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Meeting contre le racisme et les violences policières

Guillaume Vadot : « la police utilise dans les quartiers des techniques de répression héritées de l’époque coloniale »

Nous relayons ci-dessous l'intervention de Guillaume Vadot, enseignant à la Sorbonne agressé par la police le 22 septembre, prononcée au cours du meeting contre les violences policières, le racisme et l’islamophobie qui s'est tenu jeudi dernier à l’université Paris 1-Tolbiac et qui a réuni 600 personnes.

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Je voulais commencer par remercier les autres intervenants et intervenantes qui sont toutes des figures de la lutte contre les violences policières, contre le racisme et contre la répression. Intervenir après Amal Bentousi, après Assa Traoré c’est forcément intervenir avec humilité. Avec détermination aussi.

La première chose à dire c’est que ce qui est arrivé le jeudi 22 septembre au soir ça constitue une défense pratique de la part des policiers de leur propre impunité. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? D’abord en sortant de la gare je me suis retrouvé face à un dispositif où y avait entre 35 et 40 policiers, de la police national, membres de la sûreté SNCF et de la brigade anti-criminalité. Tout ça pour quoi ? Pour exercer un contrôle d’identité extrêmement brutal contre une femme qui était noire et qui criait de douleur. Et c’est pour ça que s’est attroupé un certain nombre d’habitants.

Moi j’ai voulu filmer ce contrôle pour leur imposer de rendre public leurs pratiques et peut-être essayer de leur poser une limite. Ça n’a pas duré longtemps, j’ai été attrapé, brutalisé, menacé de mort, menacé de viol, des menaces qui ont été précisées quand ils ont trouvé mon adresse en disant qu’ils allaient venir à mon adresse. Et des menaces qui ont été étendues à mes collègues de la Sorbonne en disant qu’ils viendraient ici pour nous tuer et nous violer.

Cette affaire a connu une médiatisation importante. Et pourtant c’est une histoire qui est banale, c’est une histoire qui est quotidienne. Le seul élément qui n’est pas banal là-dedans, c’est que ça soit arrivé à quelqu’un qui est enseignant à la Sorbonne et qui n’est pas racisé. Et c’est ça je pense qu’il faut commencer par souligner. Et si ça permet de discuter des violences policières et celles qui touchent structurellement les habitants des quartiers populaires et les personnes racisées, alors ça sera déjà un petit pas en avant qu’on aura pu faire.

Et ce pas en avant commence un tout petit peu à se concrétiser avec le fait que l’appel à témoignage large qu’on a rendu public a généré déjà une libération de la parole sur des violences policières. Non seulement celles du 22 au soir, mais bien au-delà, celles qui touchent l’ensemble de la ville de Saint Denis. Y a des choses qui nous arrivent, qui remontent aux années 90, qui remontent à plusieurs années, qui touchent d’autres villes, et qui permettent en fait de montrer que ces violences policières structurelles, ce qui les fait tenir, c’est qu’il y a une omerta, une interdiction de parler. Et c’est cette interdiction qu’il faut qu’on réussisse à lever en construisant un rapport de force.

Ce qui est arrivé ce soir-là amène à questionner en premier lieu ce que fait la police. Et ce que font les différentes forces de l’ordre dans une ville comme Saint Denis. Mais il n’y a pas que Saint Denis où ça se passe. Ce que fait la police, c’est l’usage de techniques de répression qui sont héritées de l’époque coloniale et qui perdurent jusqu’à aujourd’hui, qui sont des méthodes de répression qui sont des agressions collectives contre la population.

Ce que les classes dominantes vont appeler « l’habeas corpus », qui en droit fait que la police est censée traiter les individus et les traiter comme individus, en réalité ça n’a jamais existé dans les colonies et ça n’a jamais existé dans les quartiers populaires contre les personnes racisées. La police frappe les populations, intimide les populations, de la même manière qu’elle menait au temps des colonies des représailles sur l’ensemble des villages ou sur l’ensemble de ce qui s’appelait les quartiers noirs, pour imposer un ordre politique et l’oppression raciste. Il y a une continuité historique, une permanence dans les pratiques de la police dans une ville comme Saint Denis.

C’est le travail d’un collègue qui s’appelle Mathieu Rigouste qui montre comment le « savoir faire français » – c’est eux qui en parlent de cette manière-là – s’est exporté. Le savoir faire français en matière de maintien de l’ordre s’est exporté. Il s’est exporté d’une expérience qui avait été accumulée par les forces de répression, l’armée, la police française, dans les colonies. Notamment par la répression des patriotes algériens et des patriotes camerounais, et les patriotes d’autres pays qui ont été massacrés. Et cette doctrine « contre subversive » comme ils l’appellent, a ensuite servi à inspirer des dictatures comme celle de Pinochet, comme celle de Videla, en Amérique du sud.

Donc ce sont ces méthodes-là aujourd’hui qui sont encore utilisées dans les quartiers. Et ce qui explique cette continuité, et le fait qu’il y ait une espèce de copier coller, entre ces méthodes de répression de la police, celles qui se sont exprimées le jeudi 22 au soir, et qui continuent à s’exprimer tous les jours, c’est tout simplement parce que c’est une continuité dans l’oppression coloniale, néocoloniale, qui sont subies par les pays africains et les anciennes colonies.

On le voit avec les guerres. Hollande a le record, une guerre par an à peu près sous son mandat. Et les pillages coloniaux qui se maintiennent. Et je voudrais en passant souligner que le Front national, pour qui votent plus de 50% des policiers et des gendarmes, a toujours combiné dans une espèce de paradoxe apparent mais qui est en réalité entièrement cohérent : la revendication du repli national ici en France, avec le fait d’être une instance qui sert aussi de lieu de formation aux gardes du corps privés des principaux dictateurs françafricains.

Et c’est entièrement cohérent, c’est l’ensemble d’une politique qui a un volet intérieur et un volet extérieur. Et qui n’est pas qu’une politique du Front national, parce que le Front national est collé tout contre les institutions de répression de l’État français en ce qui concerne l’oppression des populations racisées. Qu’est-ce que c’est donc que la nouveauté, puisque je parle de continuité ? La nouveauté c’est l’extension de ces méthodes au-delà des populations pauvres et racisées, à travers l’instauration de l’état d’urgence permanent. Je crois qu’on l’a vu quand il s’agissait de manifester contre la Cop 21 en décembre dernier, ou contre la loi travail au printemps.

En 2005 l’état d’urgence avait été décrété pour les banlieues. C’était la première fois qu’il avait à nouveau été décrété depuis la répression de la révolution algérienne. En 2015, et depuis, il a été étendu à l’ensemble du territoire et donc on voit l’extension de ces pratiques-là. Il faut que ça nous permette d’en parler et de visibiliser l’ensemble, ce qu’il y avait avant, ce qu’il y a maintenant, et que ça nous permette de construire un front pour lutter contre tout ça.

La deuxième chose que je voudrais développer ce soir, ça concerne ma position en tant qu’enseignant de l’université, en tant que personne non racisée. Parce qu’il se pose une question de savoir quelle est la légitimité que nous ici à l’université on peut avoir pour parler des violences policières, parce qu’on ne les subit pas de la même manière que les habitants et habitantes des quartiers populaires. En fait, il me semble que la question ce n’est pas de savoir si on a le droit ou non d’en parler mais plutôt qu’on a le devoir d’en parler. Et je dis ça pour interpeller y compris les étudiants et les collègues.

D’en parler mais pas d’en parler à la place des personnes qui sont directement ciblées par le racisme et les violences policières, mais d’en parler à côté, d’en parler avec. Et d’essayer de générer à partir de l’université, parce que l’université a accès à l’espace public, une prise de confiance pour que tout le monde puisse en parler et notamment les premiers concernés.

Valls disait il y a un peu plus d’un an, en visant d’ailleurs les chercheurs en sciences sociales, que face au terrorisme, chercher à comprendre c’est déjà excuser. Chercher à comprendre c’est déjà excuser, ça c’est l’axiome politique d’une société policière. Ça c’est un axiome politique qui permet d’imposer un langage unique et qui débouche sur le 22 au soir, des policiers qui face à une femme noire, pauvre, racisée et qui n’a pas de ticket expliquent qu’ils sont déjà dans la lutte contre le terrorisme.

Au contraire, les sciences sociales qui nous servent à décrire, à enquêter, à rendre visible la réalité sociale, elles doivent réussir à rendre visible tout ça. Sinon à quoi sert la Sorbonne ? La Sorbonne doit commencer à servir à ça. La Sorbonne elle a été ciblée par les policiers ce soir-là qui voulaient réaffirmer leur impunité en disant qu’ils allaient venir jusqu’ici pour nous violer et nous tuer. C’est à nous maintenant d’aller jusqu’à eux en réalité, pour mettre en lumière les millions de contrôles au faciès, les violences policières, les humiliations quotidiennes et la répression silencieuse et implacable qui vise aussi les salariés qui relèvent la tête.

Et je pense que ce que disait Amal Bentousi là-dessus, en appelant les étudiants à contribuer, à faire émerger des témoignages, à faire émerger la réalité de ces violences policières, c’est un appel auquel on doit répondre en tant qu’étudiant, en tant qu’enseignant, en tant que personnel des universités. La classe politique dominante elle est en train de s’acheminer, avec une grande homogénéité d’ailleurs, de droite comme de gauche, vers l’idée que toute micro déviance par rapport à l’ordre établi, par rapport à leur ordre, c’est un acte terroriste.

Donc pour les policiers du 22 au soir effectivement cette dame elle était dans le terrorisme parce qu’elle n’avait pas les moyens de se payer un ticket, et parce qu’elle était racisée. Et au printemps c’était les syndicalistes combatifs, c’était les étudiants qui étaient terroristes. Et c’est les Goodyears qui continuent à l’être parce qu’ils ont défendus leurs emplois, et que maintenant ils mangent 9 mois de prison ferme. À mon avis c’est souvent quand on est mis face à la nécessité, à la nécessité la plus violente, que les grandes choses se produisent et que se lèvent les obstacles qui ont fait que pour l’instant on a pu combattre un petit peu en séparé et chacun de son côté.

Peut-être que collectivement, si je voulais terminer en disant ça, on peut faire de ce meeting l’occasion de poser un premier jalon dans la construction de ce front commun, puisque c’est le titre que les organisateurs ont choisi de donner au meeting. Et peut-être que ça pourrait se concrétiser de deux manières. Amal faisait déjà une proposition, mais je pense que ce sont des choses qui vont à peu près dans le même sens, c’est à dire déjà qu’on se dise que le week-end qui est appelé par les syndicalistes de Goodyear qui sont condamnés à 9 mois de prison ferme, le 19 20 à Amiens, qui est un appel large qui inclut la question des violences policières, et qui inclut les violences et la répression subies par l’ensemble du mouvement dans le monde du travail, que ce soit un appel auquel on répond et qu’on s’y rende collectivement et que ce soit la première échéance après ce meeting-là.

Une autre proposition ça serait qu’on cherche à pérenniser l’arc de force, y compris en l’élargissant parce que tout le monde n’est pas là, je sais qu’il y a des excusés, la brigade anti négrophobie est excusée, le front uni des quartiers populaires est excusé, néanmoins il y a encore des collectifs qui auraient pu être ici, qui le sont pas pour des raisons matérielles, tout ça s’est organisé rapidement, mais néanmoins il s’agirait pas qu’on en reste là et peut être qu’on peut réussir à pérenniser une plate-forme, un cadre, un collectif, mais en tout cas quelque chose qui nous unisse pour lutter ensemble contre les violences policières et la répression et le racisme parce qu’on sait qu’on a encore du pain sur la planche et que les choses ne sont pas en train de s’arranger de ce point de vue là.{}

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