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"Qu’il y ait des initiatives populaires spontanées qui rompent le mur de la peur représente en soi une importante poussée en faveur du changement"

Giulio Regeni, jeune chercheur militant, assassiné en Egypte. Son dernier article

Nous reproduisons ici le dernier article de Giulio Regeni, ainsi que l'introduction des animateurs du site. Ce jeune chercheur de 28 ans, assassiné en Egypte alors qu'il enquêtait, totalement à contre courant, sur la réorganisation de la classe ouvrière. était plus qu'un simple chercheur. C'était un chercheur militant, du bon côté de la barricade, comme l'ont prouvé notamment les syndicalistes qui ont manifesté en signe de protestation, malgré la répression d'Al Sissi, devant l'ambassade d'Italie. Et les gouvernements, Renzi, Valls, et consorts, de rester muets, hypocrites et complices, face à un crime détestable de l'un de leurs régimes alliés.

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Giulio Regeni avait 28 ans. De nationalité italienne, il préparait un PHD (doctorat) à l’Université de Cambridge. Il résidait en Egypte pour réaliser son terrain d’enquête sur la question du syndicalisme et les mouvements ouvriers égyptiens, rencontrant de nombreux activistes.

Il collaborait par ailleurs au journal de la gauche italienne « Manifesto », connu pour ses positions critiques à l’égard de la dictature du maréchal Sissi.
"Après plusieurs jours de disparition, le corps de Giulio a été retrouvé portant de nombreuses traces de sévices et de tortures. En l’état actuel, rien ne filtre sur l’enquête officielle conduite par la police égyptienne, dont on ne doute qu’elle va s’acharner à effacer les preuves de l’implication des milieux sécuritaires."

La dernière phrase de cet extrait d’un communiqué de Vincent Geisser est malheureusement prophétique. Selon le Huffington Post italien, le régime du maréchal Sissi cherche à accréditer la thèse selon laquelle Giulio aurait été victimes d’obscurs comploteurs cherchant à discréditer le pouvoir égyptien !

En réalité, Giulio s’est retrouvé noyé dans une sorte de fleuve souterrain, celui des disparus de la dictature égyptienne. Etudiants, blogueurs, militants ouvriers ou des droits humains, médecins, journalistes indépendants, sympathisants des Frères Musulmans ou simples citoyens, disparus en allant au travail, devant chez eux ou enlevés à la maison ou pendant qu’ils se promenaient entre amis. Selon l’Egyptian Commission for Fights and Freedom, les quatre premiers mois de l’année 2015 ont vu disparaître 1250 égyptiens, et il y a eu 1700 disparus en onze mois. S’il y a eu quelques cas de libérations, il arrive aussi, comme le montre le cas de Giulio, qu’on ne ré-émerge pas vivant de ce fleuve-là. Rien qu’en 2015, on a retrouvé 16 cadavres dans le même état que Giulio : tabassés, torturés.

Un sit-in de protestation s’est courageusement tenu au Caire devant l’ambassade italienne, réunissant syndicalistes et mères de disparus. Il y a eu des bougies et des petits mots comme on en a tant vus en France, l’année dernière. Comment se fait-il que les télévisions françaises, cette fois, ne nous les ait pas montrés ?

En Egypte, la deuxième vie des syndicats indépendants (Il Manifesto, 7 février 2016)

Al-Sissi a obtenu le contrôle du parlement avec le nombre le plus élevé de policiers et de militaires de l’histoire du pays tandis que l’Egypte est en queue de tous les classements mondiaux pour le respect de la liberté de la presse. Et pourtant les syndicats indépendants ne démordent pas. Une rencontre vibrante vient à peine de se dérouler au Centre de services pour les travailleurs et les syndicats (Ctuws), entre référents du syndicalisme indépendant égyptien.

Alors qu’elle possède une centaine de places assises, la salle la plus grande du Centre, le soir de la rencontre, ne parvenait pas à contenir le nombre d’activistes syndicaux des deux sexes venus de toute l’Egypte pour une assemblée qui a quelque chose d’extraordinaire dans le contexte actuel du pays. L’occasion en est une circulaire du conseil des ministres qui recommande une étroite collaboration entre le gouvernement et le syndicat officiel Etuf (unique formation admise depuis 2008), avec pour objectif explicite de s’opposer au rôle des syndicats indépendants et de les marginaliser chez les travailleurs.

A la fin, il y doit y avoir une cinquantaine d’organisations qui ont signé la déclaration de clôture, représentantes des différents secteurs économiques et des différentes régions du pays : des transports à l’école, de l’agriculture à l’ample secteur informel, du Sinaï à la Haute Egypte, en passant par le Delta, Alexandrie et le Caire.

La circulaire du gouvernement représente la dernière attaque en date contre les droits des travailleurs et les libertés syndicales, fortement réduites après le coup d’Etat militaire du 3 juillet 2013, et a ainsi servi de catalyseur au mécontentement très répandu parmi les travailleurs, mais qui peinait jusqu’à aujourd’hui à prendre la forme d’une initiative concrète.

Mouvement en crise

Après la révolution de 2011, l’Egypte a vécu une surprenante expansion de l’espace des libertés politiques. On a assisté à la naissance d’une centaine de nouveaux syndicats, un véritable mouvement dont le Ctuws a été l’un des acteurs, à travers ses activités de soutien et de formation.

Cependant, ces deux dernières années, la répression et la cooptation par le régime ont sérieusement affaibli ces initiatives, au point que les deux principales fédérations (la Edlc et Efitu) ne réunissent plus d’assemblée générale depuis 2013.

De fait, chaque syndicat agit désormais pour son propre compte au niveau local ou de secteur. Mais l’exigence de s’unir et de coordonner les efforts s’est fait fortement sentir, ce dont témoigne la grande participation à l’assemblée, en plus de tant d’interventions qui ont pointé du doigt la fragmentation du mouvement, et invoqué la nécessité de travailler ensemble, au-delà des courants d’appartenance.

Des dizaines d’interventions se sont succédées, concises, souvent passionnées, et dans un esprit très opérationnel : il s’agissait de proposer et de décider ensemble « que faire à partir de demain matin », un appel répété comme un mantra durant la rencontre, étant donné l’urgence et la nécessité de dessiner un plan d’action à bref et à moyen terme.

A noter la présence d’une forte minorité de femmes, dont les interventions ont été en certains cas parmi les plus appréciées et applaudies par une assemblée en majorité masculine. La grande assemblée s’est ensuite conclue par la décision de former un comité le plus possible représentatif, qui se chargera de jeter les bases d’une campagne nationale sur les thèmes du travail et des libertés syndicales.

Conférences régionales

L’idée est d’organiser une série de conférences régionales qui aboutissent dans quelques mois à une grande assemblée nationale et probablement à une manifestation de protestation unitaire (« à Tahrir ! » disaient même certains présents, invoquant la place qui a été le théâtre de la saison révolutionnaire de la période 2011-2013, et qui depuis plus de deux ans est interdite à toute forme de protestation).

L’agenda semble décidément vaste, et comprend parmi ses objectifs fondamentaux celui de s’opposer à la loi 18 de 2015, qui a récemment pris pour cible les travailleurs du secteur public et a été durement contestée ces derniers mois.

Entre temps, justement ces jours-ci, dans diverses régions du pays, d’Assiout à Suez et au Delta, des travailleurs des sociétés du secteur du textile, du ciment, de la construction, se sont mis en grève illimitée : leurs revendications concernent la plupart du temps l’extension des droits salariaux et des indemnités réservées aux sociétés publiques.

Nouvelle vague de grèves

Il s’agit des avantages dont ces travailleurs ont cessé de jouir à la suite d’une onde massive de privatisations durant la dernière période de l’ère Moubarak. Beaucoup de ces privatisations après la révolution de 2011 ont été portées devant la justice, qui en a souvent décrété la nullité, révélant divers cas d’irrégularités et de corruption.

Ces grèves sont pour l’essentiel sans liens entre elles, et en grande partie sans liens avec le monde du syndicalisme indépendant qui s’est réuni au Caire. Mais elles représentent en tout cas une réalité très significative, pour au moins deux motifs. D’un côté, quoique de manière nullement explicite, elles contestent le cœur de la transformation néo-libérale du pays, qui a subi une profonde accélération à partir de 2004, et que les révoltes populaires qui ont explosé en janvier 2011 sur le slogan « Pain, Liberté, Justice sociale », n’ont pas réussi à entamer substantiellement. L’autre aspect est que dans un contexte autoritaire et répressif comme celui de l’Egypte de l’ex-général al-Sissi, le simple fait qu’il y ait des initiatives populaires spontanées qui rompent le mur de la peur représente en soi une importante poussée en faveur du changement.

Défier l’état d’urgence et les appels à la stabilité et à la paix sociale justifiés par la « guerre au terrorisme », signifie aujourd’hui, quoi qu’indirectement, remettre en cause dans son fondement la rhétorique sur laquelle le régime justifie son existence même et la répression de la société civile.

Lire le texte en italien sur le site de Il Manifesto


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