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Grève à I-Télé : la bataille pour « l’indépendance » au sein de la « médiacratie »

Pour le 23ème jour d’affilé, la grève des journalistes d’I-Télé à été reconduite ce mardi 8 novembre à 80%. Voilà près de trois semaines que les salariés de cette grande chaîne d’information en continue, appartenant au groupe Canal +, revendiquent des moyens, l’arrêt des méthodes de management de la chaîne, le départ de Jean-Marc Morandini en procédure judiciaire pour corruption sur mineur et une rédaction indépendante. Dans la paysage de la médiacratie, à laquelle appartient la chaîne d’information I-Télé cette grève a vraiment de quoi surprendre.

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Nouveau rebondissement dans la grève à I-Télé. A presque trois semaines de grève d’une centaine de journalistes, la direction de la chaîne a décidé de lever les plafonds des indemnités de départs pour pousser les journalistes mécontents à choisir entre accepter les nouvelles conditions imposées depuis le printemps dernier ou partir, c’est un peu l’alternative que propose la direction de la chaîne, en la personne de Serge Nedjar, proche de Vincent Bolloré.

Question d’indépendance

 
Serge Nedjar, nommé directeur de la chaîne depuis mai dernier, a dès le départ donné la couleur. Ce proche de Vincent Bolloré, ancien publicitaire du groupe Canal+ et dirigeant de Direct, à peine arrivé, déclare vouloir réduire drastiquement les 2 millions d’euros de pertes qu’enregistre la chaîne par mois. L’annonce du non-renouvellement des CDD et CDU, mettant à la porte une cinquantaine de personnes, combiné à l’objectif de dépasser le concurrent BFM-TV dans l’audience aura pour effet de déclencher la première grève à I-Télé au mois de juin 2016. La direction recule au bout de quelques jours, lâchant une promesse pour la grille des programmes à la rentrée et des mesures d’accompagnement pour les personnels licenciés ; les salariés décident de suspendre la grève. Mais ce n’est que partie remise.

Le conflit repart de plus belle à la rentrée en octobre. L’arrivée de Jean-Marc Morandini, inculpé dans des faits de corruption sur mineurs, soutenu par la chaîne qui souhaite l’imposer, est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Mais derrière cette revendication, c’est bien celle de l’indépendance de la chaîne qui se joue : la nomination du proche de Bolloré, Serge Nedjar aux commandes n’y est pas pour rien. Aux dires de ces anciens collaborateurs, dont les témoignages ont été relayé par StreetPress, «  il gère son journal comme une brochure de supermarché  », faisant référence aux incursions récurrentes de cet ancien directeur de Direct Matin dans les conférences de presse pour appuyer la promotion des produits Bolloré dans le journal à l’instar des Auto-Lib’, gros contrats que le groupe a passé avec la mairie de Paris.

Aujourd’hui, alors que le conflit s’enlise et que les salariés font face à une direction qui ne souhaite revenir sur rien, l’État a décidé d’intervenir. Lundi 7 novembre, les représentants des journalistes avaient rendez vous au ministère du travail avec Myriam El-Khomri qui s’est engagé dans une médiation.

Pourtant, ce conflit installé au sein une chaîne d’information qui, depuis longtemps, donne le ton de l’actualité nationale en écho aux intérêts de ceux qui la dirigent, n’est pas exempt de contradiction.

I-Télé, un média chien de garde

 
Au même titre que BFM-TV et des autres médias dominants, I-Télé n’a, par exemple, pas fait dans la dentelle lorsqu’il s’agissait de dénoncer les grévistes et les manifestants lors de la récente mobilisation contre la loi travail : « casseurs », « bloqueurs », « prises d’otage » en mettant immanquablement l’accent sur la colère des usagers lors des pénuries d’essence et reléguant toujours au second plan les revendications et les analyses de la loi travail.

On serait curieux de savoir comment ces derniers perçoivent aujourd’hui la couverture de leur propre mouvement, et le dernier article de l’Express dans lequel Nicolas Sarkozy fait une défense en règle de son ami (et prêteur de yacht à ses heures) Vincent Bolloré, contre les salariés de la chaîne.

Lors de la loi travail en particulier, mais également plus généralement, la chaîne, qui appartient au travers du groupe Canal+ à la multinationale Vivendi, dont l’actionnaire majoritaire n’est autre que Vincent Bolloré n’échappe pas aux règles qui régissent l’univers des médias dominants.

Comme la plupart des groupe de presses détenus par des grands industriels tels que Bernard Arnault, Serge Dassault, Patrick Drahi, Arnault Lagardère, Martin Bouygues, la chaîne de Vincent Bolloré compte parmi les « chiens de garde » selon l’expression que Pierre Nizan utilisait pour dénoncer le rôle des médias dans la défense des intérêts et la diffusion des idées des classes dominantes.

Vers la prolétarisation du métier de journaliste ?

 
La révolte des journalistes d’I-Télé serait-t-elle le symptôme d’un nouveau tour de vis dans la médiacratie et dans la mise au pas des travailleurs de l’information ? Le métier de journaliste, relativement privilégié par l’aura symbolique aurait-il, lui aussi, emprunté l’inexorable voie vers le déclassement, privé non seulement de ses avantages économiques, mais surtout de son aura symbolique d’indépendance intellectuelle ?

Insérés dans le sérail restreint des professionnels de l’information, les journalistes ont pour habitude de cultiver une certaine distance avec le commun, et vis-à-vis de la réalité de ses conditions d’existence. Le fait de participer à une équipe de rédaction d’une grande chaîne ou d’un journal prestigieux, associé à l’apprentissage progressif des règles de l’institution et la volonté de s’y faire une place, a tôt fait de faire courber l’échine et de se plier aux exigences de la maison. Tôt fait également d’oublier que ces journalistes sont bien, à l’exception des grands éditocrates, en dernière instance, des salariés, soumis à l’exigence d’un patron, qui peuvent être également sujets à des licenciements, et être amenés à être délégitimés en cas de contestation.

Et c’est ce que la situation actuelle vient durement leur rappeler : un vent nouveau, à grand coup de restructuration économique et de mise au pas des journalistes, souffle sur l’ensemble du paysage médiatique français. On pense à Aude Lancelin, virée du nouvel Obs pour avoir des opinions « trop à gauche », à la vague de licenciements d’une centaine de journalistes dans le Groupe Express-Roularta (Express, L’Étudiant, l’Expansion) suite au rachat du groupe par Patrice Drahi en 2015, et à la restructuration et aux nouvelles méthodes managériales qui sont actuellement imposées à Canal+ et à I-Télé. Les journalistes, dans leur grande majorité, ne sont pas moins que les autres dans le viseur des grands projets austéritaires et de cette logique de contrôle permanent qui sied depuis l’instauration de l’État d’Urgence.

Il serait temps qu’ils en prennent conscience.

 
Voilà pourquoi, dans un secteur où la contestation est davantage individuelle que collective, la grève a I-Télé est pour le moins exemplaire. Reste que la bataille pour gagner une véritable indépendance journalistique ne peut se faire dans le cadre d’un aménagement avec le groupe Bolloré, qui cherche à faire de l’information, un produit comme un autre. Celle-ci doit se mener également envers et contre le groupe ; en alliance avec les salariés du groupe qui subissent les mêmes conditions d’exploitation ; pour construire un média qui soit à la fois sous le contrôle des travailleurs de l’information mais également au service de la population et défendent les luttes des salariés. Et là-dessus, les journalistes d’I-Télé qui valident les exigences de la direction de leur chaîne lors des mobilisations, ont encore du chemin à parcourir…


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