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Du stade à la rue

Football et Révolution : Les Ultras dans la mobilisation algérienne

Depuis près de 4 mois, l'Algérie vit au rythme d'un mouvement de masse. Et dès le premier jour, les supporters de foot « ultras » ont été au cœur et aux avant-poste de la contestation.

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Le 16 février 2019, l’Algérie s’est soulevée contre le cinquième mandat annoncé de Boutlefika. Dès les premières manifestations, un chant s’élève de la foule, jusqu’à devenir l’un des hymnes de la contestation : La « Casa Del Mouradia », chant parodiant la célèbre série La casa de papel, dénonçant la corruption du système et ouvertement anti-Boutlefika. La chanson n’est pourtant pas née le 16 février dernier, mais a été composée au printemps 2018 par les supporters « ultras » de l’USM Alger : Les « Ouled el-Bahdja » (Les enfants d’Alger).

En Algérie, football, politique et contestation sont liés

L’Histoire même du football algérien est directement lié à la contestation et à la politique. Un lien qui puise ses racines dans le passé colonial du pays, des premiers clubs exclusivement « indigènes » dans les années 1920 à l’émergence du Onze de l’indépendance algérienne, construit par le FLN et qui disputera son premier match le 9 mai 1958 contre le Maroc1.

A l’époque, déjà, l’impérialisme français entendait utiliser les stades à la fois comme un instrument d’acculturation et, surtout, d’une forme d’exutoire de la colère sociale causée par la colonisation. C’est ce second aspect que les autorités en place depuis la libération ont conservé pour contenir les mouvements de contestation. Ainsi Mahfoud Amara, professeur de sciences sociales et de management du sport à l’Université du Qatar, explique à l’AFP dans des propos relayés dans un article du Point en mars dernier que « depuis les années 1970-80, le stade a toujours été un espace d’expression politique en Algérie, peut-être plus que dans les autres pays, où il pouvait y avoir plus de contrôles, de censures. C’est l’endroit où l’on peut défier l’establishment, déconstruire les tabous de la nation algérienne ».

Le mouvement ultra algérien est cependant né il y a seulement une douzaine d’années, en 2007. Devenu un véritable phénomène culturel, avec une multiplication de groupes pouvant compter plusieurs milliers de membres, le mouvement ultra est devenu une forme d’alternative pour des dizaines de milliers de jeunes algériens, trouvant ici la possibilité de s’organiser en groupe conséquent. Un développement qui était perçu d’un bon œil par les autorités, qui voyait là un exutoire pour toute une génération, générant de surcroit une série de rivalités entre les ultras de club rivaux.

La contestation algérienne actuelle a pourtant vu, dès les premières manifestations, les ultras passer des tribunes à la rue, se plaçant même à l’avant garde du mouvement. Comme un symbole, des appels aux boycotts de rencontres du championnat algérien ont fleuri et été largement suivi pour éviter toute récupération de match à guichet fermé par le pouvoir. Les groupes rivaux ont convergé dans la rue, mettant de côté leur différent pour s’opposer directement au cinquième mandat de Boutlefika, puis pour « dégager le système », comme le scande aujourd’hui des centaines de milliers de manifestants.

Similitudes avec les mouvements égyptiens et tunisiens de 2011

Ce phénomène n’est pourtant pas inédit, et fait même écho à des événements récents. Lors des Révolutions arabes de 2011, les ultras égyptiens et tunisiens avaient eux aussi déserté les tribunes pour rejoindre la rue. L’objectif était alors clair : faire bénéficier à l’ensemble des manifestants « l’expérience » des ultras en matière d’affrontements avec les forces de répression. Les supporters étaient ainsi des forces vives sur les barricades, tout autant pour les dresser que pour les tenir.

La situation est similaire aujourd’hui en Algérie. La raison est simple : c’est bien la jeunesse populaire dans toute sa diversité qui est présente dans les tribunes, soufrant des mêmes maux, concentrant et exprimant sous une forme déviée la colère sociale qui couvait dans toute la jeunesse et, plus largement, dans toute la société algérienne. Dans un article du Monde, un supporter explique : « Les chants nous donnent vraiment de la force. Dans le stade, les messages politiques sont ceux qui font le plus monter la colère et l’excitation en nous, tout comme chez les policiers, en face, qui remontent leurs protège-tibias et serrent leurs matraques. »

D’une certaine manière, le rôle des ultras dans la mobilisation en cours en Algérie témoigne de la profondeur de la crise sociale qui s’exprime. Dans la jeunesse, bien sûr, mais aussi dans l’ensemble de la société, tant le football est intrinsèquement lié à la contestation et à la politique. Et c’est sans compter, également, sur la capacité « d’internationalisation » du mouvement ultra, notamment dans le Maghreb-Machrek. Une chose est sûre : il s’agit là d’une composante essentielle du mouvement social en cours en Algérie.

1Voir, à ce sujet, « Le Onze de l’indépendance algérienne. Une lutte de libération en crampons » dans le chapitre III d’Une Histoire populaire du Football, Mickaël Correia, Edition La Découverte, Paris, 2018


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