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Conditions de travail précaire et répression patronale

Grève dans la sous-traitance : entretien avec un syndicaliste du palace Hyatt Vendôme

Le 20 octobre 2018, nous avons interviewé Aboubacar, délégué du personnel du palace Park Hyatt Paris Vendôme en grève depuis le 25 septembre. Dans cet hôtel de luxe où le prix des chambres va jusqu'à 18.000€ la nuit, le service de nettoyage est sous-traité par la société STN, et les employés sont payés au lance-pierre. Nous l'avons interrogé sur son expérience en tant que syndicaliste, ses conditions de travail au quotidien, les raisons qui ont poussé les travailleurs à se mettre en grève, et la répression qu'ils ont subi.

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Peux-tu présenter ton parcours dans cet hôtel ?

Je travaille à l’hôtel en tant qu’équipier depuis 2008. Avant 2013 les conditions de travail étaient très difficiles. Il y avait un syndicat pourri [la CGT Nettoyage, ndlr] qui ne faisait rien, qui nous enfonçait, et qui a même tenté de casser notre première grève. Du coup suite à cette expérience, on ne faisait plus confiance à tout ce qui portait l’étiquette de syndicat.
Mais en 2013, on a rencontré le syndicat CGT Hôtel de Prestige et Economique (CGT HPE), et l’Union Syndicale (US) CGT Commerce. Au départ, on avait du mal à leur faire confiance puisqu’on avait fait une mauvaise expérience, et on pensait que tous les syndicats étaient pareil. Mais ils nous ont fait la démonstration qu’ils étaient différents des syndicats qu’on avait connu jusque là. Suite à cela on s’est organisé, et on a pris nos cartes d’adhérents. Pour des raisons juridiques et administratives, les employés de l’hôtel ont adhéré à la CGT Commerce, et les sous-traitants à la CGT HPE.
On s’est coordonné dans ces deux syndicats, on s’est rassemblé, et c’est en septembre 2013 qu’on a pu faire notre première grève dans cet hôtel. Et ça a été une réussite ! On a fait grève parce que les femmes de chambre étaient payées à la chambre, ce qui est interdit par la loi, mais aussi parce qu’il y avait une close de mobilité qui permettait à la société de sous-traitance de nous affecter là où elle voulait. On a obtenu satisfaction pour toutes nos revendications, et on a gagné un 13ème mois. Quelques temps après, la même année, on a pu organiser des élections syndicales auxquelles on a participé, et on a eu des délégués. Moi je faisais partie de ces élus de 2013.
En 2014 on a vu que les conditions de travail s’étaient un peu améliorées, mais ce n’était pas suffisant. On a alors demandé une augmentation de 2€/heure, ce qui nous a été accordé. En 2016 on a encore obtenu des avantages par rapport à nos conditions de travail, et cela juste en menaçant de faire grève. En tout depuis 2013, on a obtenu jusque 3,50€/heure d’augmentation de salaire, ce qui fait aujourd’hui une différence de salaire entre les salariés de l’hôtel et ceux de la sous-traitance d’environ 500€/mois.
Mais suite aux ordonnances Macron de 2017, on a compris qu’on ne pourrait plus se présenter aux élections du personnel de l’hôtel puisqu’on est employé par une société de sous-traitance. Du coup il a fallu trouver un autre moyen pour pouvoir garder notre syndicat : c’est l’intégration des salariés de la sous-traitance au personnel de l’hôtel. Donc on revendique aujourd’hui l’intégration de ce personnel, mais aussi une augmentation de salaire de 3€/heure pour les salariés de l’hôtel puisqu’il y a cette différence de salaire entre eux et les sous-traitants.

Comment se passe la grève ?

On a commencé la grève le 25 septembre avec ces revendications, en plus d’autres par rapport à nos conditions de travail. Et jusqu’à présent on est là. Il y a les gouvernantes, équipiers et femmes de chambre qui font partie du personnel sous-traitant, et les techniciens, les travailleurs du mini-bar, et les plongeurs qui sont employés par l’hôtel. On est ensemble.
Mais dans toutes les grèves qu’on avait faites dans le passé, même si c’était dur, ça n’avait jamais duré autant. Au début la direction ne voulait même pas qu’on accède à l’hôtel. Mais depuis, l’intervention de l’Inspection du Travail nous a permis de récupérer les droits que Hyatt remettait en cause, à savoir la libre circulation des délégués du personnel dans l’hôtel. Donc aujourd’hui on peut rentrer dans l’hôtel comme on veut, alors que le directeur disait que les grévistes ne mettraient jamais les pieds dans cet hôtel. 

Surtout, on n’avait jamais été menacé par la police comme c’est le cas aujourd’hui. Mais on reste là, malgré la menace de répression par la police. Tous les jours on se bat. Il y a des jours où la police nous menace de nous embarquer si on manifeste, comme ils ont tenté de la faire vendredi dernier. Peut-être qu’un jour on sera embarqués dans un camion de CRS...
Dernièrement, il y a aussi eul’agression de nos camarades sur le piquet par des vigiles. Mais contrairement à ce qui a été répandu dans la presse, l’agression n’a pas eu lieu devant l’entrée du personnel ou celle des clients, mais devant la fenêtre du restaurant. Car la direction a voulu faire rentrer des travailleurs dans l’hôtel pour nous remplacer clandestinement. J’insiste sur le fait que c’était clandestinement, car si la direction n’avait rien à se reprocher, elle ne les aurait pas fait passer par une fenêtre, mais par une porte d’entrée classique.
En fait, la société de sous-traitance fait rentrer ces travailleurs en cachette vers 4h du matin. Mais si ces travailleurs avaient un contrat et que tout était légal, la direction les aurait fait venir comme toutes les autres femmes de chambre qui commencent à 8h. Alors si elle les fait venir à 3h ou 4h du matin, on se demande pourquoi... si ce n’est pas du fait que leurs pratiques sont illégales.


Que penses-tu de l’intervention policière contre les grévistes ?

Aujourd’hui je suis dégoûté de la France, ce pays que j’aime vraiment. De simples salariés qui demandent leurs droits, qui demandent simplement d’être reconnu et d’avoir une augmentation de salaire, on leur envoie des policiers pour les déloger, les intimider. Franchement je ne reconnais plus la France. On disait toujours « la France c’est un pays de droit », « gréver c’est un droit », mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui pour gréver il faut une autorisation. Actuellement, on ne peut tenir le piquet devant l’hôtel qu’entre 10h et 15h. On n’a plus de liberté, ce sont des contraintes imposées par la préfecture, par l’Etat.
Mais cette histoire d’intervention policière ça a permis de donner un coup à l’image de Hyatt. Non seulement la médiatisation que ça a provoqué, mais aussi le fait qu’il y ait en permanence des camions de CRS devant l’hôtel, à côté des grévistes, ça écorche leur image de marque. Et les clients qui veulent être discrets ne viennent plus ici. La direction aurait dû penser à ça, et s’asseoir pour négocier. Parce que ça aussi c’est une nouveauté par rapport aux précédentes grèves : cette fois on n’a pas eu un seul contact avec le directeur, alors que pendant les autres grèves, dès le premier ou le deuxième jour on faisait un état des lieux. Ce n’était pas un accord, mais on se retrouvait autour d’une table et on expliquait notre liste de revendications. Cette année ça n’a jamais été le cas. En gros ce que dit la direction c’est qu’elle veut nous laisser crever dans la rue. Alors on est là. Et on est prêt à aller jusqu’au bout. S’il faudra rester jusqu’à Noël, on sera là.

Pourquoi tu penses que cette année la direction de l’hôtel ne veut pas négocier ?

Je pense deux choses. D’abord intégrer à l’hôtel les salariés de la sous-traitance, la direction le voit comme un coût supplémentaire. Parce que lorsqu’on sera intégré à l’hôtel, on ne va pas accepter qu’ils baissent nos salaires. Et l’hôtel ne peut pas laisser cet écart de salaire là de 500€/mois entre les salariés de la même société. Donc ils devront augmenter tout le monde, et ils le savent.
Mais je pense aussi qu’ils veulent carrément se débarrasser de notre syndicat, puisqu’aux prochaines élections les salariés de la sous-traitance ne pourront pas se présenter sur l’hôtel. Je pense qu’ils espèrent que comme ça, il y aura moins de délégués syndicaux, et qu’ils pourront faire ce qu’ils veulent.

Ca implique quoi de travailler pour un sous-traitant au quotidien ?

D’abord la direction dit aux employés de l’hôtel de ne pas se mélanger avec nous, comme si on était des étrangers. C’est comme si on était personne. Heureusement aujourd’hui des salariés de l’hôtel commencent à comprendre que nous sommes aussi des êtres humains, qu’on travaille sous le même toit, et se demandent pourquoi il y a cette différence entre nous et eux. Mais certains tiennent toujours à faire cette différence, et continuent à penser que nous les sous-traitants, nous sommes inférieurs et extérieurs à l’hôtel. C’est un problème.

Tu peux nous parler de ton travail ?

En fait lorsque les clients demandent des produits, comme du dentifrice ou autres c’est nous qui nous en chargeons. Pareil si un client veut un bouquet de fleurs, c’est nous qui faisons appel au fleuriste et qui leur montons dans les chambres. Il y a aussi la disposition des chambres qui peut changer à la demande des clients. Par exemple enlever ou remettre les lits, placer des tables et des chaises, c’est nous aussi qui le faisons. En gros on fait du déménagement. Et physiquement c’est très difficile. Parce que par exemple, on n’a pas d’outil pour soulever des matelas qui pèsent très lourd, ce qui est très pénible. J’ai pleins de collègues qui se plaignent de leur dos. Quand on est jeunes ça va, mais dès qu’on commence à prendre de l’âge ça ne va plus.

Pour tout ça tu gagnes combien par mois ? Ca te suffit pour vivre ?

Je gagne 1700€, ce qui n’est pas suffisant au vu de mon ancienneté : je travaille depuis 10 ans dans cette maison.

Et au niveau des horaires ? Tu as une famille ?

Oui, j’ai une famille. Et les horaires... c’est pire ! C’est des horaires décalés. Par exemple, samedi-dimanche je travaille le matin, lundi-mardi-mercredi je suis de l’après-midi, et jeudi-vendredi je suis de repos. Tu vois : trois jours l’après-midi, deux jours le matin. Les horaires, c’est difficile. En plus du temps de transport, parce que j’habite aux Mureaux dans les Yvelines [environ deux heures de transports aller-retour, ndlr].

Est-ce que tu peux nous raconter ton parcours ? Comment tu en es arrivé à travailler ici ?

Avant j’étais étudiant à l’Université de Villetanneuse [Paris XIII ndlr]. J’ai fait deux ans en électronique, et en troisième année j’ai fais sciences de l’ingénieur. J’avais commencé ce travail à l’hôtel comme un job étudiant, mais finalement je n’ai pas eu les moyens de poursuivre mes études et j’ai atterri ici. Mais cette année je fais une formation de développeur-logiciel pour trouver un emploi ailleurs. Mais je ne veux pas laisser mes camarades. En fait j’étais en formation de février jusqu’à septembre. Je devais reprendre au mois d’octobre, mais on est en grève, donc je suis là !

Entretien réalisé le 20 novembre 2018 par Cécile Manchette et Mones Chaieb


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