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Réseau Classe Genre Race

« Féminisme » : journée de débat sur les oppressions à l’ère du capitalisme postcolonial

Ce samedi 10 mars, à l'occasion de la semaine marquée par la journée internationale des droits des femmes, était organisée par le Réseau Classe Genre Race une journée "féminisme" ouverte à tous et toutes. Ce sont quelques centaines de personnes qui sont venues assister aux différents ateliers et table-rondes à la Générale Nord-Est. Il s'agissait d'une première pour le réseau Classe Genre Race réunissant différentes invitées toutes venues discuter et débattre de la lutte contre l'ensemble des oppressions subies par les femmes issues de l'immigration post-coloniale.

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"Le féminisme tel qu’on l’a imposé le 10 mars s’inscrit totalement dans les luttes de libération anticoloniale, et dans les mouvements de l’immigration et des quartiers populaires en France". Tel est le bilan tiré par les organisatrices de la journée "féminisme" du réseau Classe Genre Race, Fatima Ouassak et Louiza Belhamici, contre un féminisme qui ne prendrait pas en charge les questions antiracistes ou encore ne se revendiquerait pas internationaliste. En effet, cette rencontre, dans un pays impérialiste, au passé colonial meurtrier et au présent imprégné des pratiques, de l’imaginaire, du racisme, de la répression du colonialisme passé, était nécessaire. Une rencontre organisée par des femmes issues de l’immigration postcoloniale qui a réuni différents secteurs du militantisme antiraciste, féministe, anticapitaliste, qui ont rarement voire jamais l’occasion de se rencontrer.

La journée a été rythmée par plusieurs tables rondes et ateliers sur différents thèmes visant à aborder l’étendue des discriminations et des violences, qui touchent les femmes, qui plus est racisées, dans tous les domaines de la vie, privée, publique et intime : les discriminations au travail, le système d’orientation scolaire, les discriminations administratives, la santé mentale, les violences obstétricales, la culture du viol, les violences intrafamiliales, entre autres.

Cette journée fut riche intellectuellement ainsi que politiquement. Assa Traoré, devenue une figure de l’immigration et des quartiers populaires, porte-parole du Comité Adama, militante contre les violences et crimes policiers, sœur d’Adama Traoré tué par les gendarmes le 19 juillet 2016, et Almamy Kanouté, cofondateur du mouvement Emergence, ont ouvert la journée. Deux militants, deux personnes engagées contre l’injustice et le racisme, qui ont parlé des violences faites aux femmes, de celles qui touchent spécifiquement les femmes racisées, de l’importance que les hommes et femmes luttent ensemble pour leurs droits. Assa Traoré a tenu à rendre hommage à sa maman, ces mamans, ces "guerrières", comme elle les appelle, ces sœurs, ces filles, invisibilisées, victimes de racisme, d’islamophobie, d’injustices qui se battent au quotidien et osent parler, relever la tête contre notamment l’image de "femme soumise" que le colonialisme leur a collé à la peau.

Ce sont ces violences et discriminations qui ont été abordées dans la première table ronde, mais aussi l’histoire des combats, des luttes des femmes contre ces violences, ces discriminations, toutes les formes d’oppression (économiques, sexistes, racistes), comme celle d’Assa Traoré et sa famille ou celle de ces femmes grévistes, ces salarié.es du nettoyage de plusieurs gares d’Ile-de-France qui se sont mis en grève contre la société H-Reinier du groupe ONET, prestataire de la SNCF.

La table ronde du matin avait pour sujet "les discriminations institutionnelles". Une table animée par Nadia Lazzouni, journaliste, fondatrice de la chaîne Speak Up Channel qui a réuni plusieurs figures militantes, universitaires, syndicalistes, travailleuses, grévistes... : Jules Falquet, Fatiha Ajbli, Paola Bachetta, Oumou Gueye, Fernande Baguou et Anasse Kazib. Les interventions sont rentrées en échos les unes avec les autres.

Jules Falquet, Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Paris-Diderot et auteure de « Pax neoliberalia . Perspectives féministes sur (la réorganisation de) la violence »,a ouvert la discussion sur la question de la profondeur des transformations du marché du travail à l’échelle internationale sous l’effet des mesures néolibérales et de leurs conséquences avec notamment l’explosion de la demande d’effectifs dans le secteur des services et l’essor du phénomène de la sous-traitance. Des métiers et des secteurs où sont employées majoritairement des femmes, très souvent racisées, dont les qualifications ne sont pas reconnues, avec des conditions de travail difficiles pour des salaires très bas. Fatiha Ajbli, Docteure en sociologie et auteure de “Les Françaises musulmanes face à l’emploi : le cas des pratiquantes "voilées" dans la métropole lilloise”, a rappelé le fondement des mécanismes de domination, les rouages de la discrimination que subissent de plein fouet les femmes racisées, les femmes identifiées comme musulmanes. Des discriminations qui entraînent notamment pour elles, une inégalité d’accès au marché du travail. Paola Bachetta, a, elle, abordé les luttes récentes de femmes aux Etats-Unis contre les violences racistes, l’impérialisme, les violences sexistes. Des analyses, des études et des remarques générales que les interventions des femmes grévistes d’Onet sont venues incarner.

La présence des ces femmes, noires, issues de l’immigration, qui travaillent depuis des dizaines d’années en France dans le secteur nettoyage, était précieuse au débat. Elles, qui sont les visages de la précarité, de ces femmes employées dans des secteurs qui hier et surtout aujourd’hui ne les considèrent pas, et sont devenues les figures d’une lutte victorieuse contre Onet, et la SNCF, avec leurs collègues femmes et hommes. Ce sont ces femmes qui sont habituellement invisibilisées, que l’on n’entend pas, qui ont commencé à parler au cours de la grève et sont venues partager leur expérience de femmes, racisées, syndicalistes, travailleuses, précaires et combattantes.

Leurs interventions ont ainsi mis en lumière l’importance des femmes dans la lutte, que cette lutte et celle à venir seront irrémédiablement féminisées et féministes. Oumou Gueye, l’une des grévistes, a raconté qu’au cours de la grève les femmes étaient les plus déterminées, qu’elles étaient là tous les jours, le jour comme la nuit, préparant la nourriture matin, midi, et soir. Fernande Bagou a rappelé comment la grève a été le lieu de la prise de conscience que face à un patron qui veut attaquer leurs droits, qui les méprise, il fallait qu’elles sortent du silence, qu’elles parlent et également qu’elle clament que leur travail a de la valeur : "c’est grâce à nous que les gares sont propres". Amy Keita a, elle, révélé un aspect important de ce que signifie être une travailleuse et une femme en grève : c’est à dire être une travailleuse, une femme mais aussi une mère, une sœur, une fille dans une société profondément patriarcale qui relègue aux femmes les tâches domestiques ou encore d’éducation et de soin des enfants, de la famille. "J’ai du enfermer mon petit dans la chambre pour venir au travail, dans quelle société vit-on pour que cela existe ?". Une phrase qui pointe les contradictions et les violences qu’infligent une société qui laisse aux femmes le devoir de s’occuper, d’élever, les enfants, les tâches domestiques, et qui les oblige, quand elles n’ont pas le choix, d’autant plus pour les femmes seules et isolées, dans des situations précaires, à devoir abandonner leurs enfants à la maison et à les enfermer à clé.

Anasse Kazib, cheminot et délégué Sud Rail, qui a rencontré les grévistes à la gare de Saint Denis et les a aidé avec le syndicat, est intervenu pour souligner à quel point cette grève est l’histoire de véritables "guerrières" et "guerriers" qui concentre la lutte contre toutes les formes d’oppressions (de genre, de race et de classe). Des "guerrières" qui ont réussi à faire plier un géant du nettoyage et qui aujourd’hui ont tout pour être des figures, des porte paroles, d’un féminisme lutte des classes, anti-raciste, féministe. Anasse Kazib a enfin tenu à rappeler qu’il est important de continuer à faire vivre cette grève. C’est ce qu’on fait Fernande, Oumou et Amy ce samedi 10 mars.

Plusieurs ateliers étaient ensuite organisés à la suite de la table ainsi qu’une seconde table ronde l’après-midi sur les violences structurelles avec Fania Noël ou encore Françoise Vergès. Finalement, une journée importante politiquement à l’image des réflexions ouvertes sur l’intersectionnalité, l’importance d’un féminisme anti-raciste, internationaliste à l’ère néolibérale, et des luttes de ces dernières années, portées par des femmes racisées qui ont affronté l’Etat et la justice, dans un pays, et un monde, raciste, sexiste et capitaliste.


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