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L'art de faire de la politique

En soutien aux migrants, l’artiste Ai Weiwei retire ses œuvres du Danemark

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Maryline Dujardin

Au lendemain de l’adoption par le Parlement danois d’une loi réactionnaire et xénophobe sur la confiscation des biens des migrants, l’artiste chinois Ai Weiwei prenait une initiative exemplaire de solidarité avec les migrants : « Je suis très choqué par la nouvelle d’hier. Conséquence de cette décision regrettable, je me retire de votre exposition “Une nouvelle dynastie. Créée en Chine” pour exprimer ma protestation contre la décision du gouvernement danois » écrit-il dans un texte adressé au musée d’art moderne ARoS situé à Aarhus, au Danemark.

Ai Weiwei, artiste chinois contestataire, a été enfermé 81 jours par le gouvernement chinois en 2011 puis assigné à résidence par la suite. Il récupèrera finalement son passeport le 22 juillet 2015 pour s’en aller vivre et travailler à Berlin. Son travail artistique est depuis toujours contestataire puisqu’il produit souvent des œuvres faisant écho à l’actualité politique. En 2008 par exemple, il enquêtera sur les 5000 enfants ayant péri sous les ruines de leurs écoles dans le tremblement de terre du Sichuan. Il voit son travail comme une façon de « requérir plus de transparence, informer. Quitte à mettre sa vie en danger. »

Ai Weiwei a défié la chronique cette semaine en demandant à retirer ses œuvres de l’exposition du musée d’art moderne ARoS situé à Aarhus, au Danemark, car il est en désaccord profond avec le projet de loi hautement réactionnaire sur la confiscation des biens des migrants.

Dans un autre texte publié sur son compte Instagram, Ai Weiwei annonce l’annulation de son exposition « Ruptures » prévue au mois de mars et avril à la Fondation Faurschou de Copenhague. « Jens Faurschou soutient la décision de l’artiste et regrette également que le Parlement danois ait choisit avant tout une politique symbolique et inhumaine face à la plus grande crise humanitaire en Europe et au Moyen¬-Orient, au lieu d’être en première ligne pour trouver une solution européenne respectueuse et résoudre cette crise urgente ».

Ai Weiwei se désengage donc de tous ses projets avec le Danemark en réaction à ce projet de loi. Mais de quoi s’agit-il exactement ? De priver une population de la culture pour condamner ses dirigeants ? Non. Il s’agirait plutôt de faire ouvrir les yeux à la population sur une politique réactionnaire qui commence à être bien établie au Danemark et dans toute l’Europe. Même si Ai Weiwei ne condamne pas encore les autres pays comme l’Allemagne à laquelle il est très attaché. Lors d’une visite à Londres en septembre, l’artiste s’était même dit « très fier » de la manière « civilisée » dont l’Allemagne avait décidé d’accueillir les réfugiés.

Mais le soutien aux migrants dans lequel il a souhaité s’investir depuis quelques mois sur l’île de Lesbos en Grèce, où il réalise une sorte de reportage photographique via son compte Instagram, lui tient vraiment à cœur.

Ai Weiwei, en condamnant de cette façon le Danemark sur ses choix politiques, sait qu’il peut compter sur son aura internationale. En effet, lors de sa captivité en 2011, il avait reçu bon nombre de soutiens et les médias occidentaux avaient beaucoup parlé de lui. Il voit donc ce type d’actions coup de poing, à fort écho médiatique, comme une façon d’influencer l’opinion publique et d’élargir le débat.

L’actualité d’Ai Weiwei en France est tout autre puisqu’il expose depuis début janvier au luxueux Bon Marché à Paris, ce qui peut sembler contradictoire pour un artiste qui a la réputation de s’attaquer au pouvoir. Quand il est interrogé sur le plateau de 28 minutes (Arte) sur les raisons d’exposer au Bon Marché, Ai Weiwei exprime la volonté d’exposer dans les lieux commerciaux aussi pour que ceux qui n’ont pas les moyens d’aller au musée puissent voir son travail. Peut-être ne connait-il pas la clientèle du Bon Marché ! Mais peut-être a-t-il compris surtout l’avenir de l’art contemporain dans un monde capitaliste où les frontières sont devenues bien minces entre art et commerce. Et que ce genre de « partenariat » culture/commerce va être de plus en plus fleurissant avec l’apparition de centres commerciaux/musées. Exposer au Bon Marché, qui appartient à Bernard Arnault, grand amateur d’art (et de licenciements en tout genres), est un peu comme une tâche dans le cv artistico militant d’Ai Weiwei. Pourtant il faut bien gagner sa vie lorsqu’on est artiste. Situation complexe que celle de l’artiste aujourd’hui qui doit savoir jouer dans un monde où commerce, art et politique sont liés.

Quoi qu’il en soit, sa décision de ne plus exposer au Danemark témoigne une nouvelle fois de son engagement envers les migrants. Cause honorable et engagement exemplaire pour un artiste reconnu et respecté dans le monde de l’art. On ne peut qu’espérer que son geste ébranle un peu les consciences, comme il le revendique lui-même : « C’est un moment historique, quelle que soit la perspective où l’on se place. En tant qu’artiste, je veux être plus impliqué, je veux [créer] des œuvres en lien avec la crise et susciter une sorte de prise de conscience », affirmait Ai Weiwei.


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