. Un succès de la France impérialiste en Syrie c’est un succès pour nos exploiteurs et oppresseurs ici même. Notre principal ennemi est chez nous !

Tout cela étant dit, est-ce qu’Assad et/ou Poutine constituent un « moindre mal » ? Aucunement. Contrairement à ceux qui laissent entendre ici en France qu’il faudrait trouver un terrain d’entente avec le régime syrien et Poutine pour lutter contre Daesh et ramener la paix en Syrie, cette solution ne promet rien de positif pour les travailleurs et les masses. Cela ne ferait que renforcer d’autres tendances réactionnaires qui ne cherchent qu’à préserver leurs privilèges ou à renforcer leur influence dans la région.

Assad dépend aujourd’hui entièrement du soutien de ses sponsors internationaux, qui, eux, poursuivent leurs propres objectifs. La Russie de Poutine, qui possède une puissance militaire comparable aux pays impérialistes les plus forts, utilise son intervention en Syrie pour améliorer le rapport de forces de Poutine vis-à-vis des Occidentaux. Son intervention militaire (limitée) en Syrie cache les profondes contradictions et faiblesses du capitalisme russe devenu très dépendant des exportations de pétrole et de gaz.

Quant à l’Iran, depuis l’échec des Etats Unis en Irak, le pays est devenu clé dans la région et commence à disputer à l’Arabie Saoudite le rôle de leader régional. Assad est l’un de ses alliés fondamentaux pour maintenir cette influence ainsi que pour garder un lien territorial avec son allié libanais, le Hezbollah. En quelque sorte, le maintien d’Assad au pouvoir est plus important pour l’Iran que pour la Russie. Au moins le temps de trouver un remplaçant fiable.

Concernant Daesh, il s’agit d’une des expressions les plus claires et aberrantes de la décomposition sociale et politique dans la région causée par les interventions impérialistes. Cependant, depuis plusieurs mois Daesh connait plusieurs revers militaires et ne cesse de perdre du terrain. La chute de Daesh semble pour certains une question de temps. Mais la question qui se pose ensuite est celle de l’après-Daesh. Qui et quoi remplacera l’organisation islamiste radicale ? Beaucoup craignent un chaos plus grand, un scénario à l’irakienne. En même temps, les différentes manœuvres et nouvelles frictions peuvent aussi s’expliquer par rapport à cette incertitude liée à l’après-Daesh. En attendant, l’organisation islamiste gagne du temps.

Dans ce contexte, pour les travailleurs et les opprimés il ne s’agit pas de choisir le « moindre mal » ou de s’appuyer ponctuellement sur telle ou telle intervention d’un des camps réactionnaires en dispute. Il s’agit au contraire de trouver les voies pour une politique indépendante des différentes fractions des classes dominantes locales, des puissances régionales et des impérialistes. Autrement dit, une politique qui défende les intérêts de la classe ouvrière et des classes populaires, ce qui implique le renversement révolutionnaire du régime ne place et la lutte contre les autres forces réactionnaires locales et internationales. Et c’est précisément cela l’élément clé manquant aujourd’hui dans la situation syrienne et qui rend les perspectives si noires pour les travailleurs et les masses.

Les processus révolutionnaires et contre-révolutionnaires en Syrie et dans toute la région ont trouvé le mouvement ouvrier sans préparation pour mener jusqu’au bout la révolution. Les différentes forces réactionnaires ont pu prendre le dessus et se développer en grande partie grâce à cela. Il nous faut, ici en Europe, démontrer toute notre solidarité avec les travailleurs syriens, nous battre contre les politiques de division des exploités et des opprimés et aux interventions impérialistes en Syrie, nous battre pour l’ouverture des frontières et l’accueil dans des conditions descentes tous les migrants et réfugiés. Mais pour les travailleurs et exploités et opprimés d’ici il faut surtout tirer les leçons politiques de la révolution et de la contre-révolution en Syrie.


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