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Après 4 mois de mobilisation

Jeunesse et loi Travail. Elans politiques et tâtonnements tactiques d’une nouvelle avant-garde étudiante

Cet article a initialement paru dans le n°78 (juillet 2016) de la revue L'Anticapitaliste, le mensuel national du NPA. Le printemps 2016, mouvement revendicatif ou phénomène politique ? Si, globalement, le mouvement ouvrier, malgré une entrée en scène offensive, est resté soumis à son encadrement syndical et bureaucratique, il n'en va pas de même de la jeunesse, étudiante et au-delà. Sans compter l'émergence de Nuit Debout après le 31 mars, mais aussi du raz-de-marée qui avait marqué les prémisses de la mobilisation. Quand, le 8 mars au matin, l'inter-organisations de jeunesse, que nous avions pris l'initiative de réunir la semaine précédente, tenait sa première conférence de presse contre la loi Travail, la lame de fond qui enflammait les réseaux sociaux s'était déjà chargée de mettre en accusation le « monde » qui va avec (qu'on pense à la série « On vaut mieux que ça ») et de fixer la première date de manifestation. Guillaume Loïc, secteur jeune du NPA

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Trois mois plus tard, ce sont des milliers et des milliers de salarié-e-s, de jeunes (et en particulier de jeunes scolarisé-e-s) qui ont accumulé une expérience phénoménale de mobilisation et de confrontation, des lieux de travail et d’étude aux manifs en passant par les actions, la répression, la subversion des frontières qui segmentent et séparent en temps normal la société capitaliste. Une expérience qui a été mise en discussion dans les cadres d’auto-organisation du mouvement, a donné lieu à des interprétations diverses, des tentatives parfois convergentes, parfois non.

A l’été et alors que, même si la loi passe, il est assez clair dans les têtes et dans les cœurs que ce qui s’est levé ce printemps restera un acquis pour les prochains combats, un retour sur cet élan politique et les débats qui l’ont traversé peut s’avérer particulièrement utile pour penser la suite. Bien sûr, une telle réflexion est nécessairement située : pour ma part, étudiant de Paris 1, j’ai milité au sein de son comité de mobilisation, l’un des trois plus importants ce printemps avec ceux de Rennes 2 et de Paris 8.

Comités de mob’, Nuits Debout, actions : une nouvelle avant garde ?

Une chose nous a frappé-e-s d’emblée, nous militant-e-s organisé-e-s, qui avions eu la malchance de faire notre internat politique dans la morne plaine Hollandaise : le caractère explosif, hyperactif, de ce mouvement contre la loi El Khomri. Et cela même si les assemblées générales et les manifestations n’ont à aucun moment atteint les effectifs de la lutte contre le CPE en 2006 ou la LRU les deux années suivantes. Il y avait même des universités où les AG ne prenaient pas vraiment, regroupaient tout juste 150 à 200 étudiant-e-s, mais où plus de la moitié des participant-e-s se retrouvaient ensuite en comité de mobilisation. Cette méthode d’organisation qui fait partie de l’héritage du mouvement étudiant, et qui permet de doter le secteur le plus déterminé et actif d’un cadre quasi-quotidien avec ses réunions, sa liste mail, désormais son groupe facebook (au moins), s’est d’ailleurs généralisée spontanément alors même qu’à part le 9 et le 31 mars, la mobilisation n’a jamais vraiment pris au delà d’un groupe d’une douzaine d’universités et d’un noyau dur constitué de Rennes 2, Paris 8, Paris 1, Nantes ou encore Tours.

Qu’ont fait dans un premier temps ces comités de mob’, alors que le mouvement se trouvait en phase ascendante, avec étudiants et lycéens comme fer de lance ? Il faudrait un travail patient pour recenser l’ensemble des initiatives, des actions, des formes inventives de communication qui ont été mises en œuvre. Dès le 17 mars, et à nouveau le 24, le 31, et le 9 avril, des blocages ont été organisés, parfois sur plusieurs jours comme à Paris 8, Rennes 2 ou Tours ; des initiatives qui ont permis de souder le mouvement, et de rompre la discipline des cours et du contrôle continu, une condition centrale pour que la mobilisation s’étende dans le contexte de semestres très condensés et d’un système universitaire toujours plus répressif. Mais qui n’ont pas pris la même ampleur que dans les grands mouvement des années 2000, faute, dans la plupart des cas, de rencontrer l’assentiment d’une majorité.

L’énergie débordante qui s’exprimait dès le début du mouvement a donc été en bonne partie mise en forme, canalisée, et rendue efficace grâce à ces cadres d’auto-organisation. Mais elle ne s’y est pas restreinte, en plus de déborder d’emblée les « tâches » plus classiques de construction et d’extension de la mobilisation. On a vu s’exprimer ce printemps un imaginaire radical, toute une reprise d’initiative, un retour de l’action directe à la hauteur du dégoût inspiré par 4 années de passivisation par le « dialogue social » réactionnaire entretenu par le PS au pouvoir. Une volonté de reprendre l’espace, d’en transgresser les frontières. Avec, souvent, des explosions éphémères : comme quand une centaine d’étudiant-e-s de Paris 1 ont passé une nuit quasi-blanche, du 29 au 30 mars, pour couvrir Paris d’affiches créatives (« L’oie travaille », « Manu Militari » , etc.) ; ou encore quand une partie d’entre eux, avec des Nuit-Deboutistes, ont barricadé le Boulevard Saint-Germain 3 heures durant entre le 5 et le 6 avril pour exiger la libération de manifestants gardés à vue.

Les comités de mob’, donc, n’ont été qu’une des expressions de cet activisme qui caractérise le mouvement. Assez vite, ils ont cohabité avec le phénomène des têtes de cortèges, qui regroupaient le pôle interfac, les différentes sensibilités de l’autonomie (avec, à Paris, une forte visibilité du Mouvement interluttes indépendant, qui ne doit pas cependant faire oublier d’autres groupes et sensibilités plus autogestionnaires ou proches du courant libertaire, notamment regroupés dans les « comités d’action ») et des centaines de jeunes qui souhaitaient manifester de manière plus politique et offensive. Puis avec Nuit Debout, lancée le 31 mars au soir contre la perspective d’une nouvelle journée « carrée », et dont les diverses commissions ont souvent été animées par des étudiant-e-s mobilisé-e-s. Et enfin, jusqu’aujourd’hui, avec les dizaines et dizaines d’actions de blocage, « festives », « offensives », etc, qui circulent via des boucles textos qui, faute souvent de cadre formel d’auto-organisation, continuent à dessiner les contours de cet activisme qui s’est spectaculairement maintenu malgré la fin des cours.

Les syndicats étudiants : débordés ? Ou un peu plus que ça...

La confrontation entre la démocratie étudiante des assemblées générales et de leur coordination, et les appareils syndicaux – avant tout celui des principales tendances de l’Unef, qui sont les seules à avoir une implantation nationale – est un classique de toute mobilisation sérieuse sur les universités. Si, donc, le mouvement contre la loi El Khomri détonne, c’est à la fois par la manière dont la bureaucratie de l’Unef y a été battue à plate couture dans l’après 31 mars, et par la façon dont le secteur le plus avancé du mouvement s’est en partie forgé à côté, ou en dehors, de cette confrontation elle-même.

Dans un premier temps, l’Unef avait fait le choix d’accompagner le mouvement, pour éviter de se faire déborder, et probablement inspirée par la timide opposition parlementaire des « frondeurs » socialistes. Le Mouvement des Jeunes Socialistes, majoritaire à la direction du premier syndicat étudiant (en alliance avec les jeunes communistes depuis deux ans), s’affichait d’ailleurs officiellement du côté du mouvement. Mais la combinaison entre les quelques concessions du gouvernement (parmi lesquelles la garantie jeunes, mais aussi la taxation des CDD, prise comme prétexte de « victoire » et finalement... abandonnée par le gouvernement lui-même !) et le caractère incontrôlable du mouvement, a eu raison de l’implication de ce secteur réformiste et bureaucratique, qui espérait que son départ des coordinations nationales après le 31 mars suffirait à les saborder, et n’a pu que constater sa propre marginalisation dans les semaines suivantes.

L’Unef a donc été débordée, pas tant par le nombre que par une détermination qui se vivait comme fondamentalement opposée aux organisations traditionnelles, et s’alimentait d’une rupture profonde, et de très grande échelle, avec le parti socialiste. Ce qui, il faut le souligner, n’a rien d’anodin alors que les années 2000 avaient été marquées par la consolidation de la mainmise de ce dernier sur le mouvement étudiant, après la réunification de l’Unef sous son contrôle en 2001. Mais, alors que les batailles menées entre 2006 et 2009 sur les universités avaient conduit au gonflement – certes temporaire, mais tout de même assez spectaculaire – d’une organisation comme Sud étudiant (aujourd’hui Solidaires Etudiant-e-s), cette fois-ci aucune alternative syndicale n’est apparu à l’avant-garde étudiante comme un débouché pour s’organiser, de même que les équipes militantes syndicales n’ont joué qu’un rôle très limité dans l’animation du mouvement. Phénomène qui témoigne d’une radicalité sur laquelle il faut se pencher, mais qui s’est aussi accompagné d’un certain désarmement des comités de mobilisation quand les Présidences sont passés à l’offensive sur le plan de la répression administrative à l’arrivée des partiels, faute d’expérience concrète.

Un anticapitalisme « romantique »

Le printemps 2016 aura donc vu la jeunesse étudiante revenir sur la scène politique, en faisant sauter le verrou des médiations qui cherchent à le contenir dans des revendications strictement corporatistes. C’est souvent contre la grande majorité du milieu militant local que les AG votaient pour la levée de l’état d’urgence, pour l’abandon du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, en plus évidemment du retrait de la loi travail. L’écho rencontré dans la rue par un slogan comme « Aha-Anti-Anti-Anticapitaliste » est aussi particulièrement marquant, dans le pôle animé par la jeunesse mobilisée, mais aussi, plus tard, dans des cortèges comme celui des cheminot-e-s en lutte. Il en va de même des discussions lors des AG de Nuit Debout à République, profondément anti-système, globalement plus radicales – même si bien plus confidentielles – que ce qu’avait pu être le 15M dans l’État espagnol.

Mais, si pour des milliers d’étudiant-e-s (et au-delà), le combat contre le capitalisme et ce qu’il fait à nos vies, à l’environnement, etc., a commencé ce printemps à devenir un point de ralliement presque naturel, cette politisation radicale – fruit de la rupture avec le PS, du discrédit de la démocratie bourgeoise, du dégoût pour l’exploitation au travail désormais dépourvue de toute expectative d’ascension sociale – laisse jusque là entièrement ouverte la question des moyens nécessaires pour gagner. C’est en cela qu’il serait faux de conclure hâtivement que le succès des têtes de cortèges offensives marquent la percée de l’autonomisme comme stratégie : de fait, cette dernière attire et le marxisme révolutionnaire doit reprendre la discussion avec ses présupposés, ses propositions ; mais avant tout, c’est l’ensemble de la discussion stratégique qui s’est rouverte, et cela dans la chaleur de l’arrivée en fanfare d’un nouveau cycle de lutte de classes.

Ainsi, de bout en bout, le mouvement étudiant sera resté peu soucieux de ses propres revendications (au-delà de la question du retrait), quand il ne développait pas carrément une aversion à s’en doter, sur le thème « revendiquer c’est supplier, c’est s’auto-infantiliser » comme disait Frédéric Lordon en amont du 31 mars avant de modérer un peu sa position pour expliquer comment une victoire contre la loi serait une bouffée d’oxygène, pour celles et ceux qui luttent comme pour les autres qui n’osent pas encore le faire. Ici se révèle l’aspect en partie anti-politique de la politisation pourtant radicale de ce printemps : contre le programme corporatiste et limitatif que voulait imposer le secteur réformiste, le mouvement a souvent répondu par le refus de tout programme, sans se rendre compte que ce dernier était une condition de la jonction pourtant tellement souhaité avec les secteurs ouvriers en lutte, la jeunesse des quartiers populaires ou encore le peuple mahorais en grève générale à la fin mars.

L’expérience cuisante pour les étudiant-e-s : jusque-là, c’est Martinez qui décide !

La convergence des luttes, la grève générale, étaient d’emblée au cœur des aspirations des étudiant-e-s mobilisé-e-s. A Paris 1, tout le comité de mobilisation s’était ébahi lui-même quand, le 30 mars au soir, plus de 900 personnes s’étaient trouvées réunies autour de ces mots d’ordre, dans une ambiance électrique, avec étudiant-e-s, cheminot-e-s, travailleur-se-s de la santé, postiers, etc. Une expérience répétée à plus petite échelle à Paris 8, où une militante de la CGT du Havre avait fait forte impression en lisant la motion des dockers de cette ville qui déclaraient, après l’interpellation d’un étudiant, que le port serait désormais bloqué chaque fois que la police toucherait à un jeune mobilisé. Et, à Rennes 2 d’abord, à Paris et ailleurs ensuite, la tradition d’alliance entre étudiant-e-s et cheminot-e-s a été remise au goût du jour, entre manifestations dans les gares et participation respective aux assemblées générales de chaque secteur. Mais l’expérience condensée par le mouvement contre la loi Travail repose en grande partie sur la contradiction brutale entre ces aspirations et la mainmise conservée par les bureaucraties syndicales ouvrières, qui ont pu disjoindre les rythmes, maintenir séparé ce que le secteur le plus actif de la jeunesse mobilisée rêvait d’unir.

Cette conscience de ne pouvoir gagner seul-e-s, et ce désir de lutter ensemble avec le monde du travail, s’est pourtant concrétisé en une politique au sein du mouvement, ou plutôt deux politiques différentes qui sont entrées en débat au sein de l’avant-garde. D’une part, la coordination nationale des universités mobilisées s’est peu à peu donné la tâche d’interpeller l’intersyndicale nationale pour que celle-ci accélère le rythme, n’en reste pas aux journées saute moutons, et profite de la mobilisation dans la jeunesse pour appeler à la grève et à sa reconduction. Elle a aussi participé à l’organisation du débat entre Philippe Martinez et les secteurs en lutte le 28 avril place de la République, où les porte paroles étudiant-e-s ont pu s’adresser directement au dirigeant de la CGT.

Mais à côté de ces initiatives, les courants autonomes ont peu à peu avancé une critique de la démocratie du mouvement elle-même, en la décrivant comme une reproduction des formes parlementaires bourgeoises, et en proposant comme cadre d’organisation le simple groupement de toutes celles et tous ceux qui luttent, quitte à laisser tous les autres sous la stricte influence de la bureaucratie syndicale. Les « AG interluttes », qui ont connu un certain succès en début de mouvement, ont ensuite assez vite dégonflé, faute de réussir (pas plus que les cortèges de tête) à ouvrir une alternative à l’emprise de l’intersyndicale – avec, dans une deuxième phase, un rôle tout particulier de la direction de la CGT – sur le mouvement. On touche là l’expérience cuisante pour tou-te-s les étudiant-e-s mobilisé-e-s ce printemps, la question stratégique à l’aune de laquelle celles et ceux qui se revendiquent du renversement de ce système devraient être évalué-e-s : comment faire sauter l’obstacle de la bureaucratie syndicale, obstacle vécu et ressenti aujourd’hui par des milliers d’activistes ? Notre débat avec l’autonomisme se situe en bonne partie sur ce terrain, autour de l’idée que l’auto-organisation des grévistes site par site, secteur par secteur, et la coordination à grande échelle de ces cadres d’appropriation démocratique du combat par celles et ceux qui le mènent, est la seule méthode capable de lever ce verrou, et d’ouvrir, à terme, la possibilité du renversement de la domination bourgeoise.

« Tout le monde déteste la police »

L’omniprésence de cet Etat et de son arsenal répressif est aussi une donnée clé de ce printemps. Comme cela s’était passé à Toulouse à l’automne 2014, mais cette fois dans des dizaines de villes, chaque manifestation – 1er mai inclus – est devenue l’occasion du déploiement d’un nouveau type de dispositif policier, jusqu’aux deux quasi-interdictions de fait les 23 et 28 juin. Les images de violences policières, omniprésentes, sont devenues l’un des objets les plus partagés sur les réseaux sociaux. Une répression et des violences qui, de même que la politisation en retour qu’elles ont suscitées, ne peuvent se comprendre qu’en tenant compte de l’avancée autoritaire préalable du régime politique hexagonal, autour du thème de la lutte contre le terrorisme. A présent que s’est rouvert un affrontement de classe plus explicite, toute l’avant-garde, des facs investies par les CRS aux piquets de grève dispersés violemment, a pu constater à quoi servaient l’état d’urgence permanent et la surveillance généralisée.

Cet encadrement permanent, ce bras de fer autour de l’occupation de la rue et de la capacité du mouvement à imposer ses initiatives dans l’action, a suscité très tôt une réflexion spécifique au sein de ce dernier. Le 22 mars à Tolbiac, 400 étudiant-e-s de toutes les facs parisiennes repeignaient la fac en rouge et tenaient un meeting de rue spontané pour dénoncer les blessés du 17. Mais, en partie par une faiblesse de prise en charge par les coordinations elles-mêmes, et, plus fondamentalement, du fait de l’abandon de la jeunesse « chair à matraque » par une intersyndicale qui avait peur d’un effet d’entrainement sur le monde du travail, c’est beaucoup en dehors des cadres d’auto-organisation que s’est politisée la question de la répression étatique. Les « legal team » (DefCol à Paris) ont fleuri un peu partout pour centraliser les informations sur les interpellations et la disponibilité d’avocats dévoués au mouvement. Elles ont souvent été complétées de « medic team » qui prenaient en charge les premiers soins ; chaque fois, il s’agissait de collectifs construits empiriquement, fluides, avec le participation épisodique de militant-e-s organisé-e-s (plutôt du côté de l’autonomie). A côté de ces initiatives concrètes, toute une symbolique de l’affrontement et de son rôle vécu comme immédiatement libérateur imprégnaient peu à peu les têtes de cortège (à Paris, les assauts se sont parfois menés derrière des constructions mi-artistiques mi-militaires : phénix ou dragon en carton et en bois, en plus des banderoles renforcées), où un large secteur cherchait à poser en pratique la résistance immédiate à l’ordre policier.

A peine plus d’un an après les applaudissements aux forces de l’ordre de l’après-Charlie, cette voie de radicalisation est une composante majeure de l’avant-garde qui s’est levée, et mérite une discussion profonde qui permette d’apporter des réponses radicales et offensive à cette mise en cause initiale de l’Etat. Notre divergence avec l’autonomisme vient de ce que, tout en s’accordant sur la haine de l’oppression imposée par cet Etat (qui surveille, matraque, arrête, colonise, etc.), sa manière individualiste de poser le problème de l’émancipation ne permet pas de découvrir jusqu’au bout les racines et le rôle de cet État bourgeois, son lien avec l’exploitation capitaliste, et donc le caractère de classe de la lutte pour son renversement . Prendre au sérieux la question de l’insurrection, aux plans politique et militaire, en partant d’une analyse des forces de l’adversaire, en se dotant d’un plan pour en grouper de supérieures, constitue ainsi un projet au moins aussi opposé à l’affrontement transcendé sur un plan symbolique qu’au pacifisme ou au légalisme réactionnaires. Ces derniers ayant été, dans ce mouvement, relayés par un Mélenchon ou un secteur de Nuit Debout, et constituant des positions contre lesquelles les trotskystes devraient aussi prendre l’offensive, dans un pays où la tradition révolutionnaire républicaine sert depuis plus de deux siècles à semer dans le mouvement ouvrier la confusion sur la nature de l’État bourgeois et de sa police.

Que ferons-nous de notre radicalité ?

Il y a vraiment, dans ce qui s’est levé ce printemps, quelque chose d’epoustouflant pour les jeunes révolutionnaires qui viennent de commencer à s’y forger. Époustouflant pour la vitalité du mouvement, sa longévité, l’entrée en scène, avec une puissance qui a surpris tous les éditorialistes des médias capitalistes, de secteurs-clés de la classe ouvrière dans une deuxième phase de la mobilisation. Époustouflant pour la profondeur des questions qui s’y sont posées et des polémiques politiques auxquelles elles ont donné lieu. On a bien assisté, en quelques semaines, à l’émergence d’une avant-garde large, dont le degré de radicalité, à la hauteur du dégoût généré par quatre années de réaction « socialiste » et « dialogue social » corrupteur, reste jusque là largement supérieur à celui des vastes masses du monde salarié et de la jeunesse. Cette situation fait de la combinaison entre l’approfondissement conscient de cette radicalité, et sa diffusion à plus grande échelle par un travail politique patient et déterminé, une tâche importante des temps à venir – aussi pour éviter que ce ne soit le contraire qui s’impose, à travers l’isolement des secteurs les plus déterminés, la répression, la remise en forme politique sur un terrain bourgeois et institutionnel par la présidentielle.

Mais tout bilan d’étape qui se place du point de vue de celles et ceux qui veulent préparer les prochains affrontements serait tronqué s’il passait sous silence les limites, ou plutôt le caractère encore inhibé, de la radicalité qui vient de renaître. Et parmi elles, le constat que la conclusion la plus radicale face à la loi El Khomri et son monde, celle qui consiste à passer de l’engagement dans un bras de fer ponctuel à un investissement pérenne, conscient, à se doter d’un plan de bataille et d’une organisation pour en faire vivre la préparation et la diffusion, cette question du parti révolutionnaire, reste majoritairement absente ou combattue au sein de l’avant-garde actuelle.

Comment comprendre cet état de fait, pour investir la bataille politique pour que la radicalisation qui a émergé dans la jeunesse aille jusqu’au bout, en ce moment où le lent essoufflement de l’affrontement concret dans la rue et par la grève pourrait démoraliser, et où l’approche des élections présidentielle pourrait permettre à tel ou tel transfuge réformiste (et peut-être Mélenchon lui-même) de refaire le coup de l’après 2010 ? C’est là une question-clé pour les révolutionnaires, alors que l’extrême gauche n’a pas, globalement, et du fait de faiblesses qui préexistaient au mouvement, fait la démonstration au sein de ce dernier de sa propre capacité à permettre l’émergence d’une alternative à la direction des appareils syndicaux et à leur politique de conciliation coûte que coûte avec les exploiteurs. Le marxisme révolutionnaire et militant peut ainsi être l’outil d’une véritable offensive, pour que le secteur le plus large possible de l’avant-garde digère l’expérience qui vient d’être faite, en fasse un point d’appui pour les luttes plus dures qui s’annoncent, et pour dialoguer avec un esprit du temps qui reste profondément imprégné des défaites et dégénérescences du vingtième siècle et de l’idée réactionnaire que ces reculs auraient condamné toute possibilité pour les exploité-e-s et les opprimé-e-s de se bâtir une conscience collective et stratégique. S’il y a bien une chose que devrait démontrer ce printemps et ce début d’été, c’est que le scepticisme instillé à grande échelle par le « there is no alternative » néolibéral est désormais...tout simplement ringard.


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