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Le vécu d’un photoreporter engagé sur le terrain des luttes

Interview du photographe ayant révélé le violent matraquage d’un manifestant par la police à Lille

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Julien Pitinome est un photographe de terrain, engagé au sein du collectif ŒIL, créé en 2012, qui a notamment réalisé plusieurs reportages sur la jungle de Calais et les violences policières subies par les migrants. Ce jeudi 31 mars, sa photo du matraquage d’un manifestant à Lille, agenouillé au sol entre 4 policiers, a viralisé sur les réseaux sociaux. Nous l’avons interviewé sur son vécu de cette scène de brutalité policière et sur son expérience de photoreporter engagé au plus près des luttes sociales.

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Propos recueillis par Flora Carpentier

Florent, le manifestant matraqué, a témoigné sur votre blog. Peux-tu nous raconter comment tu as vécu cette scène ?

Le 31 mars, je suivais le groupe qui manifestait, ça s’est passé tout de suite après. La police était à cran dès le petit matin. Pour moi qui fais beaucoup de reportage, j’ai trouvé qu’ils avaient été très vite à cran et violents. Dans les quatre photos qu’on a publiées sur notre site, il y a une photo où les trois flics se relèvent et en fait ils viennent vers moi. J’ai été sous la pression habituelle de la police : on m’a demandé de dégager en me tutoyant, j’ai reçu un coup de matraque dans le dos. J’ai dit que j’étais de la presse, ils m’ont dit « on s’en fout, tu prends pas les photos de nos collègues en train de travailler ». Sauf que j’ai évidemment le droit, sauf si le mec était entravé, s’il avait les menottes. Mais pour le coup il ne les avait pas encore. Donc voilà, coup de pression, indimidations de la police, j’ai eu très peur pour le gars, son témoignage est très parlant.


De ton expérience, après des cas comme Bergson, les policiers font-ils attention à l’image qu’ils renvoient ?

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Je pense qu’ils ont peur de l’image oui. Mais en même temps c’est pas très intelligent parce que tout le monde a des smartphones, tout le monde a de quoi prendre des photos aujourd’hui. Ils sont embêtés parce qu’on est là et qu’on continue à travailler même s’ils nous interdisent de le faire. Et comme en général on est plusieurs, on se surveille.

Ils n’ont pas le droit d’être cagoulés par exemple. Aujourd’hui la parade qu’ils utilisent pour ne pas être filmé c’est un tour de cou et un bonnet. Finalement, quand tu mets ça, c’est comme si t’étais cagoulé. Et ils utilisent ça pour ne pas être reconnus. D’ailleurs la vidéo du flic qu’ils sont en train de rechercher qui tapait les jeunes au lycée Bergson, c’est le cas typique de la police qu’on rencontre tout le temps en tant que reporters. C’est la seule parade qu’ils ont légalement pour ne pas être reconnus sur les images, parce qu’il y a une circulaire qui existe qui dit qu’on a le droit de prendre des photos des policiers en train de travailler, sauf si c’est des policiers de brigades spéciales. Donc eux, je pense qu’ils sont entre le fait d’essayer de protéger leur image et les risques potentiels, et juste le fait de ne pas être reconnus.

Là à Lille pour le coup les flics ont été un peu dépourvus. Ils n’ont pas de casque, ils n’ont même pas leur béret, ils ont voulu fermer la rue mais ils sont arrivés comme ça. Ils ont filmé d’ailleurs, on le voit sur la photo. On travaille aussi avec le site de Taranis, on est souvent à couvrir sur les mêmes évènements, ils transmettent des documents qui montrent l’intérêt pour la police d’avoir un mec qui filme. Ces images là,elles sont utilisées à charge contre les manifestants, et jamais à ma connaissance utilisées à décharge. D’où l’intérêt qu’il y ait des gens qui prennent des photos et des vidéos, moi c’est ce que je dis aux militants, qu’il y en ait au moins un qui fasse des vidéos, même discrètement. Parce qu’au départ le mec de Lille, Florent, il est pris pour « violence en réunion contre un agent des forces de l’ordre », alors que franchement, j’ai suivi toute la manif, c’était pas du tout violent.

C’est compliqué d’être un photographe engagé au plus près des luttes sociales ?

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On subit des pressions régulières sur les manifs. On sait que la police nous connait, surtout à Paris. Donc il n’est pas rare d’avoir un ou deux RG qui nous suivent. On est là où ça pète, donc on peut avoir des coups de pression, surtout qu’on n’a pas de carte de presse. On a un photographe du collectif, Nnoman, qui s’est fait gazer et a pris un coup de matraque,mais en général c’est filmé.

Le tout c’est qu’après, nous les photographes on ne se cache pas, sinon c’est suspicieux. Mais le climat dans lequel on travaille est compliqué, surtout sur ces phénomènes sociaux importants où potentiellement il y a des risques de dérapage. Mais heureusement on est là en nombre, comme moi j’étais présent à Lille ce jeudi matin, donc ce dérapage est en photo, je l’ai diffusé et il y a près de 3000 partages sur ce cas de violence policière.

Quelle différence entre la façon dont votre collectif et les grands médias peuvent traiter une même scène ?

C’est le récit qu’on met autour de l’image, parce que parfois l’image peut être la même mais on peut lui faire dire ce qu’on veut. Si tu veux faire du média qui cherche juste à faire le buzz, il suffit de raconter les histoires en laissant les choses vagues, du coup les gens se font des films. La différence, c’est que nous on essaye de replacer l’humain au sens. Par exemple dans mon tweet, j’ai fait mon serment, parce qu’à un moment donné, les violences policières c’est important de les montrer. Parce qu’elles ne sont pas qu’à Paris, il y en a partout et pour le coup à Lille j’étais là.

Florent, le manifestant qui a fait de la garde-à-vue, m’a tout de suite contacté après avoir vu sa photo sur les réseaux sociaux. Moi j’ai fais mon travail journalistique en publiant la photo, lui il l’a retrouvée parce que ça a fait le tour du net et il est revenu vers moi de manière très positive. Je lui ai proposé de témoigner et il a accepté immédiatement.

Lire le témoignage de Florent sur sa violent arrestation.


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