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« Génération radicale », le rapport qui voulait encadrer la jeunesse

Camilla Ernst

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En 4 mois et 68 pages, Malek Boutih, député PS de l’Essone, a réussi le pari, dans son rapport intitulé « Génération radicale », de la justification d’une nouvelle offensive bonapartiste contre la jeunesse, qu’il faudrait unir derrière le drapeau de la République. Maillage d’islamophobie et d’infantilisation, son rapport se targue de l’objectif de « l’analyse et de la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier », basé sur la publication de statistiques qui portent à 65% la proportion d’individus de moins de 25 ans au sein de la filière djihadiste. Rendu au Premier ministre le 2 juillet, et publié dans les médias, ce rapport a reçu l’approbation de Manuel Valls, ainsi que de nombreuses figures politiques de droite, quant aux personnalités de gauche, aucune ne s’est encore exprimée à son sujet.

Sexe, drogue et rock’n roll

Les 20 premières pages produites par l’ancien directeur de SOS-Racisme sont dédiées à la description et l’analyse d’une jeunesse « frustrée, prête à basculer ». M.Boutih nous fait une démonstration de tout son mépris pour ces jeunes, en nous dressant le portrait d’une « génération au bord de la rupture », qui, face à l’absence de perspectives futures, s’abandonne à l’alcool, aux substances psycho-actives, aux relations sexuelles non-protégées, à la conduite routière dangereuse... porteuse d’une souffrance psychique certaine et d’une volonté de réussite rapide et clinquante, en opposition totale à la « bien-pensance adulte » qui l’appelle à la modération. Une jeunesse ayant grandi dans un monde anxiogène post-11 septembre et au cœur du conflit israélo-palestinien et de la crise économique, dans une société aux valeurs et à l’ordre social trop peu contraignants, dans laquelle la notion de République serait diluée dans le libéralisme et la modernité. Un cadre trop peu autoritaire donc, pour le député qui déjà au lendemain des attentats du 8 janvier affirmait sa volonté de mise sous tutelle de certains quartiers, et préfère porter la responsabilité de manière globale au monde en crise, plutôt que de s’interroger sur la politique austéritaire et répressive de l’État, le chômage, la misère, le racisme et la ségrégation spatiale dont est victime toute une partie de la population.

Et sa réflexion le porte tout naturellement, et par un tour de force magistral, à conclure que cette absence de cadre suffisamment englobant et sécurisant ne favorise pas le sentiment d’appartenance à une communauté nationale, expliquant le succès des recruteurs djihadistes reposant « sur l’adhésion à un projet politique entrant en résonance avec leurs préoccupations internationales et leur rejet de la société démocratique occidentale, plus qu’à une doctrine religieuse fondamentaliste ». Une explication politique donc d’après M.Boutih, qui n’hésite pourtant pas à déplorer la faiblesse intellectuelle et le défaut de jugement de la jeunesse face à la complexité géopolitique.

Une seule solution, l’unité républicaine ?

Quand on en vient au chapitre des solutions proposées par Monsieur SOS-Racisme, un mot revient sans cesse jusqu’à écœurement du lecteur : « République ». De l’école à internet, en passant par la vie de famille, la culture, les associations, la gestion du territoire, la lutte antiracisme... tout doit être républicain, y compris même l’immigration !

Non-content du rétablissement du service civique depuis début juin , c’est au tour de l’école de devenir le nouveau dispositif central d’encadrement de la jeunesse, dans le but « de lever une génération d’éclaireurs républicains » et de perpétuer « la culture d’unité de notre pays ». Une diffusion plus large de l’idéologie dominante, via un programme renforcé d’instruction civique, et une surveillance plus longue des élèves, par la multiplication des projets extra-scolaires s’ajoutant aux heures de cours traditionnelles, voilà ce que l’ont peut notamment trouver parmi les suggestions du député, s’inscrivant dans la droite ligne du tournant bonapartiste déjà bien engagé par le gouvernement.

Autre proposition-phare : réguler la « loi du Far West » sur internet en créant un Commissariat à la souveraineté numérique, alliant pouvoirs publics et privés afin de doter la France et l’Europe d’une infrastructure numérique. Ceci afin d’assurer souveraineté et permanence de l’esprit républicain, y compris sur internet, à l’heure où les nouvelles technologies échappent encore partiellement au contrôle de l’Etat. Timing parfait quand la liberticide loi sur le renseignement a finalement été adoptée au parlement le mois dernier.

Enfin, dans le but affirmé de rétablir un état régalien, M.Boutih propose de créer les Groupements d’action républicaine (GAR) sous contrôle exclusif de l’État, mais recevant des soutiens du secteurs privés. Ces GAR auront tout le loisir d’intervenir sur l’ensemble des dimensions de la vie d’un territoire, notamment l’école, la police et le logement. Ceci afin de « rétablir l’autorité républicaine », notamment par « le rétablissement de la sécurité et le contrôle de la violence ». Un dispositif de plus pour justifier du contexte répressif actuel et des violences policières.

Quand des interlocuteurs embarrassant s’en mêlent...

Parmi la liste des personnes auditionnées pour la rédaction du rapport, figurent des noms inattendus... et bien embarrassant ! Outre les préfets, ministres et autres représentants de l’unité des luttes anti-terroristes, on retrouve Frigide Barjot, porte-parole de la Manif pour Tous, Gaëtan Dussaussaye, directeur du Front National de la jeunesse, et Jean-Paul Ney, pseudo-journaliste à la langue fourchue.

On s’étonne déjà de la présence de Frigide Barjot, peu fréquentable de par ses positions anti-mariage pour tou-te-s, et qui n’est pas reconnue spécialiste des questions de radicalisation de la jeunesse. Pour ce qui est de celle de J-P. Ney, on peut carrément crier au scandale quand on sait les polémiques soulevées depuis plusieurs mois par l’écrivain raciste, bien connu des réseaux sociaux pour ses insultes et menaces envers la communauté musulmane.

Pas de hasard en revanche, si M.Boutih cite Pierre Bellanger, directeur de Skyrock, une radio qui incarne à merveille les formes soft de l’encadrement de la jeunesse, pour appuyer sa proposition d’encadrement répressif d’internet, quand on sait qu’il s’agit tout simplement de son patron, en tant que directeur des relations institutionnelles pour Skyrock.

Ne cédons pas à l’illusion de l’unité nationale

A travers des pages de stigmatisation de la religion et de la culture musulmane, entretenant le climat d’islamophobie d’état propre au gouvernement, M.Boutih cherche de nouveau à entretenir l’illusion de l’importance de l’union nationale derrière les valeurs républicaines, pour l’unité de la culture française, prônant le repli sur soi comme arme pour la souveraineté nationale. Il justifie ainsi l’extension des outils de contrôle de la jeunesse, s’abritant derrière la diabolisation de l’Islam, mais ayant dans son viseur une cible bien plus large, celle de la jeunesse qui voudrait s’opposer à la politique liberticide et répressive de l’Etat.

C’est en ce sens que la meilleure réponse à ces tentatives d’encadrement et de musèlement de la jeunesse, c’est que celle-ci se mobilise, comme elle l’a fait derrière Katchik et Léonarda, ou encore au moment du meurtre de Rémi Fraisse, pour son droit à l’émancipation, à sa liberté de se forger son propre esprit critique dans un monde où l’idéologie dominante est largement véhiculée par l’école et les médias, face à un gouvernement qui ne cesse de multiplier les offensives et outils cherchant à la faire rentrer dans le rang.

7/7/15


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