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Tournant dans la politique hexagonale à l’égard de Daech et de Bachar el Assad

Et maintenant, on va bombarder la Syrie pour régler la « question des migrants » ?

Lors de sa sixième conférence de presse tenue à l’Elysée, François Hollande vient d’officialiser ce qui se disait dans les couloirs ministériels depuis quelques jours. Dès aujourd’hui, des avions français de reconnaissance vont survoler le territoire syrien et des raids pourraient commencer dans les plus brefs délais. La France va pour l’instant coordonner « ses efforts » à la coalition internationale anti-Daech pour bombarder non plus seulement les positions de l’Etat islamique en Irak mais également, désormais, en Syrie. Une façon de répondre au flux de réfugiés en « s’attaquant au mal à la racine » ou d’officialiser une nouvelle catastrophe impérialiste annoncée ?

Jean-Patrick Clech

7 septembre 2015

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Partisan de frappes contre la Syrie de Bachar el Assad après que le régime de Damas avait bombardé des civils à l’arme chimique au cours de l’été 2013, Hollande et son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’étaient vus contraints de faire machine-arrière quand Washington avait fini par reculer, craignant de s’embourber dans un nouveau conflit proche-oriental. Depuis, la situation a changé avec la mise en place de la « Coalition anti-Daech », à l’été 2014, conduite par les Etats-Unis, ses alliés occidentaux et ses flics régionaux, pays du Golfe en tête. Mais les chasseurs français n’intervenaient jusqu’à présent, qu’en Irak. Toujours échaudé d’avoir été lâché en rase campagne (militaire) par Washington l’année auparavant, Paris refusait de participer aux frappes en territoire syrien, arguant du fait que ce serait aider objectivement la dictature syrienne.

De l’eau a coulé sous les ponts, et même si Barack Obama a fait le choix de recentrer l’impérialisme états-unien en direction de la zone Pacifique, Washington reste encore présent dans la région. On songera, bien entendu, au dossier iranien, avec une volonté affichée de normaliser des relations après 26 ans de brouilles avec Téhéran. On pensera également au renouveau de l’ingérence américaine, après le « retrait des troupes d’Irak » engagé par Obama au début de son premier mandat, avec une nouvelle intervention (appelée à durer) en Irak et en Syrie, John Kerry, secrétaire d’Etat américain laissant entendre que, désormais, el Assad devait être considéré comme un interlocuteur valable pour « régler la question de la guerre civile syrienne » et de Daech.

Tout en surjouant la ligne dure, Fabius a fini par mettre de l’eau dans son vin. Sur la question du nucléaire iranien, après avoir fait mine de bloquer le dernier round des négociations, Paris a fini par s’aligner sur les positions de Washington, un certain nombre de patrons hexagonaux, dans le secteur automobile (PSA) et des hydrocarbures (Total), notamment, étant plus que contents à l’idée de réinvestir le marché iranien. Sur la question syrienne, il en allait de même, ces derniers mois. Tout en affichant une certaine fermeté, Fabius jurant se grands dieux que « Bachar était le problème et non pas une solution au problème », Hollande vient d’officialiser sa volte-face.

Ne pouvant continuer à rester isolé sur cette question-là vis-à-vis de ses partenaires et concurrents impérialistes, Paris emboîte donc le pas, profitant de l’intensification de la « crise des migrants » pour le faire. La décision est scandaleuse à plus d’un titre.

Moins encore que les autres puissances occidentales, la France est bien mal placée pour donner des leçons d’humanisme et de démocratie en Syrie. Lorsque Paris était puissance mandataire en Syrie-Liban, après la Première guerre mondiale, les troupes coloniales françaises se sont rendues responsables de massacres à répétition contre le mouvement national syrien et contre la population, notamment dans le cadre de la « révolte druze », entre 1925 et 1927. A l’époque, le corps expéditionnaire et les fonctionnaires coloniaux de la patrie des droits de l’homme n’avaient pas grand-chose à envier aux exactions perpétrées par l’ensemble des camps en présence, actuellement, dans la région. Aujourd’hui encore, confierait-on à une armée qui commet des viols en série sur mineurs, comme en Centrafrique, le soin de libérer qui que ce soit ?

Sur la question des réfugiés, par ailleurs, il est clair que l’entrée en guerre totale de Daech est l’un des facteurs à l’origine d’un afflux de déplacés internes et de réfugiés, notamment en direction des pays limitrophes de la Syrie et de l’Irak, à commencer par le Liban, la Jordanie et la Turquie, qui supportent le plus grand nombre de réfugiés (infiniment supérieur, en proportion, aux 24.000 que Hollande a dit vouloir accueillir dans les deux prochaines années). Mais ce gonflement des routes de l’exil forcé, pour fuir la guerre et la misère, a commencé véritablement avec la multiplication des interventions impérialistes dans le monde arabo-musulman, depuis l’Afghanistan, en 2001, jusqu’à la Lybie, en 2011. C’est depuis cette date, notamment, que le flux de candidats à l’exil forcé a commencé à grossir.

En termes de responsabilité, par ailleurs, comme le souligne Claudia Cinatti dans « Géopolitique du chaos », un article d’analyse de la politique des impérialistes dans la région, « dire que Washington et ses alliés seraient à l’origine de l’Etat Islamique reviendrait à avoir une lecture simpliste et complotiste d’un phénomène complexe. Il n’en reste pas moins que les Etats-Unis et ses partenaires ont largement contribué à l’émergence de Daech. Avant l’intervention anglo-américaine de 2003, tout d’abord, ni Al Qaeda en Irak ni Daech n’existaient. Par ailleurs, comme l’ont rapporté dernièrement plusieurs médias anglo-saxons, dontThe Guardian, l’Agence d’Intelligence de Défense (DIA) américaine signalait dès 2012 la possible émergence d’une ‘principauté salafiste’ en territoire syrien, considérée comme une opportunité, par l’administration étasunienne de façon à isoler stratégiquement le régime de Assad ainsi que l’Iran, bien qu’au risque de déstabiliser, par la même occasion, l’Irak ».

Incapables de freiner les avancées de Daech, alors que le régime de el Assad est de plus en plus fragilisé, Paris comme Washington sont désormais prêts à collaborer avec Moscou face au risque qu’impliquerait un écroulement complet de l’Etat syrien, une crainte également partagée par Riyad. L’aspect militaire de toute l’opération anti-Etat islamique n’est que la couverture d’une issue politique que les impérialistes et la Russie recherchent, qui préserverait l’essentiel des structures du régime assassin syrien, avec un rôle plus ou moins important qui serait dévolu à Assad. Les Syriens sunnites, cependant, ne semblent pas prêts d’accepter un tel plan, ce qui génère autant de contradictions dont Daech tire profit.

Face au monstre qu’ils ont engendré, les impérialistes, aujourd’hui, ont décidé de changer leur fusil d’épaule. Imaginer un seul instant que des frappes sur les positions de Daech, avec leur cortège de « victimes collatérales », de bavures et d’aggravation des problèmes d’approvisionnement pour les zones occupées et où les populations civiles sont en otage, vont « répondre au problème des réfugiés » et permettre aux candidats à l’exil contraint de rester chez eux relève, dans le meilleur des cas, de l’aveuglement. Ou de la complicité la plus crasse avec l’impérialisme français. Raison de plus pour que, dans la solidarité avec les réfugiés, les migrants et les sans-papiers, les organisations de notre classe, à commencer par l’extrême gauche dénonce et s’oppose à cette nouvelle forme d’ingérence militaire de Hollande-va-t-en-guerre.


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