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Le plafond de verre de la propagande anti-terroriste ?

Fusillade de Las Vegas : une revendication de Daesh démentie par le FBI

Selon un dernier bilan qui pourrait encore s’alourdir, la fusillade de Las Vegas aurait fait 58 morts et 515 blessés, devenant la plus meurtrière de l’histoire contemporaine des Etats-Unis. Daesh ou pas ? Cette question devenue récurrente ces dernières années pour les médias dominants dans le cas de tuerie de masse s’avère (encore) plus compliquée que d’habitude.

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La tuerie de masse qui a eu lieu ce lundi matin a été l’occasion d’une situation inédite : revendiqué par Daesh, le lien avec l’organisation salafiste a été démenti rapidement par le FBI. Cet imbroglio permet de faire la lumière sur les revendications des attentats par Daesh ces dernières années, et leur récupération par la classe politique et médiatique.

Daesh ou déséquilibré ? Retour sur un faux débat

À chaque tuerie, c’est la même rengaine. En particulier si l’assaillant était un musulman, ou identifié comme tel : c’est-à-dire « jeune », « arabe » ou « noir », vivant dans les quartiers populaires. A ce titre, la différence de couverture médiatique entre les deux attentats de Marseille et Las Vegas est éloquente. Dans les deux cas, l’attentat est revendiqué par Daesh ; dans les deux cas, les médias n’ont aucun élément pour avancer sur un quelconque lien avec l’organisation terroriste. Pourtant, les médias semblent convaincus que le jeune homme d’origine tunisienne qui a sévi à Marseille, connu de la police pour des faits de délinquance, est bien un soldat de Daesh. Dans le même temps, il leur semble difficile de croire que Stephen Paddock, 64 ans, vivant d’une rente immobilière, a agi sur ordre de l’organisation salafiste.

Or, le lien établi entre « musulman », même supposé, voire « étranger » et « terroriste » est surtout l’œuvre d’une construction rhétorique particulièrement pernicieuse. Dans la pratique, de nombreux « soldats de Daesh » sont des convertis, parfois depuis peu. Surtout, la question des « motifs », entre religieux, politiques et psychologiques, sont souvent bien plus croisés et complexes que le laisse entendre la version simpliste des médias dominants. On peut très bien être à la fois un candidat à un attentat suicide et un « déséquilibré ». La logique inviterait même à penser que le premier doit supposer le second. Par ailleurs, l’organisation salafiste a développé une influence et une propagande qui influence bien au-delà de ceux qui partagent son projet politique, aussi précis soit-il. Ainsi, les formes d’affiliation à Daesh sont multiples et variées : entre celui qui a pu fréquenter un site djihadiste, parler avec un recruteur de l’organisation ou encore séjourner plusieurs mois en Syrie.

Ce faux débat, agité dans les médias dominants, sert surtout à masquer les discussions complexes – et beaucoup plus difficiles à assumer pour l’impérialisme occidental – des implicites des revendications de Daesh et de leur traitement médiatique et politique.

La montée des revendications opportunistes

Toute cette journée se succédait encore sur les plateaux télés des « experts » pour expliquer avec beaucoup d’aplomb que Daesh ne revendiquait pas un attentat s’il n’en était pas à l’origine. Jusqu’à ce que l’organisation revendique la fusillade de Las Vegas, bien évidemment. Or, cette assertion est plutôt fausse. Depuis plus d’un an, les revendications floues voire carrément fausses, de la part de Daesh, se sont multipliées.

Dans cette montée des revendications opportunistes, un attentat fait date : celui de Nice survenu le 14 juillet 2016. C’était alors la première action revendiquée par les djihadistes sans qu’ils apportent la moindre preuve pouvant corroborer leurs dires. Depuis, des revendications se sont succédées sans que ne puisse être apportée la moindre preuve, voire des éléments contradictoires avec la revendication. Le 20 avril 2017, Aamaq revendique un auteur belge, il s’agit pourtant d’un Français qui a tué des policiers sur les Champs Elysées. Pour les autres attentats survenus depuis, en France et au Royaume Uni, aucune preuve d’association n’a été trouvée par la police. En juin dernier, aux Philippines, la revendication par Daesh de l’attaque d’un casino par un parieur endetté semble peu crédible. Et rebelote avec le tueur de Las Vegas dont la revendication semble laisser sceptique les autorités américaines.

Cette montée des revendications opportunistes va de pair avec l’affaiblissement sur le terrain de l’organisation djihadiste. Après la perte de Mossoul, et la déroute qui s’annonce à Rakka, l’organisation ultra réactionnaire a perdu de son prestige. Elle ne bénéficie plus autant de l’aura de terreur qu’elle avait soigneusement instaurée par le biais de ses actions de grande ampleur sur le sol occidental et de sa propagande déversée sur Internet. Les revendications tous azimuts cherchent à maintenir cette illusion d’une organisation qui peut frapper n’importe où, à n’importe quel moment. Dans cette nouvelle tactique, Daesh peut s’appuyer sur la rhétorique anti-terroriste qui s’est largement développée ces dernières années.

Le plafond de verre de la propagande anti-terroriste ?

En effet, depuis quelques années, la communication de l’organisation djihadiste a été facilitée par le traitement politique et médiatique des « attentats ». En quête d’audimat, les rédactions des journaux semblent prêtes à dégainer une couverture spéciale pour n’importe quel fait divers prenant l’apparence d’une attaque de Daesh, à l’aide des ficelles islamophobes et xénophobes les plus grossières. Du côté politique, chaque soupçon d’acte terroriste donne lieu à sa surenchère sur les réseaux sociaux, chacun y allant de son « tweet » toujours plus réactionnaire. Pour le pouvoir en place enfin, elles servent à légitimer et amplifier le tour de vis sécuritaire en cours depuis plusieurs années, à l’image de l’état d’urgence permanent instauré en France.

Sauf que cette propagande anti-terroriste, utilisée à tout-va ces dernières années, pourrait bien avoir rencontré une forme de plafond de verre. Alimenté par le recul de Daesh sur le terrain, l’argument devient moins crédible. Aux Etats Unis, par exemple, l’extension du « Muslim Ban » aux citoyens nords-coréens et vénézuéliens montrent, pour ceux qui en doutaient encore, que cette mesure est davantage l’expression de la géopolitique agressive (et raciste) de Donald Trump que d’une mesure « anti-terroriste ». En France, l’argument de la « lutte contre le terrorisme » a largement été utilisé pour justifier les attaques contre le mouvement social, pour interdire les manifestations et emprisonner les militants. Pire, trop utilisé, l’argument du « terrorisme » même devenir contre-productif : la preuve de l’incapacité des gouvernements à « protéger » (sic) les populations.

Ce 2 octobre 2017, et le démenti inédit des autorités américaines de la revendication de Daesh, pourrait donc venir consacrer un certain changement dans un argumentaire devenu un classique. Et si, pour justifier la guerre et les politiques xénophobes, les politiques sécuritaires et l’islamophobie, les gouvernements occidentaux devaient désormais trouver de nouveaux arguments ?


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