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L'horreur du racisme structurel sur grand écran

Get Out, film d’horreur sociale

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Get Out est un film d’angoisse, un thriller où la trame classique d’un personnage cerné par une menace grandissante dont il doit s’échapper est sous-tendue par la thématique du racisme. En effet, le personnage principal est noir, et cela n’est pas un hasard, ni une volonté d’équilibrer un quelconque quota. Cet élément, qui nous paraît inhabituel par manque d’habitude représentative, est la clé de voûte du développement de l’horreur qui hante le film, l’horreur d’un racisme structurel qui hante notre société moderne occidentale, mis à découvert par l’angoisse et le sang. Nous avons écrit cette review avec beaucoup de subjectivité, le film étant volontairement ouvert à de multiples interprétations, prenant comme angle d’attaque la thématique du racisme développé par le film selon nous.

Cet article qui revient sur plusieurs aspects du film sera donc rempli de spoilers et nous déconseillons sa lecture avant visionnage du film.

Quel ennemi, quelle violence ? La redéfinition d’un monde blanc menaçant

Le film remplit parfaitement son rôle de film d’angoisse dont l’intrigue est peu à peu révélée au spectateur, entre quelques jump scare et autres effusions de sang, enveloppé d’une esthétique glacée recherchée, le tout justifiant le succès du film au box-office. Mais, ce nouveau souffle d’un genre qui se cherchait un peu ces dernières années prend ses racines dans un sous-texte peu évoqué mais suggéré à chaque instant : celui qui décrit la menace d’une société moderne blanche irriguée par le racisme structurel, transformée en ennemi diabolique dans l’histoire de Chris, jeune afro-américain, lorsqu’il rencontre pour la première fois la famille blanche de sa petite amie Rose.

Car ceux qui se révèleront les futurs tortionnaires de Chris apparaissent tout d’abord comme une famille d’une normalité déconcertante au premier abord. Mais le spectateur, parfaitement conscient de la nature du film qu’il s’apprête à voir, ne peux s’empêcher de questionner cet univers qui devient rapidement menaçant une fois remis en question. Univers qui se construit sur l’imaginaire blanc colonialiste aisé d’une Amérique moderne - le film se voulant résolument actuel en introduisant comme élément ironique, le vote Obama (nous y reviendrons plus tard).

Cet univers dans lequel se meuvent les antagonistes du film est mis en place par la caméra qui s’attarde longuement sur la villa pavillonnaire des parents de Rose, caractéristique de la bourgeoisie américaine. Il est mis en place par tout un imaginaire colonialiste suggéré d’emblée par le rapport malsain du père de Rose à la chasse, par ses trophées de chasse jusque dans sa posture de patriarche contre le bord de la cheminée familiale, aux côté de ses armes et de ses photos en noir et blanc. C’est l’univers de la fête de famille glaciale et bourgeoise, aux activités mondaines mises au profit de l’horreur dans le scénario du film, comme pour la scène de bingo détournée en vente aux enchères du corps de Chris. C’est tous les dialogues très finement écrits, les vêtements et les attitudes qui révèlent une supériorité jusque dans le langage et dans l’apparence stéréotypés de la classe bourgeoise blanche.

Il y aurait des milliers d’autres détails à pointer du doigt, qui définissent en filigrane l’identité de la menace qui plane sur Chris, et qui n’est évidente et terrifiante à nos yeux de spectateurs que parce que nous ne la connaissons que trop bien. Le réalisateur, avec brio, joue sur des codes que nous avons intégrés naturellement, pour mettre en évidence une contradiction terrible de notre société moderne occidentale : le racisme insidieux qui la structure malgré son auto-proclamation progressiste. Car, même si le père « aurait voté une troisième fois Obama », qu’il insulte Hitler et les nazis au détour de la conversation, il n’en reste pas moins l’un des principaux acteurs du plan machiavélique de la famille Armitage pour exploiter au mieux le corps des noir-es pour lesquels ils développent une fascination malsaine - caractéristique d’une certaine forme de racisme fétichisant.

C’est donc un tour de force incroyable de Get Out de pouvoir définir le « monde blancet bourgeois » dominant dans lequel nous évoluons comme une menace, mettant à jour ses caractéristiques les plus terrifiantes que nous avons tous intégrées et que nous reconnaissons par l’horreur, et mettant en valeur toute son omniprésence dans notre société qui, pourtant, se suppose avoir dépassé cette horreur.

Quelle victime ? L’identité « possédée » d’une personne racisée

Et que peut Chris au milieu de cet univers qui s’apprête à le détruire physiquement et mentalement ? Il peut à peine admettre à Georgina qu’il « devient nerveux lorsqu’il est entouré de Blancs » avec un petit rire gêné - que Georgina transformera en rire au larmes terrifiant, soulignant, lorsqu’on sait que Georgina est alors possédée, toute l’horreur schyzophrénique pour une personne racisée de retrouver son identité dans ce monde blanc ; alors que ses oppresseurs (qui seront par la suite ses agresseurs) peuvent se gargariser de voter Obama, de ne pas être racistes, et, du haut de leurs privilèges, de, non seulement accueillir avec cordialité (finalement glaçante dans le film) les personnes racisé-es, mais aussi de se réjouir de « pouvoir goûter à toutes les cultures du monde » ; le paroxysme de cette complaisance étant exprimée par le personnage de l’aveugle qui, sur le point de posséder le corps de Chris, condamnant ce dernier à l’aliénation mentale du « gouffre de l’oubli », est fier de lui proclamer qu’il « ne voit pas les couleurs », phrase que l’on n’entendra jamais dans la bouche d’une personne victime de racisme, et que Chris, à ce moment, doit entendre avec une ironie amère.

L’horreur dont il est victime est donc d’abord fondamentalement mentale, et c’est un choix qui n’est pas anodin. Il est d’abord dépossédé de son esprit, pour le déposséder par la suite de son corps. Le propos du film, à nouveau, se veut dialoguer avec une horreur profonde, sur des ressentis profonds d’une personne victime de racisme. Le « gouffre de l’oubli » (« the sunken place) dans lequel la mère de Rose plonge Chris représente cette dépossession terrifiante et traumatisante de son corps, de son esprit, de son identité, que peut ressentir une personne racisée (c’est à dire victime de racisme structurel) lorsqu’elle doit évoluer dans un monde hostile qui l’opprime.

Cette thématique de la perte de son corps et de son identité est portée à son paroxysme lorsque le plan de la famille Armitage est révélé au spectateur : celui de littéralement utiliser le corps des noir-es en leur ôtant tout contrôle sur leur corps et en s’appropriant ce qu’ils souhaitent, que cela soit jeunesse, force physique... La thématique de l’horreur de la « possession », d’être « possédé », prend tout à coup un autre sens lorsqu’il raconte, dans Get Out, cette réalité terrifiante pour les personnes racisé-es d’être « possédées » par une culture dominante, traversé-es par les stéréotypes et les violences de cette culture jusque dans leurs propres esprits, envahis par la puissance d’une hégémonie culturelle écrasante qui trouve ses racines dans les moindres détails de la vie quotidienne et qui modèlent l’identité même des personnes racisé-es dans une société post-coloniale.

Cette thématique de l’utilisation du corps des noir-es rappelle aussi certaines heures terrifiantes du colonialisme où les corps des noir-es ont été utilisés comme cobaye pour des expérimentations de la médecine occidentale. Le détail de la grand-mère de Rose possédant le corps de Georgina, obsédée par sa coiffure, par le lissage de ses cheveux, rappelant, dans une moindre mesure, les nombreuses polémiques suscitées par le lissage des cheveux afro-américains comme signes d’intégration forcée ou de dépossession culturelle. Le film puise donc ses sources dans une réalité historique du racisme qui perdure aujourd’hui dans nos rapports sociaux quotidiens, y compris dans nos pensées.

Cette horreur « intime » est mise en valeur lorsque Chris se retrouve ultimement à affronter une Rose mourante et qu’il peine à l’achever. La trahison de sa petite amie dont il semble sincèrement amoureux raconte jusqu’au bout les conséquences affreuses du racisme structurel jusque dans nos rapports les plus intimes.

Toute la puissance du propos du film nous semble éclater lors de cette dernière scène, lorsque les sirènes de police retentissent derrière Chris qui s’apprête à achever Rose et que le spectateur, instinctivement, découvre le racisme structurel jusque dans ses réflexes de pensée, alors qu’il imagine Chris arrêté pour le massacre de la famille Armitage, et peut-être même rendu coupable, alors même que nous l’avons vu victime de l’horreur de cette famille dégénérée. Car nous sommes conscients des crimes policiers racistes qui caractérisent l’histoire de notre société moderne, et nous ne pouvons déduire d’une telle scène qu’une réalité sociale réellement « horrifiante » : C’est le noir qui se fera arrêter par les forces de l’ordre (social) - s’il ne se fait pas fusiller sur place.

Alors que se multiplient les comédies françaises racistes, d’un Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu jusqu’à un À Bras Ouverts, Get Out tranche dans le vif du sujet avec une forme qui séduira largement tout en étant porteur de beaucoup d’interprétations profondes des aspects horrifiques du racisme qui nous hante tous.


    
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