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Un premier ministre au CV bidon ?

Italie. La commedia dell’arte de la droite populiste se poursuit !

Lundi 21 mai, après deux mois et demi d’atermoiements, les populistes de droite du Mouvement 5 Etoiles (M5S) et la formation xénophobe Ligue du Nord, proposaient Giuseppe Conte, comme premier ministre. Alors que le président italien Sergio Mattarella n’avait pas encore tranché, il aura fallu moins de 48h pour s’apercevoir que le CV universitaire de Conte était largement bidonné... mais il a tout de même été désigné pour former un gouvernement, ce mercredi.

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Le 4 mars dernier, l’issue du scrutin des législatives promettait une instabilité politique, entre les premières formations du pays, l’un des piliers de la construction européenne avec Paris et Berlin. Les populistes de droite du Mouvement 5 Etoiles arrivés en tête (32% du scrutin), ont finalement trouvé un accord, à force de tractations avec la formation xénophobe de la Ligue du Nord (18%), pour proposer Giuseppe Conte, qui n’est ni d’un camp ni d’un autre. Inconnu au bataillon, ce juriste de 53 ans, professeur de droit à l’Université de Florence, devait représenter ce candidat « au-dessus de tout soupçon », censé également rassurer les milieux d’affaires pro-européens, Bruxelles et le Vatican, dont on dit qu’il est proche.

Nul doute que le profil technocratique du bonhomme, avait pour but du côté de ces deux formations qui ont en commun des revendications « anti-systèmes » et « anti-Europe » de « faire passer la pilule » auprès de la bourgeoisie européiste, et en premier lieu du président Sergio Mattarella. Raté. Giuseppe Conte a évidemment été étudié à la loupe… Et il n’est pas vraiment « incontestable »…
Mardi matin, le New York Times révélait que Conte n’avait jamais suivi de cours de perfectionnement en droit à l’université de New York, comme il le prétendait. Cette farce aurait pu rester de l’ordre de l’anecdotique, si, dans les heures qui ont suivi, l’université Duquesne de Pittsburgh, l’université de Malte, l’Internationales Kulturinstitut de Vienne n’avaient pas elles aussi apporté de démenti formel concernant le CV de Conte affirmant avoir étudié ou enseigné à Pittsburgh, La Valette, Vienne ou Paris.
Pire, à en croire sa biographie bidonnée, Giuseppe Conte aurait été désigné expert d’un « Social Justice Group » au sein de l’UE. Une nouvelle fourberie puisque ce « group » n’a jamais existé. Pour en finir avec le matricule de ce juriste, il a été découvert qu’il aurait – réellement cette fois-ci - défendu les intérêts des parents d’une jeune malade que les parents avaient choisi de faire soigner selon la « méthode Stamina », une belle escroquerie scientifique. Un point commun de Conte avec le M5S et ses conceptions anti-scientifiques (anti-vaccins, véhiculant des théories fumeuses sur certaines pollutions aux particules fines, etc.).
Sur la défensive, Luigi Di Maio (M5S), a préféré parler de calomnie concernant ces multiples révélations : « ils ne savent plus quoi inventer ». Une situation embarrassante autant pour le mouvement de Beppe Grillo que pour la Ligue qui a rompu avec Berlusconi pour tenter de trouver un accord de gouvernement avec le M5S : sans candidat à la présidence du Conseil, et Conte était le seul qui se dégageait, les Italiens auraient à nouveau été appelés aux urnes, prolongeant un peu plus la crise politique, sans pour autant que les populistes de Grillo et ceux de Salvini soient assurés de faire, à nouveau, les mêmes scores qu’au mois de mars.

La Ligue et le M5S, des partis de droite populiste et dangereux

Outre l’euroscepticisme et l’aspect « anti establishment » qui ont donné le ton des campagnes de ces deux partis populistes, rappelons que celles-ci ont en outre été profondément marquées par un discours sécuritaire, profondément raciste et xénophobe notamment contre les réfugiés et migrants sans-papiers. L’accord de gouvernement du M5E et la « Ligue » reprend effectivement ces thématiques racistes promettant des expulsions massives (certains parlent de 500.000) mais aussi une baisse des impôts pour le patronat, une restructuration de l’UE et une nouvelle approche de la politique étrangère vis-à-vis de la Russie de Poutine.

Une coalition bloquée entre les intérêts de la bourgeoisie et son électorat populaire

Promesse de campagne du M5S, la coalition entend mettre en place un salaire universel de 780€. Cette promesse clientéliste visant à répondre à la profonde crise économique que traverse le Sud du pays, bastion des votes Cinq Etoiles, illustre à merveille le profil populiste de ces deux partis de droite. En retirant le vernis social, on s’aperçoit bien vite que ce revenu universel est discriminant. Il serait en effet interdit aux étrangers, et supprimé pour les chômeurs, si ceux-ci dans les deux ans qui suivent, n’ont pas accepté l’une des trois propositions d’emploi formulées. Enfin, les riches, surtout, ne sont pas oubliés, à commencer par les « petits (et gros) entrepreneurs » du Nord du pays, le cœur de l’électorat de la Ligue. Pour eux, le nouveau gouvernement devrait sanctionner la « Flat Tax », à savoir une réforme fiscale extrêmement avantageuse réduisant à deux tranches (15 à 20%) contre les cinq actuelles (23 à 43%) le taux d’imposition sur le revenu.

La coalition, loin de représenter une majorité absolue, est faible. En atteste ces deux mois et demi de discussions, pour trouver un premier ministre au CV bidonné. Du côté du reste des forces politiques représentées au Parlement, le Parti Démocrate (qui a appliqué, sans coup férir, une politique austéritaire entre 2013 et 2018 lorsqu’il était au gouvernement) s’est rangé du côté des européistes et de Bruxelles et se tient en embuscade pour réagir au premier faux-pas de Conte. Son crédit politique a été considérablement redimensionné, néanmoins, à la suite de la cinglante défaite qui a été infligée à Matteo Renzi, qui représentait les couleurs du parti aux dernières élections. Forza Italia, de Silvio Berlusconi, qui s’était présenté conjointement avec la Ligue de Salvini au scrutin de mars, a annoncé qu’il ne voterait pas la confiance du prochain exécutif. Il en résulte un climat de grande incertitude sur la capacité de Conte à tenir, sur la durée, une majorité au Parlement et au Sénat tant les retournements de veste d’élus M5S ont été fréquents, ces dernières années.

Côté Salvini, on essaye de rassurer. Plus qu’anti-système, la Ligue est contente d’aller à la soupe, de même que le M5S, qui a remisé ses propositions les plus polémiques au sujet de l’OTAN, de l’euro ou du Vatican. Conte, lui-même, a souligné, dans son premier discours devant la presse, « les engagements internationaux et européens de l’Italie ». Pendant ce temps, la Bourse de Milan a dévissé de 1,3%, entraînant avec elles plusieurs places européennes, également inquiètes de la situation en Italie. A n’en pas douter, il faudra un peu plus que des « engagements » pour assurer une sortie de la crise organique profonde qui caractérise le système politique italien et trouve ses racines dans les contradictions structurelles du pays.


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