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America first, les crises ensuite

Guerre commerciale. La Chine répond aux USA : le début de l’escalade ?

La Chine répond aux taxes américaines sur l'acier et l'aluminium en instaurant à son tour une liste de 128 produits américains dévoilée aujourd'hui. Le risque d'une escalade dans la guerre commerciale se fait plus proche que jamais, les décisions unilatérales de Donald Trump menaçant de déstabiliser un ordre économique éminemment fébrile.

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La riposte chinoise : vers une escalade dans la guerre commerciale ?

« Si les gens veulent jouer les durs, alors nous jouerons les durs avec eux et nous verrons qui tiendra la plus longtemps » déclarait dans une vidéo postée sur son compte Facebook l’ambassadeur chinois aux Etats-Unis, Cui Tiankai. Si le président chinois a maintes fois déclaré qu’il ne souhaitait s’engager dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis, celle-ci n’hésitera pas à riposter âprement aux attaques américaines.

En effet, la riposte chinoise fait suite à l’annonce, le 22 Mars, par Donald Trump, de l’imposition de près de 50 milliards de dollars de taxes sur des produits d’importation chinoise, en particulier sur l’acier (25%) et l’aluminium (10%) ; la liste complète des produits devant être publiée le 6 avril et ouverte à la discussion pour une période de trente jours.

Donald Trump justifiait cette décision pour deux raisons. La première concerne le déficit bilatéral dont souffre les Etats-Unis envers la Chine – près de 400 milliards de dollars –, à ce titre le président américain accuse la Chine de subventionner ses industries – notamment l’acier, d’où la taxe sur ce produit –, cette taxe est donc censée, selon Donald Trump, combler le déficit américain. D’autre part, les Etats-Unis accusent la Chine de violer les règles de propriété intellectuelle et de piller les compagnies américaines qui sont forcées, pour pénétrer le gigantesque marché chinois, de se conformer à des règlementations incluant un transfert de leur technologie aux entreprises chinoises.

Ces deux raisons ont conduit Robert Lighthizer, représentant au commerce américain, à s’appuyer entre autres sur la Section 301 du Trade Act de 1974 pour imposer des taxes sur l’acier et l’aluminium, évitant de recourir aux instances de régulation de l’OMC (que Trump n’a de cesse de vilipender). En effet, le recours au Trade Act de 1974 n’est pas anodin puisqu’il permet entre autres d’imposer des taxes de façon unilatérale sur les importations pour des raisons de sécurité nationale, outrepassant ainsi les prérogatives de l’OMC en matière de réglementation internationale et permettant de cibler spécifiquement les produits Chinois – au grand soulagement des autres pays.

Le risque d’une escalade dans la guerre commerciale demeure d’autant plus prégnant que Donald Trump n’a de cesse de saper l’ordre libéral global dont les bases ont été instaurées principalement par les Etats-Unis eux-mêmes, fustigeant les instances de régulations globales – OMC notamment – et se retirant de nombreux accords multilatéraux – accords de Paris, TTIP – s’engageant sur la voie d’une bilatéralisation croissante des relations internationales qui marque la fin de l’ordre libéral global où prévalait le multilatéralisme, même si dominé largement par l’hégémonie nord-américaine.

La fin de l’ordre mondial libéral ?

L’équilibre de l’ordre mondial global est inextricablement lié à la position hégémonique américaine, et sa capacité, économique et militaire à assurer la tenue des règles qui régissent le commerce mondial – du moins à ses avantages. La gestion multilatérale des grands enjeux mondiaux – paix (ONU), commerce (OMC), financiers (FMI), militaires (OTAN) – dont la stabilité était assurée par l’hégémonie américaine, semble vaciller, voire s’effondrer.

En effet, les récentes décisions de Donald Trump indiquent un net tournant dans la politique américaine. Si de vives divergences traversent la bourgeoisie mondiale et américaine dans la solution à adopter face aux contradictions du capitalisme, une frange de celle-ci, dont Donald Trump est l’expression, semble avoir entériné la fin de l’ordre mondial multilatéral. Les décisions concertées entre nations cèdent le pas soit à de brutales décisions unilatérales soit à des accords bilatéraux passant outre les instances de régulation internationale, et le vernis de diplomatie craque sous la pression des rapports de forces qui s’exacerbent dans la lutte pour le domination de l’économie mondiale.

Ainsi, c’est tout l’ordre libéral issu de l’après guerre, et consolidé après la chute du Mur de Berlin qui semble aujourd’hui vacillant, voire littéralement mort et enterré selon certains analystes. A ce titre, Richard Haass, ancien assistant spécial du président George H. W. Bush et membre du Conseil national de sécurité, écrivait, dans une tribune parue dans Projet Syndicate et intitulée « Ordre Libéral Repose en paix » que : « la décision américaine d’abandonner le rôle qu’il a joué pendant plus de soixante-dix ans marque ainsi un tournant. L’ordre mondial libéral ne peut survivre par lui-même, car les autres n’ont pas les intérêts ou des moyens pour le maintenir. Le résultat sera un monde moins libre, moins prospère, et moins pacifique, pour les Américains comme pour les autres ».

La position ambiguë de l’Europe

L’Europe a menacé, si elle devait être touchée par les taxes américaines, de taxer à son tour des produits américains comme les jeans ou le whisky. Pourtant, malgré ces menaces, le modèle économique européen, et surtout allemand, reste fortement dépendant de l’ordre mondial libéral instauré après 1945. En effet, le modèle économique allemand repose en grande partie sur sa capacité à exporter des biens à forte valeur ajoutée à travers le monde, et notamment aux Etats-Unis et évidemment l’UE, dépendant en cela fortement d’une économie mondiale pacifique régulée par l’OMC.

L’Allemagne se retrouve d’autant plus dépendante de ses exportations qu’elle s’est toujours refusée à réduire son surplus commercial, notamment en dynamisant son marché intérieur par des politiques de relance et le recours à la dette publique, se gaussant de ses voisins européens qu’elle exhortait à adopter un régime économique similaire au sien. Or on voit désormais combien cette position de force se révèle en réalité cruellement dépendante de sa réussite : l’Allemagne, et toute l’Europe avec elle, pourrait souffrir violemment des effets d’une contraction du commerce mondiale et d’une guerre commerciale.

En effet, face à une économie européenne déjà extrêmement inégalitaire, l’érosion de l’hégémonie régionale allemande pourrait accélérer le pourrissement de la zone euro, entraînant une crise politique d’une ampleur inédite qui pourrait culminer dans l’éclatement de la zone euro. L’autre « pilier » de l’Union Européenne, la France, se retrouve elle aussi empêtrée dans une instabilité politique marquée par l’ouverture probable d’un conflit social très dur autour de la réforme de la SNCF.

En cela, la déstabilisation de l’ordre économique mondial des suites d’une guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis pourrait se répercuter de façon amplifiée sur l’économie européenne, exacerbant les tensions politiques et économiques qui traversent déjà l’Union Européenne marquée par le Brexit ou la victoire d’une coalition droite/extrême-droite en Italie.

Crédits photo : AFP


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