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Histoire des femmes travailleuses

Il y a 103 ans, la grève pour le « pain et les roses »

Une tache d'encre se répand dans le tissu en pénétrant ses fibres en profondeur. Comme la tache d'encre, une grève décisive a pénétré profondément la fibre de la vie de ses protagonistes. Voici l'histoire des femmes de Lawrence. Celeste Murillo

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La grève des femmes de Lawrence

Il y a 103 ans, à Lawrence, dans l’état du Massachusetts aux États-Unis, loin des fêtes du Nouvel An, les ouvrières textiles commencèrent une grève alors connue sous le nom de « Bread and Roses » (du pain et des roses). Les grévistes ont obtenu satisfaction de leurs revendications : la réduction de la journée de travail, l’augmentation des salaires et la reconnaissance du droit à l’appartenance syndicale.

La première décennie du XXe siècle est marquée par une vague de grèves aux États-Unis, concentrée dans le secteur du textile, une industrie dynamique à cette époque. Les journées de travail interminables, les salaires misérables et les conditions de travail inhumaines ont entraîné des milliers de travailleuses dans la rue.

En 1908, les ouvrières de vêtements de Chicago ont mené une large campagne pour la réduction de la journée de travail et l’amélioration des conditions de travail. L’année suivante, en 1909, à New York, a eu lieu la première action ouvrière, la plus importante de l’histoire de la ville, menée par des « jeunes filles » qui n’avaient pas 20 ans, avec pour leader la « vétérante » Clara Lechmil, 23 ans. En 1911, une célèbre grève textile s’est terminée par un désastre : l’incendie provoqué par les patrons de la Triangle Shirtwaist Company.

Le nouvel an de 1912

Ce nouvel an, loin des banquets des familles riches, les travailleuses et travailleurs de Lawrence sont entrés en grève. Quelques jours avant, une nouvelle loi avait été votée, réduisant le temps de travail de 56 à 54 heures par semaine pour les femmes et les mineurs de moins de 18 ans.

L’industrie textile emploie alors une grande proportion de main d’œuvre immigrée, féminine et infantile. Plus de la moitié sont des femmes, et âgées de moins de 18 ans. Le principal mot d’ordre était de conquérir le pain (symbolisant les droits du travail, contre la précarité) et les roses (symbolisant l’exigence de meilleures conditions de vie).

La grande majorité des ouvrières de Lawrence n’était pas organisée dans des syndicats, car l’AFL (American Federation of Labor, la centrale syndicale officielle) affiliait seulement les ouvriers qualifiés, c’est-à-dire les ouvriers blancs. Par conséquent, l’industrie textile était totalement désorganisée.

Organisation et lutte, avec les femmes en tête

La IWW (Industrial workers of the world), qui a coordonné la grève, fut l’une des premières organisations ouvrières qui encourageait les femmes à occuper des postes dirigeants et luttait pour des méthodes démocratiques de lutte. Elle a essayé de suivre la trace des Chevaliers du travail, qui avaient inauguré la tradition des syndicats mixtes (intégrant ouvriers blancs et noirs) et l’incorporation des femmes.

Le 10 janvier, lors de la première réunion de la IWW, des milliers d’ouvrières qui venaient de toucher un faible salaire suite à la réduction des heures de travail décidèrent de rentrer en grève. Quelques heures après, tout était en marche. Les ouvrières polonaises d’Everett Mill entrèrent en grève le 11 janvier, puis celles d’American Wollen Company le 12 janvier. La grève s’est ensuite étendue à la majeure partie des ateliers.

Un comité de grève, composé de 56 titulaires et 56 suppléantes pour remplacer le groupe titulaire en cas d’arrestation (fait commun dans les grèves), fut élu. Le comité représentait toutes les nationalités ; dans les réunions, 25 langues et 45 dialectes étaient parlés et il y avait des interprètes pour chaque langue. A la fin de chaque journée, des assemblées générales avaient lieu, faisant le bilan quotidien et décidant des suites du mouvement.

Les deux premières mesures votées furent la création d’une caisse de grève et l’instauration d’un piquet massif devant les usines. Les affrontements avec la police et les milices du gouvernement local étaient à chaque fois plus violents et il devenait difficile de bloquer l’entrée des « moutons », les briseurs de grève. Il fut alors décidé de former une ligne « infinie » autour des ateliers, un piquet de 24 heures avec rotation. De cette manière, il était impossible de rentrer dans l’usine.

En quelques semaines, les principales dirigeantes sont arrêtées, accusées d’incitation à la violence et de la mort d’une ouvrière. La IWW envoie Elizabeth Gurley Flynn, Joe Hill et Carlo Tresca, pour remplacer les dirigeantes emprisonnées.

De nouvelles mesures pour encourager la participation des femmes

Le nouveau comité de grève a installé garderies et cantines communautaires pour les enfants des ouvrières : des mesures pour permettre la participation des femmes. De plus, ces dernières organisaient des réunions en non-mixité, nécessaires pour combattre le machisme chez les ouvriers, y compris chez les ouvriers grévistes. Elizabeth Gurley Flynn fut l’une des principales initiatrices de cette politique.

La IWW aidait aussi les enfants, qui devaient supporter des attaques fortes dans les écoles et les quartiers, la ville étant divisée par la grève. Des réunions d’enfants des membres du syndicat, ainsi qu’une école, pour discuter des motivations de la grève, étaient organisées. La mesure a eu beaucoup de succès et elle fut reprise par la suite lors de la grève de Paterson, en 1913.

Face à la violence croissante, les enfants sont envoyés dans d’autres villes, hébergés dans des familles solidaires de la grève. 120 enfants sont partis dans un premier train. Alors que le deuxième train s’apprêtait à quitter New York, la police a opéré une répression énorme dans la station. Cet épisode a placé la grève en une des journaux nationaux, mais aussi au congrès.

Tous parlaient de Lawrence. Les dirigeants de la centrale syndicale officielle ont dû se prononcer, mais n’ont pas appuyé la grève : ils ont qualifié les ouvrières de gauchistes, anarchistes et révolutionnaires, et ne voulaient rien savoir des comités de grève.

Cependant, les ouvrières de Lawrence ont pu compter sur un soutien de plus en plus important. Des meetings de soutien ont eu lieu dans tout le pays. Les universités proches, comme la prestigieuse Harvard, ont tenu des comités étudiants de solidarité avec la grève, pouvant éviter les examens avec l’accord de l’université. Les étudiantes des universités de femmes ont récolté de l’argent, ont défendu la grève et sont venues en délégation à Lawrence pour verser l’argent obtenu dans la caisse de grève.

La popularité de la grève, la détermination des ouvrières et la peur d’une extension du mouvement ont fait céder les patrons : ils ont accepté la réduction de la journée de travail et l’augmentation du salaire. Après cette longue lutte, qui a duré quasiment tout l’hiver, le 12 mars, la grève pour « le pain et les roses » fut l’une des premières grèves victorieuses du mouvement ouvrier des États-Unis. Le 30 mars, les enfants des travailleuses sont rentrés à Lawrence.

Cette victoire ne se limite pas à l’obtention des revendications. Elle transmet l’idée de comment lutter pour gagner. L’histoire du mouvement ouvrier est souvent associée à l’image d’un homme aguerri, combattant. Cependant, les femmes luttent jour et nuit aux côtés des hommes. C’est ce que les grèves comme celle de Lawrence mettent en lumière.

Traduction : Elise Duvel, d’après la Izquierda Diario


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