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Le désarroi de la bourgeoisie face au mouvement social

Et si l’équipe de France faisait grève ?

Avec ce titre, l'éditorialiste du journal pro-patronal Les Echos démontrait son trouble et sa surprise face à l'extension et le maintien du mouvement social contre la loi Travail. Juan Chingo

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Ce journaliste n’est pas un cas isolé. Au contraire, cette expression du désarroi dans lequel se trouve la bourgeoisie face aux difficultés et au coût élevé du mouvement social en cours. Poussant à l’absurde pour chercher à dédramatiser un peu la sombre réalité, il écrit “Et si l’équipe de France faisait grève ? Après tout, il ne manque plus qu’eux : alors que les pilotes d’Air France entament leur grève demain, que les poubelles non ramassées jonchent Paris à la veille du match d’ouverture de l’Euro de foot, vendredi, et que les RER B et D qui conduisent au Stade de France risquent d’être bloqués, pourquoi pas nous refaire le coup du bus de Knysna, lors de la coupe du monde 2010, où les joueurs avaient refusé de quitter leur autocar ? Dans cette France où les blocages confinent à l’absurde, une touche supplémentaire de ridicule n’étonnerait plus personne ».

Le fait est que la bourgeoisie et ses acolytes, achetant sa propagande pour invisibiliser les travailleurs et désaccoutumée à la lutte de classe dure, doit faire avec un mouvement social qui, s’il n’est pas encore parvenu à dépasser certaines limites, démontre qu’il est vivant et bien présent. Personne au sein de la classe politique en France ne s’attendait à la combativité et à la détermination ouvrière qui se poursuit aujourd’hui alors que commence la Coupe de l’Euro, comme le montre l’extension de la lutte chez les éboueurs, la grève des pilotes d’Air France à partir de samedi et qui va conduire à l’annulation de 20 à 30% des vols de la compagnie, ou encore la manifestation massive au Havre de plus de 35 milles participants, l’un des plus importants défilés observés dans la cité portuaire depuis trois mois quand a débuté le mouvement. Les travailleurs et leurs méthode de lutte, la grève et les piquets, se sont transformés en la principale opposition à la contre-révolution sociale en cours, démontrant une force puissante auquel le prochain gouvernement après 2017 devra tenir tête, quoiqu’en disent les bravades des différents candidats au poste.

Le gouvernement a sous-estimé les syndicats

Peu à peu, les laquais de la bourgeoisie réfléchissent au film d’horreur qu’ils ont pu voir ces derniers mois. Jusqu’à présent, ils répètent tous comme des perroquets que la culpabilité revient à la radicalisation de la CGT, comme si le MEDEF étaient composés de gentils chatons. Les Echos commencent néanmoins à être un peu plus sérieux : “Dans cette affaire, l’exécutif ne peut pas renvoyer la responsabilité du conflit à la seule CGT, fût-elle radicalisée. Il a du début à la fin navigué à vue. Signe d’une perte de culture sociale chez certains socialistes, Manuel Valls a sous-estimé la capacité de résistance des syndicats. Sans doute persuadé qu’ils subissaient le même discrédit que les partis politiques, le chef du gouvernement a pensé que leur pouvoir se résumait à une capacité de nuisance et qu’il mettrait l’opinion de son côté parce que l’idée d’une réforme du Code du travail était bien accueillie dans les sondages”. Le plus grave pour la bourgeoisie est le message qu’elle est en train d’envoyer pour le futur. Comme le dit l’éditorialiste de ce même journal : “La droite ne peut pas non plus se frotter les mains sur l’avenir, car l’hostilité des Français aux réformes ne peut s’expliquer par le seul virage à 180° du pouvoir par rapport à la campagne de 2012 et ses maladresses ». En d’autres termes, le thatchérisme à la française ne passera pas sans de grandes résistances. Le mérite du mouvement actuel est de rendre clair qu’il ne sera pas facile de vaincre la détermination des travailleurs à conserver leurs conquêtes.

La direction de la CGT n’est plus ce qu’elle était

Jusqu’alors, la direction de la CGT a maintenu son contrôle sur le mouvement. Mais elle a été obligé de radicaliser ses méthodes et à aller plus loin que ce qu’elle aurait aimé en termes d’affrontements contre le gouvernement, et ne pourra pas sortir facilement du jeu. Aujourd’hui son secrétaire général, Philippe Martinez, face à l’augmentation de différents types d’actions planifiées pour le début de la Coupe, a déclaré : "Je ne suis pas sûr que bloquer les supporters soit la meilleure image que l’on puisse donner de la CGT". La CGT "souhaite que l’Euro se déroule comme une vraie fête populaire dans les stades comme dans les fan zones", a-t-il ajouté à l’occasion du congrès d’une union locale de son syndicat dans le centre de la France.
Comme nous l’avons déjà écrit, la CGT n’est plus le syndicat monolithique tant aimé par la bourgeoisie. Non seulement elle n’est plus la vieille CGT aux mains de la direction du PCF et à la main de fer contre les gauchistes, mais aussi ses dirigeants n’ont plus l’autorité vis à vis de leur base qu’avaient leurs prédécesseurs. Comme le dit le journal libéral L’Opinion : “Aujourd’hui, l’enjeu du numéro 1 de la CGT est de ne pas se laisser déborder par ses fédérations les plus dures. Afin d’éviter les dérapages trop violents. ‘Bernard Thibault avait la capacité de siffler la fin de partie, Martinez, non !’ s’inquiète un cégétiste”.

Une des grandes nouveautés du mouvement social actuel qui inquiète fortement la bourgeoisie est la tendance à l’action directe, qui s’est manifesté aux marges du mouvement, par des actions de rue non contrôlées par les syndicats. Comme le dit L’Opinion : « Ce penchant pour l’action directe a déjà été observé en marge des rassemblements parisiens de Nuit Debout, à l’image de ces manifestants qui, à la mi-avril, voulaient « prendre l’apéro chez Valls » avant d’en être empêchés par les forces de l’ordre. Les déplacements d’Emmanuel Macron sont également la cible des opposants à la loi Travail : après avoir été chahuté fin mai à Lunel, le ministre de l’Economie a été accueilli par des jets d’œufs lors d’une visite lundi dans un bureau de poste de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Le Parti socialiste, enfin, fait régulièrement les frais du conflit social. Près de 80 permanences de députés ou de fédérations du parti ont été victimes ces derniers mois de dégradations, allant de simples graffitis jusqu’aux vitrines brisées en passant par le traditionnel dépôt de fumier. Un blog ironiquement baptisé « PS déco » les recense d’ailleurs.”.

Cette “nouvelle radicalité difficile à contrôler” est l’expression de l’approfondissement de la crise de représentation qui touche principalement les partis du régime de la Vème République mais aussi les syndicats, et ce même si conjoncturellement la CGT pourrait sortir renforcée du mouvement en cours. Comme le note Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS : « Ce qui est nouveau, c’est que ces modes d’action échappent désormais aux structures des partis politiques et des syndicats, ou du moins à leurs représentants. Il y a beaucoup moins de déférence qui va de pair avec une volonté de la part de ces manifestants de se réapproprier une démocratie dont ils ont le sentiment d’avoir été dépossédés ». Cette perte d’influence des corps constitués, quoique encore embryonnaire, pourrait à l’avenir aboutir à des formes d’auto-organisation de masse plus ouvertes et opposées aux structures des périodes de paix que sont les syndicats, générant des embryons de contre-pouvoir ouvrier et développer la tendance à la grève générale que les événements actuels mettent au grand jour - et ce même si la tendance à la généralisation de la grève ou la grève générale elle-même se s’est pas concrétisé. Et ceci a été l’élément absent de Mai 68 du fait de la force du réformisme, et tout spécialement de l’appareil du PCF.

Bien que la subjectivité et la direction de la classe ouvrière soient bien en deçà de ce qu’il faudrait pour mettre en échec la bourgeoisie, le désarroi face à ce qu’il se passe et l’inquiétude pour l’avenir dont font preuve la bourgeoisie et ses laquais permettent d’entrevoir quelques-unes des voies par lequel le mouvement ouvrier pourrait mûrir de façon révolutionnaire dans les inévitables affrontements de classe à venir...


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